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Le dimanche matin, j’allai courir, accompagné des filles en vélo, Liliane préférant rester seule (pour filer à une consultation d’urgence chez sa thérapeute). Elle avait des nœuds existentiels coincés quelque part, un truc de filles, probablement. Les femmes ne peuvent pas accepter la réalité de l’existence.

J’aime courir, sentir le vent sur mon visage et la brûlure des muscles sollicités, l’effort palpable, être confronté au réel. Il faisait beau pour la Belgique : il ne pleuvait pas. C’était froidure, humidité, bouillasse, brume de l’aube, mais pas de pluie. Beau temps quoi. Malgré le vélo, les filles avaient du mal à suivre, allant trop lentement, les vélos titubaient, c’était la menace de la chute à tout instant, ponctuée de cris et d’interjections.

— Loulou, ça monte ! Tu vas trop vite !

— Il y a plein de bosses et ça glisse ! On va tomber !

— Attends-nous !

— Loulou, on va dire à m’man que t’es méchant !

— Pédale et tais-toi !

Oui, le monde n’est fait que de difficultés et de souffrance. J’allongeai la foulée, bondissant, réglant ma respiration à l’intensité de l’effort. Une chose s’imposa à ma conscience : depuis quelque temps, je ne baisais pas suffisamment pour mes besoins vitaux, j’avais un trop plein d’énergie, c’était évident. Allai-je exploser ? Fallait-il être moins sélectif avec les femmes et baiser ce qui se présentait ? La perplexité s’empara de moi.

Nous allâmes faire le bonjour aux canards du lac de la Soupière, fort déçus que nous n’apportions pas de pain, endroit très bucolique, entouré de belles propriétés bourgeoises, alternant le moderne et le rococo. Ai-je dit que contrairement à la France, tout est beau en Belgique ? Hein ? Je suis de mauvaise foi ? Moi ? Nan… Demandez aux canards, ils vous confirmeront.

Pour le retour, nous prîmes par les rues calmes et somnolentes du Dimanche, passant devant les grosses BMW et les Mercedes, aboyés abondamment par les malinois. Ai-je précisé qu’en Belgique, il n’y a que de belles autos ? Hein ? J’exagère ? Pfff ! Je suis transgressif ? Si peu…

L’après-midi se liquéfia, mortelle, comme un Dimanche quoi. Je hais les Dimanches, jours détraqués, malades, pause intempestive dans le rythme vital. Comme si l’on s’arrêtait de vivre une journée sur sept... En cette journée, on se sent tellement en insécurité, comme sur un pont branlant au milieu d’un précipice. Quoi ? Je délire ? Sûrement pas. Il arrive toujours des trucs fous les Dimanches. Genre ? Des dingueries, vous ne me croiriez pas.

Liliane parlait seule (au téléphone); les gens ne se rendent pas compte de l’image qu’ils renvoient en causant dans leur bidule, faisant des gestes et des expressions que personne ne voit. Elle avait tellement de choses à dire qu’elle n’avait pas le temps d’un mot pour ses filles ou moi, de temps en temps, un petit signe de tête ou un geste d’agacement.

Nous fîmes quelques parties d’échecs avec les filles qui se conclurent en bagarre, mêlée générale, sur le désaccord habituel entre Griffondor et Serpentard, cette dingue d’Océane étant irrémédiablement amoureuse de ce cafard de Drago… Pour ceux qui n’y comprennent rien, relisez HP, oui, les livres, avec du papier, enfin s’il y a encore des gens qui lisent en ce monde.

Liliane s’interposa, très contrariée.

— Vous êtes complètement dingue ! Lorenzo, tu es un vrai gosse ! Tu donnes un exemple déplorable à mes filles !

— C’est Loulou ! Il a dit que je suis trop niaise !

— C’est ta faute Océane ! plaida Ilana.

— Ne recommence pas, toi !

— Elle m’a jeté un sortilège d’impérium, me défendis-je.

Tandis que la discussion battait son plein entre la mère et les filles, je m’éclipsais.

Prendre mon sac, le jeter dans la voiture, partir pour de nouvelles aventures. Pourquoi hésiter ? Je ne leur manquerai pas le moins du monde. Si ? Peut-être un jour ou deux guère plus. D’ailleurs en réalité, ce serait mieux pour elles, ce serait leur rendre service en fait, parce que ma destinée est d’être seul pour vivre des aventures dingues et dangereuses, pas pour pantoufler dans une vie conventionnelle.

Sans même m’en rendre compte, j’avais les clés de la voiture en main. Liliane m’interpella :

— Lorenzo, tu fais quoi ? Tu sors ?

— Hein ? Quoi ?

— Tu es bizarre en ce moment ! Il faut qu’on parle !

— Qu’on parle ? Mais comment peux-tu encore parler… Tu n’as pas arrêté de…

— Cesse tes sarcasmes ! Mon amie Edwige dit que tu as une maîtresse ! Qui est cette pouffe !

— C’est du délire ? Tu m’accuses ?

— Oui ! Pourquoi me quitter sinon ?

