J’habite mes insomnies
Elle ne dort pas.
Depuis combien de nuits ?
Le temps a cessé de compter.
Ce n’est plus qu’une matière molle, filante, sans contour.
Allongée dans les draps froissés comme les pages d’un livre qu’on n’écrira jamais, elle fixe le plafond, temple muet de ses pensées.
Chaque heure sonne comme une cloche étouffée au fond d’un lac.
Et son cœur bat, en contrepoint, un peu trop vite pour quelqu’un qui ne vit pas vraiment.
Dehors, la ville bruisse d’un silence humide.
La pluie glisse sur les vitres comme des souvenirs qui refusent de s’effacer.
Et la lune, fidèle, impudique, regarde sans cligner.
Elle l’appelle Lune, comme une amie perfide venue lui voler le sommeil.
Alors elle se lève.
Marche pieds nus sur le carrelage froid,
comme on traverse un désert de givre.
Chaque pas est une question sans réponse.
Dans la cuisine, elle n’a pas faim.
Elle a soif d’oubli,
soif d’un soupir qui finirait par l’engloutir.
Elle ouvre un livre. Pas pour lire.
Pour respirer entre les lignes.
Elle y cherche une phrase capable de lui fermer les paupières.
Mais les mots l’ouvrent, la saignent, l’écorchent.
Elle écrit, alors.
Des mots filants, tombés comme des étoiles mortes :
J’existe. Encore. Malgré le vide.
J’habite mes insomnies.
Je suis la lampe allumée du monde.
Et puis rien.
Le ciel pâlit.
L’aube arrive, tiède et floue.
Elle s’allonge, enfin.
Pas pour dormir.
Mais pour accueillir le jour
comme un pardon.
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