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Qu’allais-je faire pour la nuit ? Aller chez Chiffon me vautrer dans les draps de soie et être son sex-toy obéissant dans l’espoir de toucher mon fric plus vite ou dormir sur le canapé Trolldur d’Ikea de Delphine, bouffer des gnocchis et faire une partie de scrabble ?

C’était trop ! Je n’avais point mérité une si sévère infamie. Je sombrais, certes mais au moins, je le ferais avec la classe.

Rentrer en Belgique ? C’était m’exposer à donner un million d’explications à Liliane et avouer un nouvel échec serait m’exposer encore plus à ses volontés et ses critiques acerbes. Je n’en avais pas la force.

Dormir dans la voiture ? Avec ce froid du ch’nord, c’était un suicide… je n’étais pas prêt ! Un suicide ça se prépare, ça se médite, ça se conçoit, ça se travaille. Pas pour moi !

Delphine se préparait à partir, s’emmitouflant dans sa doudoune et enroulant ses deux écharpes multicolores autour de son cou.

— Dis Lorenzo, tu viens chez moi, hein ?

— Nan écoute Delphine, t’es gentille, mais ce serait pas…

— Mais pourquoi ? C’est rapport à ta femme ? T’as rien à craindre. Tu sais moi les mecs j’en ai ma claque! Ils m’en ont trop fait ! Trop ! On a beau être gentille et aimable, faire toutes leurs volontés, pfff ! Que des salauds, des menteurs, des malhonnêtes ! Maintenant, je suis comme Anaïs, j’aime les filles. Tu vois t’as rien à craindre. Et puis, en ces périodes de fêtes, j’aime pas être seule chez moi…

— Ta famille ?

— Ma mère… C’est pas simple… C’est...

Troublée, elle s’interrompit un instant, pensive.

— J’ai fait un sapin de Noël ! Allez, ça sera cool !

La tristesse se lisait sur le visage tout doux de Delphine. Pourquoi une fille aussi jeune était-elle à ce point triste ? La France est un pays sans espoir ni espérance qui désespère sa jeunesse. C’était le constat que je tirai sur le moment. J’étais content d’être Belge à présent !

— Sur ton canapé Ikéa… Je pourrais pas… fis-je, à bout d’arguments.

— On partage mon lit, en copain !

— T’es sérieuse ? Avec moi ? Mais tu sais rien de moi ma pauvre Delphine.

— C’est vrai. T’es pas sur les réseaux ! T’es bizarre comme mec ! C’est pas normal que t’es pas une page FB, Tiktok ou… C’est parce que t’es trop vieux ?

— Je suis pas vieux !

— Si quand même…

Delphine pouffa de rire de mon expression d’agacement.

— Je sais pas pourquoi, mais je sens que je peux avoir confiance en toi. T’es pas comme les autres mecs à faire des manières pour tenter de me sauter. Toi… tu dis toujours ce que tu penses. Tu viens, on rentre ?

— Non, merci, mais non…

Delphine me prit le bras et sans plus écouter, m’entraîna. C’est ainsi que je me retrouvai, contre mon gré, chez Delphine, son chat Pitou et son sapin ridicule avec des décorations faites de vieux CD. Elle n’arrêtait pas de parler, de raconter des trucs, de rire toute seule, d’aller et venir dans son petit appartement, de me demander de faire la vaisselle, de l’aider à faire la bouffe… C’était comme si j’étais dans une autre dimension. Je sombrais. Je sombrais comme le Titanic.

Le téléphone sonna et ma messagerie s’encombra de messages de la Chiffon qui devait s’impatienter. Je lui envoyai un texto pour l’avertir que j’avais finalement trouvé un B&B sur les conseils de Liliane. Cela mit fin à ses messages. J’allais devoir la travailler au corps pour toucher mon fric.

J’appelai Liliane. Elle n’était pas joignable, au spectacle probablement ou au resto ou... Je ne sais pas pourquoi, j’aurais aimé lui parler, même pour lui mentir, avoir l’impression de compter pour elle. Oui, quand la vie part en couille, on se raccroche à ce qu’on peut. J’en étais là, bordel ! Moi !

La soirée se passa devant la téloche à regarder une fiction Frankaoui, avec des gens de gauche plein de bonnes intentions sociales, qui pensent comme il faut et qui font ce qu’il faut… la beurette de service et le bon Français tout con… Delphine hypnotisée par l’histoire, assise en tailleur avec Pitou dans ses bras, était collée à moi. Bêtement, je m’endormis.

— Lorenzo ! Réveille-toi ! Tu ronfles !

— Hein ? Quoi ? C’est pas moi ! J’ai rien fait ! J’étais même pas là !

Delphine me regarda amusée.

— Bin alors Pépé, ça va pas ?

— Si, si, c’est l’éclate totale !

— Tu vas mourir ?

— C’est pas au programme.

— Viens te coucher… Putain, des fois tu fais peur. T’es bizarre comme mec quand même.

— Je peux marcher tout seul, merci !

— T’es sûr ?

— Assez ! fis-je me dégageant d’elle.

Tandis que Delphine était à la salle de bain minuscule, je me pieutai. Allai-je pouvoir dormir dans ce lit, dans cette chambre minuscule, dans cet immeuble modeste, dans cette ville prolétaire ? C’était simple, rien n’allait.

Delphine apparut, vêtue d’un tshirt smiley, s’arrêtant à la culotte qu’elle s’empressa d’ôter et de jeter sans plus de manière. J’admire cette facilité des filles à se désaper et surtout cette propension à se mettre à poil. C’est surréaliste.

— Delphine, tu fais quoi ?

— Bah, je me mets au lit, fit-elle, le plus sérieusement du monde, se couchant.

