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Il y a des grincheuses qui chipotent dans le fond! Si ! Il me vient à l’oreille des remarques acerbes, comme quoi je serais une fois de plus infidèle à la pauvre Liliane. Que nenni ! Un coït furtif sur un serveur de fichier avec une espèce de dépravée vicieuse, cela ne compte pas! C’est juste un plan cul. D’ailleurs, je n’ai rien senti et j’ai simulé. Si, c’est possible, ce n’est pas l’apanage des seules femmes. Les hommes aussi le peuvent ! Enfin les pros de la copulation, qui ont suivi les cours intensifs de perfectionnement, les classes prépas de la baisouille. De plus le pauvre c’est moi, parce que Liliane est blindée de tunes et tromper c’est un acte volontaire avec une préméditation et une intention de mentir. Ce n’est aucunement mon cas, je ne coche aucune des cases.

Les faits, madame le juge : une femme m’a sauvagement chauffé alors que j’étais innocent de la moindre intention concupiscente. La dépravation de cette femme est pernicieuse et mon client est innocent ! Madame le juge, je demande la relaxe… Hein ? Je m’égare ? OK, OK. Reprenons.

Autre fait : Liliane sait pertinemment à quoi s’en tenir avec moi, elle connaît son homme. En résumé, il vaut mieux que je laisse ma libido s’exprimer parce que de toute façon, on me croira toujours coupable de tout. Condamné d’avance. Tel est mon destin.

Et pourtant, je suis irréprochable sur le coup. Le chapitre est clos.

Je bossais comme un perdu à remettre tout en marche et à vérifier les données à la recherche de fichiers indésirables ou corrompus. Par bonheur je n’en trouvai point. Cette attaque était étonnante : pas de demande de rançon, pas de données dérobées ou saccagées. On avait juste pris la main sur les serveurs et bloqués tous les accès avec un niveau d’accréditation maximum.

Hors ligne tout fonctionnait bien, l’heure était venue de remettre le site sur le réseau. Un dernier regard à la console d’administration ; tout était bon, pare-feu, antivirus… tout, même un backup complet des données avait été fait. C’était la totale, ceinture, air-bag, bouée, couche.

Par excès de prudence, j’installai mes logiciels maison de surveillance et de pistage pour le cas où un bâtard reviendrait à l’attaque et en dernier ressort, je changeai tous les mots de passe.

Avec un brin de fébrilité, je basculai finalement sur le net, il était deux heures du matin, l’heure du crime. J’étais seul dans la boite, silence de mort, obscurité inquiétante rompue par place par les indicateurs de sortie de secours, avec un sentiment de seul au monde particulièrement désagréable.

J’étais las, morose, triste et affamé, les yeux rougis. Malgré l’heure indue, j’appelai Liliane.

— Espèce de bâtard… Tu devais rentrer ! Tu as vu l’heure ?

— Bijou… C’est la panique ici... Je suis encore au boulot… comme un chien.

— Tu es au boulot ? Menteur ! Dans le lit de cette pouffe, oui !

— On ne traiterait pas une bête plus mal! J’ai rien becqueté…

— Je ne te crois pas ! Bascule en vidéo ! Fais voir !

Je fis un panoramique avec la caméra du téléphone. Il fallut tout montrer à Liliane dont l’insatiable curiosité n’était jamais satisfaite. Calmée et rassurée elle daigna me dire quelques mots réconfortants.

— Rentre, idiot ! Tu te fais esclavager ! Tu n’es même pas sûr d’être payé par cette salope.

— Je ne vais pas prendre la route maintenant… Quand paraîtra Aurore aux doigts de rose, de grand matin…

— Mais qu’est-ce que tu me raconte-la ?

Oui, à ma grande déception, Liliane n’était point sensible à la poésie d’Homère. Trouverai-je un jour, une femme qui me corresponde vraiment ? Bombasse, riche, aimant les échecs, pas chiante… Hein ? C’est un rêve ? Cela n’existe pas ?

Je n’eus pas le loisir de poursuivre ma conversation. Des alertes s’affichaient sur le moniteur ; une racaille tentait de s’introduire sans vaseline. Encore Trinity ? Il fallait que j’en aie le cœur net. Je récupérai rapidement son IP, et un maximum de renseignements puis emporté par mon zèle, je balançai mes outils de contrôle sur son ordi. L’instinct de prédation m’emportait. Avec fébrilité, j’attendais la réponse à mes attaques. Allaient-elles passer ? Il en allait de ma réputation.

Finalement, j’eus le contrôle de la machine de l’attaquant dans la plus grande discrétion. J’en eus des spasmes prostatiques, oui, j’avais un orgasme de satisfaction, mieux qu’avec une gueuse.

Que faire maintenant ? L’ordi du voleur était équipé d’une caméra, j’allumai et fus époustouflé par l’image qui se matérialisa : une meuf ! Une meuf hackeuse ?! Mais nan !

Non, je ne suis pas une pourriture de macho ! Mais les femmes c’est KKK : Kinder, Kirche, Kuche et pis c’est tout. C’est pas moi qui l’a dit. Hein ? Nan, je rigole… Je blague ! Si c’est vrai… La vérité si je mens.