— Tu ne pourrais pas comprendre.

— Tu veux me quitter ?

— C’est compliqué.

— Salaud ! J’en étais sûre ! Tu veux me faire mourir ! Et les filles ? Elles ne s’en remettront pas !

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? T’es trop à cran… Je vais chercher des cigarettes et je reviens…

— Tu ne fumes pas ! Je t’interdis !

— Mais enfin Liliane…

Liliane faisait sa crise, c’était parti. Elle ne me lâchait pas du regard, respirant vite, se tordant les mains, allant et venant. Je pris pleinement conscience du peu de liberté qu’il me restait… C’était cher payer un certain confort matériel, non ? Cele en valait-il le coup ?

Soudain, elle se précipita dans mes bras et fondit en larmes.

— Qui est cette salope ? murmura-t-elle.

— Mais de qui tu parles ?

— Cette femme qui t’éloigne de moi ! Dis la vérité pour une fois !

— La vie de… Il n’y a personne !

— Menteur !

— C’est la vérité !

Elle plongea ses yeux dans les miens.

— Tu ne m’aimes pas…

— Mais si.

— Tu ne me le dis jamais.

— Mais si.

— Menteur !

Elle me serrait fort, se crispant comme une désespérée à une bouée.

— Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ?

— Mais de qui tu parles ?

— Elle est plus jeune, c’est ça ? Pff ! La belle affaire ! Elle ne t’aimera jamais comme moi… Qu’est-ce que tu cherches ailleurs que tu n’as pas ici ? Rien !

Cela me fit repenser à un tube des années 80 de Shaka Khan, « i’m every women » :

I'm every woman, it's all in me

Anything you want done, baby

I'll do it naturally

I'm every woman, it's all in me

I can read your thoughts right now

Every one from A to Z

Non, elles se trompent celles qui croient ça. Chaque femme est différente, c’est une aventure, un challenge, mais il faut l’esprit du chasseur pour le ressentir. Quoi ? C’est scandaleux ? Non. La monogamie n’est pas inscrite dans les gènes humains, voilà tout. C’est aussi simple que cela.

Pouvais-je en parler à Liliane ? Certes non.

Elle attendait une réponse, un aveu mais rien ne venait et son agacement ne faisait que croître. Évidemment ! Je n’avais rien à avouer, j’étais innocent, je n’avais rien fait de mal ! La loi défend de s’incriminer soi-même, non, madame le juge?

Liliane explosa :

— Lorenzo, je te préviens, si tu me quittes, je vais voir Lefut et je lui demande d’annuler la procédure de naturalisation ! Il ne me refusera pas !

— La salope ! Mais la salope ! Tu me menaces ? À moi, tu me menaces ?

— Oui ! Je te préviens ! Je t’aurais prévenu ! Tu resteras un misérable Français !

— La vache ! La vache !

Mais comment peut-on ? Comment ? Elle te raconte qu’elle t’aime, elle parle de sentiments et l’instant d’après, le coup de poignard dans le dos ! Mais non ! La méchanceté des femmes ! J’étais choqué, me sentant horriblement pris au piège.

C’est à ce moment que je reçus un appel ; c’était madame Chiffon.

— Lorenzo, j’ai désespérément besoin de vous, la semaine prochaine !

— Nouveau contrat…

— Un nouveau contrat ? Mais pourquoi ? Il suffit de prolonger…

— Nouveau tarif…

— Oh… Le salaud ! Mais quel…

— Je vous entends mal madame Chiffon… La ligne est brouillée…

— C’est d’accord ! Rapace !

— J’ai toujours pas reçu mon fric de la mission précédente.

— Oui ! Je sais ! Il n’y a que l’argent, alors… Je croyais qu’après ce qu’il s’était passé au club…

— C’est le business, rien de personnel.

À ce moment, précis, un truc dingue se passa : Liliane m’arracha le téléphone des mains.

— Je suis sa femme et je vous préviens que… Hein ? Quoi ? Il vous… Non… Il a fait ça ?

Liliane me regarda, scandalisée, comme si j’étais le dernier des salauds.

— Lorenzo, tu tentes d’abuser de la situation de cette pauvre madame Chiffon qui a besoin de toi ?

— Rends-moi ce téléphone !

— C’est ignoble de lui faire ça !

— Liliane ! Te mêle pas de mes affaires...

— Il viendra, madame Chiffon, ne vous inquiétez pas…

Oui, je l’avoue, j’ai eu envie de flinguer Liliane. Un accident, un regrettable accident, madame le juge, à l’insu de mon plein gré…

Liliane venait de commettre l’irréparable : elle venait de toucher au grisbi ! Ça ne se fait pas, frérot.

J’étais d’une humeur massacrante, tandis que Liliane était manifestement très satisfaite. Je la haïssais !

Comment se passa la soirée ? Un coït furtif et brutal qui parut satisfaire pleinement ma « compagne ». Je réfléchis mieux après avoir baisé, c'est d à la libération de monoxyde d'azote. Oui, il faut lire les livres...

Je méditai un plan dans la nuit.

Bzzzz !

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