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Dès potron-minet le lundi matin, je repris la route vers la France, pays maudit, patrie de l’hypocrisie, de la lâcheté et de la pauvreté. Hélas, j’étais désormais non-grata en Belgique, pays selon mon cœur. Mais ce n’était pas la première fois qu’un pays étranger me refusait l’hospitalité. J’avais été sèchement rejeté d’Algérie, Maroc et Tunisie, par le passé. Bêtement, dans mon innocence juvénile, j’avais fait un rêve, du même acabit que celui de MLK : celui d’être un super héros, un binational. Bi, c’est mieux que uno ! Bi c’est comme avoir deux queues, deux vies, double chance, double face. Bi, c’est la possibilité de te tirer si la police te cherche injustement noise, sur un malentendu. Bi, c’est le top du top. Mais ce rêve m’avait été refusé ! Salopards ! Au motif que je n’avais pas le « bon profil ». On m’avait même envoyé les vigiles avec les malinois devant mon indignation justifiée et ma hargne à frictionner le bureaucrate.

— Tu remets pas les pieds ici, petit con, sinon, tchic-tchic !

Un venimeux faisait passer son index sur son cou. Je lui fis un doigt qui le rendit rubicond. Pfff !

Voilà ce qu’on avait osé me balancer en pleine face. À moi. Et n’allez pas me dire qu’il n’y a pas une injustice monumentale là-dedans. Parce qu’en France, nous, on prend tout le monde, surtout les pires. D’ailleurs, dans les banlieues, on n’arrête pas de nous dire de nous pousser pour faire de la place. Soyez généreux, la France « terre d’asile », qu’elles disent nos élites bien pensantes. Et moi on me jette comme une racaille, madame ? Vous trouvez ça normal ?

Mais je n’avais pas dit mon dernier mot. Il me restait à tenter la fédération de Russie. La Suisse ? Il faut un paquet avec 60000 boules, frérot ! C’est abuser ! À moins de trouver une gentille helvète compréhensive. Ça existe ? Ave les couettes et la poitrine accueillante, une Heidi tu vois… Ouais, je sais, j’en demande beaucoup. Mais il faut avoir de grands rêves quand on est petit.

Le soleil, désespéré d’avoir à éclairer ce monde pourri, palissait à l’horizon. Mon humeur oscillait entre consternation et totale déception ; en un mot j’étais au bout de ma vie. En plus, Liliane m’avait fait la grande scène de l’acte V de Phèdre. Les femmes sont vraiment trop théâtrales, il faut toujours qu’elles en fassent des tonnes, c’est fou ce qu’une femme peut-être bruyante. À la réflexion, je n’arrivai pas à croire qu’elle puisse réellement m’aimer au point de :

— Lorenzo, si tu ne reviens pas, je me suicide !

— Sérieux ? Tu me fais quoi, là ? Elle est où la caméra ?

— Lorenzo, je ne plaisante pas, je te préviens, je t’aurai prévenu !

— Va voir ton psy, tu as besoin, il te faut du Dragonal.

— C’est un charlatan ! Il veut me bourrer de médocs ! Il dit que je suis bipolaire !

— C’est sûr, il est tout niais…

— Ah… Tu es de mon avis ?

— En fait tu es tri-polaire ! Complètement à la masse…

— Il faut toujours que tu te fiches de tout ? Tu es impossible ! Des fois, je te hais !

Après des effusions ridicules, du niveau d’une collégienne à ses premiers émois sentimentaux, je m’engouffrai dans ma voiture glaciale tout grelottant, je cheminai dans le grondement agaçant du Diesel souffreteux de ma guimbarde. J’ai une vie de merde ? Je sais.

Sur la route de Calais, soudain je fus saisi à la vue d’un panneau géant «vous entrez dans le département du Pas-de-Calais ». C’était bien ma veine. Pas de Calais, alors ? C’est voler, frérot ! Je blague. Quoi, elle est usée ? Tu la connaissais ? Pfff !

Ai-je déjà dit que le « Chnord » c’est un pays mort, qui te file direct la déprime totale que tu as envie de te pendre à un cintre ? Non ? Une bourde.

J’arrivai avant tout le monde dans l’entreprise de vente en ligne. J’y avais deux missions : la première sécuriser le réseau et les données. C’était facile, le technicien bardé de diplômes qui avait déployé le système hors de prix avait laissé l’identifiant « admin » et le mot de passe « admin ». Je fis le service minimum et mis en marche le pare feu et l’anti-virus. Les bases.

La deuxième mission était secrète et délicate : faire cesser le vol de coupons de réduction qui prenait une telle ampleur que le chiffre d’affaires en était menacé. Les fringues sont vendues dix fois le prix, grâce à la gentillesse des petits Pakistanais : prends sidi, c’est cadeau. En solde, seulement cinq fois : mais madame, je perds de l’argent, comment je vais nourrir mes gosses ! Même avec ces marges de voleurs, madame Chiffon, la patronne faisait des cauchemars. La pauvre, il est vrai qu’elle avait des « charges monstrueuses ». La France. L’impôt est notre spécialité. Champions du monde.