Reprenons. La Trinity était une fille ! La salope ! Je détaillais l’image affichée : une mocheté, une monstruosité de la nature, en un mot comme en mille, une vilaine quoi. Un visage inquiétant avec des yeux charbons, des yeux de dingue, une frange mangeant le front, des lèvres noires… Une échappée d’asile en rupture de son traitement antipsychotique. J’imprimai la photo de sa tronche. Voilà, j’avais des éléments à filer à madame Chiffon. Elle allait devoir raquer sévère.

Je pompai le plus de données possible sur l’ordi de Trinity : carnet d’adresse, mails, historique des connexions, derniers logiciels utilisés, localisation… J’avais tout, jusqu’à la date de ses dernières règles et la marque de sa pilule. Si elle avait passé une coloscopie, j’aurais fait un tour dans son colon… Une sodomie virtuelle. Faut etre systématique on ne pas etre.

BAN ! RLAAA ! Sans un mot, sans la moindre forfanterie, implacable comme la foudre de Zeus, je la jetai dehors. Je suis un pro, pas le temps de déconner. Je suis le meilleur. C’est moi, LE Lorenzo. Le cerveau. Yes.

Je jubilais grave. Oui, je fus heureux en trois lettres. E-R-E.

Avec le sentiment ineffable du devoir accompli, je m’allongeai sur un petit canapé avachi qui sentait la misère ; oui, j’ai une vie de... Je savais que j’étais si excité que je ne pourrais dormir, mais au moins, je fermerai les yeux et compterai non pas les moutons mais le fric que j’allais soutirer à la Chiffon. Tarif de nuit frérot, c’est double ! L’argent fait du bien c’est comme ça, il n’y a que les socialistes de Français pour ne pas vouloir le voir.

Contre toute attente, je sombrai dans les bras de Morphée que je baisai avec sa sœur Rêve. Le truc à trois c’est mon fantasme, probablement dû au manque de sexe dans ma vie lamentable.

Je fus tiré du sommeil brutalement. On me secouait sans ménagement. J’ouvris les yeux et poussait un cri assez similaire au porcelet courroucé : huiiiiiii ! En effet, une tête horrible me surplombait, des yeux, mais des yeux… à donner une fausse couche à une enceinte jusqu’aux dents, une bouffie.

Suffoqué de peur, je repris brutalement mes sens, tiraillé entre l’envie de me cacher dans la corbeille à papier ou d’affronter le danger avec un gobelet jetable écolo. On fait avec ce que l’on a. Le ridicule est l’apanage des pauvres dont je suis.

Il y avait quelqu’un, je n’étais pas seul ! Qui ? La Trinity était là, en chair et… heu… en os parce qu’elle est anorexique cette meuf… Perfecto, jean noir, bottes de motarde et surtout un air farouche, mais contrarié quoi, l’air qu’ont les filles quand tu leur dis que tu veux pas de gosse, qu’il est pas de toi, que c’est une traînée, enfin tu me comprends.

Comment était-elle en réalité, en vrai ? Aussi moche que dans l’image renvoyée par la caméra ? Pire ! Cheveux blancs façon Drago Malefoy, très court sur la nuque, deux grandes mèches encadrant le visage, une frange descendant sur des yeux charbon avec le coup de crayon prolongé façon Néfertiti à la mode déplorable de « je le vaux bien », lèvres noires de zombie, la trentaine ou moins mais vieillie par sa maigreur et sa coloration capillaire. Une vision de cauchemar. Le sentiment qui me vint à l’esprit en la regardant ? Un goût de vomi dans la bouche comme quand tu t’es goinfré de chamallows. Il était trois heures et quelque du matin, cette nuit n’en finissait pas de me gonfler.

Manifestement je l’observai depuis trop longtemps pour sa patience.

— Tu regardes quoi comme ça, bouffon ? fit-elle avec impatience, importunée par mon regard appuyé.

— Babababa… Mais comment c’est possible ?

— Mais quoi bordel ?

— T’es trop vilaine ! Pourquoi on t’a laissé sortir comme ça ?

— Hein ? Tu me dis quoi ?

— Fais quelque chose, c’est pas possible ?

— Mais de quoi tu parles ?

— Fais un procès à tes parents ! Non… Deux procès… C’est grave là...

— C’est fini, oui ! Non mais, je rêve ! Tu t’es vu ?

— Bah je suis bô, c’est simple. Non mais toi… Attends, comment t’es entré ? Comment ?

Elle frémissait de rage, elle était sur le point d’exploser. La prise de conscience de sa laideur ? La vue d’un beau mec comme moi, à jamais hors de sa portée ? Allez savoir ?

Elle bredouilla un charabia incompréhensible et brandit finalement une carte d’accès.

— Ça t’en bouche un coin, ça, hein ? Hé oui, j’ai une carte !

— T’es qui, bordel ?

— C’est moi Trinity !

— T’es pas Trinity. Elle est bombasse, toi…

— Ça suffit ! C’est quoi le problème ?

— Tes cheveux… Ta face… ton corps… Faut tout jeter et tirer la chasse.

