L'Éveil

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Lorsqu’il ouvrit les yeux, Ædemor n’était plus sur le champ de bataille. Projeté par la déflagration issue de la sphère protectrice de l’Exécutrice, il se releva dans une antichambre qu’il connaissait. Le sol dallé, la statue de dragon illuminée, il n’eut aucun doute. Tyasimar l’avait rappelé dans son domaine. Une chose différa cependant depuis sa précédente visite : la centaine de chevaliers en armure agenouillés devant le monument. Ædemor reconnut les visages d’Orkham de Jemeliah, ainsi que celui de Ganzague de Tremendis. D’autres femmes et hommes arboraient humblement les antiques blasons de l’ordre, drapés dans leur magnifique mantel pourpre.

La voix caverneuse de Tyasimar résonna :

— Comment comptes-tu sauver le monde, si tu es incapable de te sauver toi-même, Ædemor ?

— Quoi ?

— Vois, chevalier. Ces illustres serviteurs ont durant leur vie forgé une foi à toute épreuve. Ils ont été, par le symbole qu’ils représentaient pour le peuple, les artisans de la justice et les protecteurs des faibles. Leur volonté était inflexible. Ils ne reculaient devant rien ni personne.

Le jeune homme regarda le sol, et répliqua :

— J’ai essayé, Tyasimar ! Je te le jure, j’ai essayé ! Je n’ai aucune capacité, aucun talent. Mes amis souffrent et je ne peux rien faire pour les aider. Opalys va basculer dans l’ombre. Je crois en Toi, mais Tu n’es pas là.

— Tu es tellement persuadé d’être impuissant, chevalier, lui répondit le dragon d’une voix sévère. Tu détiens un pouvoir contre lequel peu de monde pourrait rivaliser. Tu n’as juste pas la moindre idée de son coût.

Ædemor ne comprit pas. Il hésita et trembla d’angoisse et de honte.

— Tu es rongé par la peur et le doute, face à l’adversité et devant ceux que tu prétends être tes amis, reprit Tyasimar.

Le jeune homme sentit le désespoir gangréner son esprit, trahir sa vulnérabilité et sa faiblesse. Il n’avait pas pu retenir Grum. Il allait perdre Galanodel. Il ne pouvait pas aider Yukihina. L’Empereur vaincrait. Morgastar reviendrait. Toutes ces projections pointaient dans la même direction. Vers l’échec. Vers la mort. Inéluctablement.

Ædemor regarda ses mains, puis tourna la tête vers les fidèles agenouillés. Tous avaient effectué le don ultime. Sans arrière-pensées. Sans hésitation. Fallait-il qu’il fasse de même ? Mais s’il tombait, à quoi cela aurait-il servi ?

— Je regrette, chevalier. Tu as le potentiel, mais tu n’es pas digne de recevoir ma bénédiction, dicta solennellement Tyasimar.

La lueur de la statue s’éteignit. Les silhouettes en armure s’évanouirent dans les ténèbres. Ædemor demeura seul dans l’angoisse et la pénombre.

— Attends ! paniqua le jeune homme. Tyasimar !

Son intonation sonna creux dans le vide du domaine du dieu dragon.

— Je t’en conjure, sois avec moi !

Ædemor tomba à genoux. Il était perdu. Des larmes silencieuses tracèrent des sillons d’argent sur son visage. Après un temps qui parut une éternité, la voix de Tyasimar tonna une dernière fois.

— Pars avec le peu de dignité qu’il te reste, Ædemor.

Une porte de lumière se dessina devant la statue. Le jeune homme sentit qu’elle le ramènerait sur le champ de bataille. Mais pourquoi revenir ? Sans pouvoir, comme auparavant ? Incapable, honteux et faible ?

Il avait toujours eu peur de perdre. Les siens, ses amis, et maintenant son dieu. Mais au fond de lui, c’était la mort qu’il craignait le plus. Car il n’avait jamais trouvé de sens à sa vie. Il serra le poing de rage et cria :

— Rien à faire de la dignité ! Pas question de partir ni de baisser les bras, avant que Tu ne m’écoutes !

L’écho de ses paroles résonna à l’infini. La statue s’embrasa de mille feux et l’éblouit douloureusement.

— Et si je refuse ? clama Tyasimar d’un ton terrible. Serais-tu prêt à te sacrifier, uniquement pour prouver quelque chose ?

Ædemor ne se démonta pas devant la voix impérieuse. La passion vibrait dans ses mots lorsqu’il s’obstina :

— Je me fiche de mourir ! Je ne partirai pas. Et je ne veux plus être ignoré !

Le silence se fit plus long encore face à son éclat impétueux. Ædemor haleta, ses tempes battaient dans son crâne et une fureur enfiévra tout son être. Après une interminable réflexion, Tyasimar répondit :

— Tu as trouvé ce qu’il te fallait pour embraser ta foi. La volonté de tout sacrifier.

La lueur de la statue se calma et une douce chaleur accueillit le corps d’Ædemor. La porte éclatante s’agrandit et s’étira jusqu’à embrasser entièrement le domaine de Tyasimar.

La lumière transcende tout…..

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