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En ce samedi matin, sur la route de Moulinsart, rentrant chez ma régulière, j’écoutai la clemenza di Tito de Mozart, cela mettait un peu de baume à mon humeur maussade et… Hein ? Quoi ? Vous m’interrompez ! Hein ? Vous voulez savoir ce qu’il advint au club ? Qui cela intéresse-t-il ? Vraiment ?

Soit. Mais c’est bien pour vous faire plaisir. Je sais que je suis trop bon et que cela me perdra. Je le sais.

Enfin. Bon. Remontons le temps, rembobinons le film de ma lamentable existence.

Donc, en ce vendredi soir, à l’hôtel, j’avais mis la chemise blanche, la veste de costume et le pantalon ridicule qu’on appelle habillé, même la cravate ficelle qui va bien et les mocassins. C’est simple, j’étais trop bô ! Genre Travolta dans Pulp Fiction. Cela dépassait l’entendement. Pas comme ces tarlouzes dégingandées qu’on voit partout. Certes pas trop grand, mais massif, trapu, campé sur mes appuis, la carrure d’un gorilla ou d’un oran-outang, si tu veux. Ma veste ne tolérait pas le bouton, baillant aux épaules. Trop petite ? Pfff !

J’étais si beau que je ne résistai pas à l’impulsion de me faire un bisou sur la main. Quoi ? Je suis bouffi de prétention ? Non réaliste, c’est tout. On est beau ou pas. Je suis. Et puis la vie m’a appris un truc fondamental : aime-toi, parce que personne d’autre ne le fera.

Je tentai d’éviter de polluer mon esprit de préjugés concernant cette soirée où j’appréhendai de m’ennuyer à mort au milieu de bourgeois séniles et pontifiants. Je n’aime pas les vieux et surtout les vieilles. L’ai-je déjà précisé ? Ils sont cons, c’est aussi simple que ça et c’est tout ce que l’âge apporte à l’humain, la connerie. Une égalité fondamentale de l’existence, c’est :

vieux = con

Oui, cela se résume à ça. Rien de plus, rien de moins. Rares sont les égalités aussi vraies et simples. Prolonger l’existence est en soi une ineptie, il faut mourir jeune, c’est la seule alternative raisonnable. Vous me direz que la raison est le bien le plus mal partagé au monde. Je vous dirai que vous êtes plus intelligent que Descartes. Oui, au masculin, je n’imagine pas une femme faire cette constatation. Passons.

Vers 22 heures, garé, je bondissais à l’entrée de ce lieu mystérieux, passais le cerbère de la porte et me trouvai accueilli par une hôtesse très (trop) courte vêtue : on voyait sa culotte au moindre mouvement.

— Monsieur, votre masque…

— J’ai pas covid !

— C’est pour votre anonymat.

— M’en fout !

Elle haussa un sourcil.

— Vous allez faire un malheur ce soir…

— Sérieux ? Pourquoi, tu me dis ça ?

Elle consentit à sourire et, soulevant un lourd rideau de velours carmin, me livra passage vers une grande salle à l’éclairage très cosy. On entendait une musique ringarde des années 80 en sourdine. Sur la droite l’inévitable bar avec le scintillement de piles de verres et de bouteilles. Des canapés, un mobilier suranné, au plafond, une verrière. Mais, par dessus tout, des femmes déambulaient en guêpière, bas résille et masque ou voile cachant le bas du visage. Un festival de vieilles d’au minimum la quarantaine bien sonnée, avec les bourrelets et la flasquitude qui va avec cet âge avancé. Les femmes ont une promptitude coupable à faire sauter leurs vêtements à la moindre occasion. Passé un âge limite, elles devraient se contenter de leur salle de bain, je dis ça, je ne dis rien.

De-ci de-là, des couples se frottaient et se bécotaient : chauve plus vieille, le cocktail détonnant. Pour un observateur comme moi, il y avait là de quoi s’émouvoir. J’étais sonné comme par un uppercut à la mâchoire, je titubai à la limite du KO ou du chaos, c’était tout comme. Des regards concupiscents se portèrent sur moi, manifestement, mon entrée ne passait pas inaperçue, on se demande bien pourquoi, je fais toujours cet effet quand je me pointe quelque part.

Une femme au décolleté pigeonnant scandaleux, masque de perles, yeux fardés comme une pouffe, vint à ma rencontre, tourna lentement autour de moi, laissant son index me frôler, m’observant attentivement comme une marchandise sur un étal. Se pouvait-il que… Non ! La mère Chiffon en mode pouffi, à consommer sans modération ? J’étais choqué !

Il ne manquait plus qu’on nous passe « you never can tell » de Chuck Berry pour qu’on entame un twist lascif. Mais où étais-je donc tombé ? C’était une autre dimension dans laquelle les femmes masquées et odieusement maquillées étaient les plus sincères et honnêtes qu’elles ne pourraient jamais l’être, qu’elles affichaient leur réelle personnalité profonde, qu’elles étaient elles-mêmes. Moment rare dans l’existence d’un homme. C’était vertigineux.