Elle fit à peine bouger le matelas en s’allongeant et se glissa contre moi. Le contact de sa foune contre ma cuisse m’électrisa.

— Delphine, tu fais quoi ?

— Bah, je me réchauffe. T’as de ces questions.

L’orage grondait en moi, un tumulte puissant, un vacarme, une clameur s’élevait. Le tam-tam battait la mesure de ma frustration. Cette proximité "founesque", cette grenade dégoupillée, ce corps féminin collé à moi… Mais j’étais le nouveau Lorenzo ! Le Belge ! Je me devais d’être un mec bien et honnête.

— Dis Lorenzo…

— Hein ?

— Je sais pas pourquoi, mais avec toi, je me sens bien, tu vois…

— Ah ouais…

— Oui ! Pas comme avec les autres mecs que j’ai eus…

— T’en as eu beaucoup ?

— Bah, quelques-uns quand même… Ça te choque ?

— Nan… C’est ta vie… J’ai pas à juger.

— Mais si t’étais mon mec, ça te choquerait ?

— Nan…

Elle se redressa pour m’observer.

— Tu te fiches de moi, hein ? fit-elle, me donnant une tape sur l’épaule.

— Presque pas.

— Je sais jamais si t’es sérieux… T’es bizarre comme mec.

— Oui, tu l’as déjà dit.

— En vrai, ça te choque ? Ça t’empêcherait de… de…

— De quoi, bordel ?

— De m’aimer quoi ?

— Hein ? Mais c’est quoi cette question ?

— Bah, c’est simple ! De m’aimer quoi ? Est-ce que tu pourrais m’aimer… un peu.

— Moi ? Pourquoi moi ?

— Bah t’es un mec ! Réponds à la question !

Il y avait un phénomène bizarre dans ma vie concernant l’amour et les sentiments. Pourquoi toutes les filles me posaient cette question ? Est-ce que j’en pose des questions moi ? Tandis que je méditais quoi lui dire, elle dessinait des huit sur ma poitrine. Que répondre ? Que je ne pourrais pas l’aimer et lui faire de la peine, ou lui dire que je pourrais et la décevoir ? En réalité, je n’en savais rien et même en tant que nouveau Lorenzo, je ne voulais pas le savoir. Pouvais-je aimer une Delphine ? Elle était adorable, folle, niaise, bavarde, bordélique, superficielle… Mais tellement adorable.

Elle reprit :

— Tu vois, je suis trop gentille en fait, je ne sais pas dire non, alors, les mecs en profitent. Moi j’imagine qu’ils vont être reconnaissants… Pfff ! Même un peu, ça me suffirait, tu vois, même un peu...

— Ils sont pas ?

— Ben non ! Des salauds ! Je me disais que si j’étais gentille on m’aimerait… Pff ! Ils me baisaient comme des porcs et m’oubliaient aussi sec.

— Ah… C’est rude.

Delphine resta silencieuse. Un moment, j’ai cru qu’elle s’était endormie et que j’allai avoir la paix.

— Tu vois, avec toi, je me sens en sécurité, comme si rien de mal ne pouvait arriver...

— Tu dors pas ?

— J’aime bien parler avec toi, Lorenzo… Ça te dérange pas, hein ?

— Nan…

— T’es sérieux ?

— Mais oui !

— C’est ça qui est bien avec toi… On sent que tu es un mec gentil.

Moi gentil ? Cela se pouvait-il ? Et d’un coup, cela m’interpella, cette voix familière et tant redoutée, cette voix primale venue du fond des âges, ce reliquat génétique d’une époque primitive. Elle gueulait dans ma tête, à me rendre dingue : « Défonce-la ! Nique-lui sa race ! Taraude-lui l’oignon ! Fais-lui péter la rondelle ! Mets-lui profond ! Rlaaa ! Rlaaa ! »

— Dis, Lorenzo…

— Hein ? Quoi ? J’ai rien fait !

Je m’aperçus alors qu’elle m’observait dans le noir, je voyais un reflet dans ses prunelles. Et puis sa main me caressa la joue. Elle était douce.

— Lorenzo…

— Oui ?

— Tu bandes…

— Mais nan.

— Bah si ! T’as envie mon pauvre Loulou…

— Mais nan !

D’un coup, elle disparut ! Plus de Delphine, je suis là, j’y suis plus. Enfouie sous la couette, la fouine tétait mon dard avec une ardeur peu commune. J’étais choqué, non, scandalisé est le mot exact.

Devais-je m’en offenser ? Devais-je y mettre le oh là ! Telles étaient les questions que je me posais. Hélas, il était trop tard pour les questions. Je n’avais plus la main sur mon cerveau, le mal était fait, la mèche allumée se consumait inéluctablement, l’explosion imminente allait tout ravager…

Le bon Lorenzo avait fait place à l’autre… le jouisseur impénitent. Je m’emparai d’elle comme d’un trophée, la soulevait comme une plume. Je l’entendais parler comme dans un songe, ses mots étaient couverts par la litanie sordide et assourdissante : « défonce-la ! défonce-la ! ».

La bête était lâchée : Delphine était le plat du jour. Une Delphine, une... Envoyez !

Avais-je déjà trahi ma résolution ? Que nenni ! J’étais innocent, tombé dans un traquenard ! Cette Delphine qui m’avait dit préférer les filles et qu’on partagerait le lit en copains ! J’avais été honteusement mystifié ! Voilà l'horrible vérité, vraie !

Le plaisir, la luxure prirent possession de moi et plus rien n’eut d’importance, alors. Seule la jouissance restait. Après des ébats houleux, je finis par m’endormir. Je crois que Delphine parlait encore, je ne saurais dire de quoi, mais cela me rassura : elle était toujours vivante.

Bzzz !

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