— Monsieur Lorenzo, des hackers s’en prennent à mon entreprise !

— Sérieux ? C’est dingue...

— Vous n’y croyez pas ? Quelqu’un dérobe les codes promos !

— Cherchez parmi vos employés. Premiers voleurs dans les entreprises commerciales...

— Quoi ? Non, j’ai confiance dans mon personnel ! Des gens admirables. C’est impossible.

— Mmmm…

— Vous êtes sceptique ?

— Sceptique, je suis. Le Français est voleur, c’est normal, il est trop volé par l’état providence.

Madame Chiffon, femme d’une quarantaine d’années, très mondaine, catho-écolo de gauche, mijaurée comme Scarlett O’hara, s’indigna. Elle m’observait, je la regardai, enfin surtout ses jambes croisées, dans sa jupe fendue.

— Vous aimez ce que vous regardez, monsieur Lorenzo ?

— Je songeai…

— À quoi ?

À moi en train de la faire couiner sur son bureau, à la hussarde, pompant avec force, faisant claquer les chairs. Mais pouvais-je le lui dire ?

— Que si je trouve les coupables, je fais quoi ? repris-je.

— Vous venez m’en parler ! Je gérerai… Mais je doute que… Ce serait trop…

— Les prod’hommes, l’avocat, les indemnités. Ça va vous coûter un bras. Sans compter qu’il faudra trouver des remplaçants et comme personne ne se bouscule pour venir bosser, en France…

— Mon Dieu… Monsieur Lorenzo, vous êtes déprimant ! Je ne veux pas y songer ! Vous avez une vision nihiliste de notre beau pays !

— Réaliste…

— Non. La réalité n’est pas si noire. Je me refuse à l'envisager.

Elle remonta son corsage qui faisait exprès de tomber constamment, laissant voir la naissance des petits seins qui s’ennuyaient ferme. Quand on pense qu’elle allait passer la journée à remonter son truc… et sa mèche rebelle devant son visage… Les femmes… Mon Dieu, mon Dieu…

Je me levai :

— Monsieur Lorenzo, je compte sur votre discrétion.

— Je serai discret comme une hyène…

Elle ne releva pas. Probablement qu’elle n’avait pas vu Papy fait de la résistance. Misère de l'inculture.

Donc, c’était une mission détestable que j’avais sur les bras. Cela ne faisait aucun doute que c’était une des employées de la boite. Allai-je dénoncer ? Dénoncer c’est mal, non ? Un cas de conscience au minimum. Enfin… yo soy una profesional !

J’allai encore me faire des amis, on voudrait me faire la peau… comme d’habitude. Vous trouvez ça juste ? Moi pas.

Avais-je des soupçons ? En premier lieu, la responsable réseau, la Delphine. Sous ces airs de gentille fashionista, elle pouvait aussi être une sale voleuse et se faire du blé en revendant des coupons à ses copines.

Comment trouver la coupable ? Honey Pot. Un piège trivial qui marche toujours. On fait un faux portail d’administration du réseau, on met des faux coupons à 92 % de réduc et un virus espion activé par un clic. Ensuite on attend que le mouchard envoie un mail avec toutes les infos : adresse IP, identifiant, adresse mail… et avec un peu de chance, la photo du connard.

En ce lundi matin, j’allai à ma boite mail. Un poisson avait-il mordu ?

Delphine fit son entrée. Cheveux orange, mèches rose, jupette raz la… collants vert : un carnaval sur talons. Mais droite avec le Starbucks et le phone dans la gauche. La tête ? Dans le…

Bzz. Bzz. La bise matinale. Quoi c’est salaud ? Je vais la dénoncer et je la bise ? Et la politesse alors ? Il y a des gens qui n’ont aucun savoir vivre.

— Putain Lorenzo, t’as dormi là ?

— Mais nan… Je bosse, je bosse. J’ai quasi fini ma mission… enfin j’espère. Après je me tirailleur… Loin. Dans le sud.

— Sérieux ? C’est pas possible… Déjà ?

— Ouais…

— T’es bizarre comme mec, tu sais ?

— Moi bizarre ?

— Bah ouais. J’en parlais avec Anaïs… Tu la connais ?

— Non.

— Au service expédition. Une blonde…

— Avec tatoos et les oreilles remplies de boucles…

— Voilà, c’est ma meilleure amie. Tu devineras pas où on a été ce week-end…

Elle était partie. Il faut qu’elle parle, qu’elle parle tout le temps...

Elle fait des tas de trucs la Delphine : le yoga le mardi, le cinoche le vendredi, la zumba le lundi, en boite le samedi, au cours de littérature médiévale le mercredi… Sans compter esthéticienne, coiffeuse et le plus important de tout, les incessantes consultations médicales.

Cela dépassait l’entendement, elle avait un agenda de ministresse. C’est sûr, elle était folle-dinguote.

Un message clignotait sur l’écran de mon portable. L’espion était au rapport.

Que faire ? M’en laver les mains et transférer le message à madame Chiffon ? L’ouvrir et… ensuite ?

Qu’auriez-vous fait ?

La suite ?

Bzzzz !

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