— Lorenzo, je vous choque ?

— Bah…

— Regardez-moi dans les yeux… Plus haut, mon cher… Voilà, ici...

— Je regarde, je fais rien de mal…

— Mais non… Ici tout est permis… Vous avez envie…

— Non, non… Je ne fais que passer… Touriste.

— Allons… Une femme sent ces choses-là.

— Sérieux ? C’est d’avoir le cul à l’air qui vous donne ce pouvoir ?

— Lorenzo ! pouffa-t-elle.

Me prenant la main, elle m’entraîna :

— Venez dans la chambre des plaisirs. Je vous ferai découvrir un univers de charme.

— Vous avez un truc en tête ? C’est cochon ?

— Venez ! Vous etes un vrai gamin, vous savez?

— Madame Chiffon…

— On devait pas parler… boulot…

— Lorenzo !

— Madame Chiffon…

— Caroline !

— Heu… OK OK… mais… Heu… c’est qui ces gens ?

— Ne vous occupez pas d’eux, ce sont des amis.

— Vous allez me faire du mal ?

Tout en riant, elle me conduisit dans la chambre des plaisirs. On y copulait avec un entrain qui donnait le sourire. C’était à la fois bestial , jovial et parfaitement ridicule. Des mains féminines, pleines de bagouzes, mais certaines atrocement fripées, s’empressèrent sur moi. Mes vêtements ne firent pas long feu, je me retrouvai rapidement en chaussettes, le sgeg dressé. Dans ma jeunesse, j’aurais hurlé KOWABUNGA, aurais sauté partout et me serais balancé au lustre suspendu, comme un possédé. Mais j’avais mûri, je n’étais plus l’étalon fou-gueux et insatiable de plaisir. Non, j’observai ces femmes et surtout Caroline à qui j’enlevai son voile pour contempler son visage et ses expressions quand je la posséderai, cette femme qui semblait si honnête et sage, le bon goût personnifié, la patronne irréprochable, la mère de famille parfaite, l’épouse responsable. Comment une telle duplicité était-elle possible ? Moi, quand on m’observe, on sait que je suis un enfoiré de première, irrespectueux de tout, porté à toutes les excentricités. Point de surprise. Mais cette femme qui affiche sa dignité partout où on la croise et vous regarde de haut ?

Tandis que nous devisions avec Caroline et… d’autres dont je n’ai pas retenu le prénom, le temps semblait s’être arrêté. On m’a prédit jadis, que je mourrai d’avoir trop baisé. Je m’en fous ! Je suis fait pour ça, je suis doué pour ça, c’est mon truc, je n’y peux rien.

Combien de temps cela dura-t-il ? Combien de meufs avais-je ramoné ? Avais-je atteint les « mile et tre » ?

J’errai dans une sorte de béatitude, en totale conjonction avec l’univers. J’étais à ma place. Je baffai des salopes, je fessai des fessus, j’empoignai, je tordais, je jetai, je lançai, je shootai… mon sgeg furetait, fourrageait, perforait en mode percussion tout ce qui se présentait, avec une sorte de frénésie, un rythme ancestral… Un monde d’harmonie et de grâce emplissait ma conscience. Je subodorai tous les secrets de l’univers. J’étais un Dieu.

Beaucoup de femmes m’ont soutenu qu’il est impossible qu’un mec copule plusieurs fois de suite. Arrête de fumer et de picoler, cousin, et tu vas voir la différence ! Et surtout, baise tant que tu peux, c’est un sport, il faut de l’entraînement.

Caroline me sortit de mes réflexions :

— Lorenzo, c’est impossible que tu repartes !

— Pourquoi ?

— Je ne pourrais pas le supporter.

— Sérieux ? Mais nan...

— Tu m’as fracassée comme jamais un mec… Non, un homme ne ferait jamais ça à une femme...

— Tu dis ça pour me faire plaisir…

— Non, je te jure… J’ai des bleus partout. J’ai pris la tannée de ma life.

— T’es bonne toi. Ton mari te fait jamais des mamours ?

— Ce pauvre Frédéric… s’il savait...

— Faut absolument revenir vendredi prochain, mon chou, me fit une vieille qui tétait ma queue gouluement. Mon mari adore vous regarder.

Elle me désigna un vieux vicelard qui se branlait en matant sa femme sucer un mec. J’y fis coucou, remettant sa chère et tendre au fourneau, d’une main ferme. Faut pas laisser refroidir l’instrument.

Mais soudain, un vacarme se fit dans la grande salle. Des éclats de voix. La police ? J’eus une frayeur ; avais-je tué quelqu’un sans m’en rendre compte. Des fois mon enthousiasme me dépasse.

— Je veux voir ma femme ! Je sais qu’elle est ici, cette dévergondée !

— Monsieur, c’est privé ! Vous ne pouvez pas entrer !

— Caroline ! Espèce de...

— Monsieur, vous n’avez pas le droit !

— C’est ma femme, la mère de mes enfants ! C’est une honte !

