L'Empire (Partie 4)

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Ils placèrent toutes leurs trouvailles en travers de la voie : bancs, caisses, râteliers, espérant ralentir un tant soit peu la progression des soldats. Il fallait gagner du temps. Chaque instant passé en vie leur laissait une chance de découvrir un moyen de s’échapper de cet enfer. Le semi-Gor alerta d’un cri que d’autres sentinelles remontaient des entrailles de la prison.

Du haut de l’escalier, Galanodel tira un trait qui perça l’œil d’un des gardes. La Talwene se battit avec l’énergie du désespoir et projeta les assaillants au bas des marches. Grum sauta aveuglément dans la mêlée, frappant de taille et d’estoc tout ce qui se présentait à lui. Cinq gardiens furent ainsi défaits.

Des prisonniers tendaient la main à travers les barreaux de leur cachot. Des cris plaintifs et des silhouettes faméliques dans des cages rouillées. Alors qu’Ædemor fut pris de pitié, Galanodel n’y jeta pas même un regard.

— La voie est libre ! lança la Valwyne. Allons-y !

Arrivés à l’endroit de leurs anciennes cellules, deux issues s’offrirent à eux. Ædemor frémit à l’idée d’y être à nouveau enfermé, quoiqu’après leur évasion, leur sort serait probablement pire. Un grand fracas provint alors de la sortie de la geôle : la porte venait de céder sous les coups de boutoir des soldats. De féroces acclamations suivirent, étouffées par la distance. La menace croissante obligea le groupe à choisir la voie la plus proche, sans avoir eu le temps de considérer les possibilités plus avant.

Le corridor emprunté les dirigea dans les étages inférieurs et chaque escalier les amena plus profondément sous la terre. La température montait à chaque niveau, de sorte qu’elle devint difficile à supporter. Les cellules étaient habitées par de malheureux détenus au corps décharné. Des humains, mais aussi des Valwyns, des Undurs et des Talwens, agonisants ou déjà morts.

Arrivés au dernier sous-sol de la prison, ils franchirent une grande porte débouchant sur une large salle encadrée par des gradins surélevés. Une fosse, dont les parois caverneuses se noyaient dans les ténèbres, s’abîmait dans le fond de la lice.

— Une arène ? lança Grum. Ces bandes de fils de chien… C’est un foutu cul-de-sac !

— Pas exactement, observa une voix au-dessus d’eux. Les accès de cette prison sont légion, et malheureusement pour vous, vous ne les connaissez pas.

Zenyassa se leva. Une issue surplombant les gradins l’avait menée jusqu’ici, ainsi que la quinzaine de soldats qui l’encadrait. Le désespoir s’abattit sur Ædemor comme une chape de plomb.

— Je regrette d’avoir à vous dire ceci, mais je dois vous ramener à vos cellules, continua l’Exécutrice. L’Empereur sera mécontent si je ne lui livre pas vos secrets, et je n’aime pas désappointer mon maître.

Avant que les quatre compagnons n’aient pu réagir, elle abaissa un levier qui déclencha un mécanisme. La herse s’abattit et barra la retraite du groupe dans un grondement métallique.

En un réflexe éclair, Galanodel décocha une flèche. Le tir prodigieux fendit l’air sur une vingtaine de mètres et termina sa course dans l’épaule de l’Exécutrice. Le projectile traversa l’omoplate et lui arracha un cri de douleur.

— Gardes ! Kanaka ! Capturez-les vivants ! hurla-t-elle.

Yukihina devint livide, tant par le nom qu’elle venait d’entendre que par les soldats qui descendaient les marches de l’arène pour les arrêter. À leur tête, le compagnon difforme de Zenyassa bondit puissamment et atterrit devant les fuyards, affichant un regard sordide de haine et de folie.

— Ogeessa Kanaka ? demanda la Talwene d’une voix tremblante. Maître ? C’est… vous ?

La monstruosité se figea et se tourna lentement vers Yukihina. Ses yeux vides furent traversés d’une lucidité fugace qui s’évanouit presque aussitôt, alors qu’un grognement bestial s’échappa de sa gorge. Des soldats n’allaient pas tarder à le rejoindre, aussi Galanodel n’attendit pas. Elle décocha une autre flèche qui vint se ficher dans le bras difforme de Kanaka. Regardant le projectile planté, il l’arracha sans aucune douleur et le jeta négligemment au sol. Sur les gradins, Zenyassa, enragée et blessée, s’enfuit en titubant, sa silhouette disparut dans l’obscurité du couloir d’où elle était arrivée.

— Ah d’accord, c’est comme ça ! lança Grum.

Le semi-Gor s’élança contre Kanaka, épée en avant. Il frappa, frappa et frappa encore, mais sa lame ne rencontra que le vide. Son opposant évitait chaque assaut avec une vivacité déconcertante. Galanodel appuyait son partenaire en tirant trait sur trait, mais le monstre resta insaisissable.

Profitant d’une ouverture, Kanaka se faufila derrière Grum et lui asséna un redoutable coup dans le dos. Le semi-Gor fut projeté en avant, sonné. De cruelles griffes lui labourèrent l’échine, lacérant sa peau en de multiples sillons ensanglantés. La blessure le fit tant souffrir qu’il laissa s’échapper un hurlement guttural.

Galanodel tira à nouveau, mais Kanaka la rejoignit en un éclair, lui envoyant une violente ruade. Elle encaissa et recula sous le choc, mais un autre coup de pied la déséquilibra et elle tomba à la renverse.

Il ne s’était écoulé que l’espace d’un instant, mais déjà les premiers soldats impériaux arrivaient dans l’arène : ils enjambèrent les épaisses palissades et cernèrent peu à peu les combattants. Ædemor les chargea, se battant comme un beau diable, mais fut rapidement submergé.

— Yukihina ! Aide-moi ! cria le jeune homme. Ils sont trop nombreux !

Yukihina observait la scène, mais ne put agir. Elle était déchirée intérieurement, tétanisée par la peur et le tourment. Elle l’avait enfin retrouvé. Son maître se tenait là, méconnaissable. Elle ne pouvait se résoudre à lever la main contre lui. Elle assistait, impuissante, au combat inégal se déroulant devant elle.

Ædemor était se défendait du mieux qu’il put, mais un coup d’estoc vint lui faire une vilaine estafilade sur la joue.

— Yuki ! Bon sang, mais réveille-toi ! hurla-t-il encore.

Galanodel s’était redressée sur le bord de la fosse, emplie d’une farouche détermination.

— À ma prochaine flèche, tu t’écartes ! annonça-t-elle à Grum.

— Quoi ? Qu’est-ce que…

Expédié au tapis une nouvelle fois par Kanaka, le semi-Gor lâcha son épée en retombant lourdement au sol. Il se releva, un filet de sang au coin des lèvres.

— Allez, viens-là pépère ! Tu vas goûter à ma spécialité : le bourre-pif ! éructa-t-il.

Le Talwen difforme revint vers lui, une énergie hideuse ondulait dans chaque fibre de ses muscles.

Esquivant à la dernière seconde sa paume dévastatrice, Grum lui envoya un coup de poing magistral : un os craqua quelque part dans sa mâchoire. Kanaka chancela, puis une flèche vint se ficher dans son poitrail.

— Maintenant ! cria la Valwyne.

Tandis qu’elle inspira profondément, Grum plongea sur le côté. Une vague intense de froid déferla au-dessus de sa tête et lui brûla le dos. Le sol alentour gela et se hérissa de cristaux de glace immobilisant les soldats qui se tenaient entre eux et la fosse. Ædemor en profita pour attaquer par surprise les autres gardes stupéfaits.

L’abomination fut elle aussi figée, prise dans une gangue de givre translucide qui la paralysa.

— Vite ! Plongez dans la crevasse ! cria à nouveau Galanodel. C’est notre seule issue !

— Quoi ? s’indigna Ædemor. Mais…

Elle empoigna Ædemor et le tira à elle, et ils se jetèrent dans le vide de l’abîme obscur. Grum ramassa son épée et les suivit, non sans avoir grogné de douleur sous l’effort de ses muscles engourdis. Alors que son maître se libérait, Yukihina se déplaça mécaniquement et sauta à son tour dans le néant.

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