— Monsieur, je vous préviens…

— J’ai un pistolet ! Je vous avertis, je vais tirer ! Reculez, je tire, moi, je tire !

— Il est fou ! C’est un malade !

Caroline, pâle comme la mort, s’extirpa de l’amas de corps, s’empara d’un vêtement qui traînait et se couvrit la poitrine. Pourquoi la poitrine et pas… Mystère.

Manifestement, monsieur Chiffon était là. Un bonhomme dégarni, tout gris, avec la barbe de trois jours à la mode, fit irruption, scrutant les personnes présentes. Évidemment, son regard s’arrêta sur moi parce que Caroline se cachait dans mon dos.

— Monsieur, c’est une honte ! Ce que vous faites est… scandaleux.

— Pourquoi moi ? Il y en a d’autres ici ?

— Vous êtes le seul sur ce... sofa, monsieur !

— Sérieux ? Mais non…

Le bougre n’avait pas tort. Les autres pétochards de Français avaient fui et s’étaient planqués. Je restais le seul mec au milieu d’un groupe de femmes à poil. J’en ai marre des maris cocus, ça devient lourd à force. Était-ce donc lui le commandatore de Don Giovanni ? Celui qui venait demander des comptes et précipiter le « méchant » dans les enfers ?

— Monsieur, je vais vous tuer ! fit-il, me braquant un ridicule revolver sous le pif.

— Permettez au moins que je remette mon calebar !

— Soit, monsieur… Votre nom !

— Lorenzo Bueno, consultant, en mission dans l’entreprise de madame Chiffon. Je tiens à préciser que je suis innocent. Je suis venu ici pour parler boulot. On m’a violé sans mon consentement.

— Êtes-vous sérieux ? Ne vous fichez pas de moi ! Je tire, moi, je tire !

— Si vous saviez de quoi ces ogresses sont capables. La perversité féminine n’a pas de limite !

— Soit, je n’en disconviens pas… Ma femme en est un flagrant exemple… Cependant…

— Frédéric ! s’exclama Caroline, scandalisée par ces accusations infâmes et mensongères.

— Peut-être pourrions-nous en discuter autour d’une chopine et d’une frite. J’ai une petite fringale. Vous me tuerez après, fis-je, terminant de me rhabiller.

— J’y consens. Mais je vous tuerai après. Pas de blague, je tire, moi !

— Ouais, tu l’as déjà dit.

— Vous le comprenez. Il faut marquer le coup.

— Je ferai pareil, c’est correct. En tant que golfeur, je sais reconnaître le fair-play.

— Vous êtes golfeur ? Oh, mais...

— Vous n’allez pas nous le tuer, intervint une femme à l’opulente poitrine qui vint s’interposer.

— Mais enfin, madame… couvrez-vous !

— Non, non. Ce n’est pas possible, fit une autre, se drapant de sa dignité outragée. Pour une fois qu’on a un mec qui peut bander ! Partez monsieur le cocu ! Ouh ! Va te cacher !

— Oui, ça suffit comme ça, tu me fais honte, éclata Caroline. Tu perds la raison Frédéric !

— Je suis armé ! Je vous préviens que je vais tirer ! Si vous bougez, je tire, je tire !

Et cela partit dans tous les sens. Des baffes claquèrent comme des pétards : le pauvre bougre prenait une volée terrible d’un groupe de femmes très énervées. Le type fut jeté dehors sans ménagement.

En sortant, l’air frais de la nuit me fit frissonner. Je trouvai monsieur Chiffon prostré sur le trottoir, chialant comme un désespéré. Une femme mérite-t-elle les larmes de l’homme ?

Je le relevai :

— Viens frérot, faut pas te mettre dans des états pareils pour une femme. Elles rendent les mecs fous.

— Oui, elles rendent les hommes fous ! Mais je l’aime, vous comprenez...

— Heu… En ce moment, on me reproche souvent de ne pas aimer… Ce qui est faux… Enfin, je crois.

Frédéric me regarda avec étonnement.

— Vous avez trombiné ma femme ! J’aurais dû vous tuer…

— Pourquoi moi ? Je ne suis pas le seul…

— Ce n’est pas faux… La salope… La salope !

— Toutes des salopes. La femme est la ruine de l’homme.

— C’est tellement vrai, ce que vous dites, mon ami. Si vous saviez tout ce que j’ai fait pour elle…

— N’attends pas de reconnaissance de la part d’une femme, tu seras déçu.

— Vous êtes marié ?

— Dieu m’en préserve.

— Salaud ! Je vous hais !

— On va manger une frite ?

— Je connais une brasserie… Mais vous invitez.

— J’ai des tickets resto… Viens frérot, j’ai la fringale, moi.

La vie de l’homme n’est faite que de désillusions. Frédéric se lamenta en buvant la chopine. Je l’écoutai. Nous convînmes de nous faire un 18 trous au golf de l’Empereur.

Il était temps d’aller dormir un peu, le lendemain, j’avais de la route à faire.

Bzzzz !

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