— Je vais te casser ta gueule, tu vas pas comprendre ce qui t’arrive !

Et voilà qu’elle se jeta sur moi et me bourra de coups de poings. Cela finit de me réveiller complètement et d’un mouvement fluide, je la jetai dans la pièce comme un sac de patate. Avec une agilité surprenante, elle se rétablit façon Ninjette et me braqua un flingue.

— Tu bouges plus ! Tu dis plus un mot ! Tu te tais ! fit-elle.

— OK. OK.

— J’ai dit silence !

— C’est juste pour dire que…

— Putain, je vais le buter !

— Non, mais faut te calmer… Tu vas péter une durite...

— Ta gueule !

Je restais coi. Elle marmonnait tout en brandissant son flingue, manifestement en proie à une grande colère, tournant en rond dans la pièce. Finalement, elle m’interpella :

— C’est toi l’informaticien manifestement. L’emmerdeur ! Tu pouvais pas rester tranquille ?

— Bah, je fais mon boulot ! Je bosse ! Je gagne de l’argent pour nourrir mes gosses !

— Pfff ! Connard ! Toi, t’as des gosses ?

— J’ai.

— Il y a une femme qui a bien voulu de toi ?

— Il y a.

Elle plissa les yeux, dubitative.

— Bon, perdons pas de temps, tu vas me filer les codes d’accès.

— Ouallou !

— Hein ?

— Macache ! Va chier !

— Oh le con ! fit-elle. Mais tu vois pas que j’ai les moyens de te faire parler !

— Fais-le avec l’accent allemand, c’est mieux, t’as déjà la tête Gestapo.

Elle resta bouche-bée, cassée, puis soudain, éclata de rire.

— Tu vas pas me filer les codes ?

— Never !

— Tu sais, je vais pas te tuer, t’es trop insignifiant et on me paye pas pour ça. Je vais juste te coller une bastos dans les burnes. Alors ?

— T’as pas le droit de faire ça ! Je dois baiser 1003 femmes comme Don Giovanni. C’est mon destin !

Elle ouvrit des yeux comme des soucoupes.

— Non mais… attends… Je comprends pas… T’es complètement barge, c’est ça ? T’es un demeuré ?

— Je te dis que je dois baiser 1003 femmes, c’est simple, même toi tu peux comprendre.

Elle dodelina du chef et me tourna autour. Je me levai et me dirigeai vers la porte.

— Hé ! Mais il va où le dingue ! Je te braque là !

— Je vais pisser !

— Non ! Attends ! Reste ici ! Pas un geste !

Elle se faufila et m’agrippa.

— Je viens avec toi !

— Nan, je vais pas pouvoir si je sais qu’il y a quelqu’un.

— Mais ce mec ! Tu comprends pas ce qu’il se passe ? Allô ! Mais allô quoi !

— Je pisse, je reviens, je te casse ta gueule et je te fiche dehors, fis-je en entrant dans les toilettes hommes.

Tout pissant et pétant, je songeais. Étais-je en danger ? Ma vie touchait-elle à son terme ? Avais-je peur ? Tout cela m’était étrangement indifférent. Il faut dire que ce n’était pas la première fois que j’étais braqué dans ma chienne de vie. Sans que je comprisse jamais pourquoi, j’avais parfois suscité une haine farouche à mon encontre. Il y a des gens qu’on aime haïr. C’est moi ; sans doute, mon innocence et ma gentillesse.

En sortant des toilettes, soulagé, mains lavées et séchées je trouvai la Trinity adossée au mur, bras croisé.

— On peut parler calmement, comme des adultes ? fit-elle.

— Tu veux parler maintenant ? Tu voulais me buter les couilles…

— Je veux toujours… Enfin… Attends, faut que je sache… T’en est à combien ?

— Combien de quoi ?

— De meufs ? T’en a baisé combien ?

— 1002.

Elle soupira, nullement convaincue.

— Sérieux ?

— La vie de…

— T’as baisé 1002 meufs ? Toi ? Avec ta tronche ?

— M’en manque une.

— Et après ? Tu fais quoi ? Tu arrêtes ? Tu prends ta retraite ? Tu te suicides ?

— J’ai le top score. Je peux mourir. De toute façon le Commandeur viendra me chercher et m’emmener…

— Tu te fous de moi !

— Moi ? Jamais.

— Tu vas me faire croire que tu écoutes Mozart ? fit-elle, insolente.

— C’est qui? Un pote à toi.

— Je vois. Il fallait que je tombe sur un comique. Alors écoute… Je te file 500 boules, tu me donnes le code d’accès et on se quitte bons amis.

— Nan.

— Non ?

— Nan. Je peux pas faire ça. J’ai un contrat et une mission. Je fais toujours le boulot pour lequel on me paie. Point c’est tout. Je suis un pro.

— Mais tu sors d’où ? Et pour mille ?

— Nan.

— Deux mille ?

— Nan.

— Fais chier !

Elle s’empara de son téléphone.

« Je suis tombée sur un connard. Il veut rien entendre. Je fais quoi ? Hein ? Un type… Vieux… Il dit qu’il a des gosses et une femme… C’est un menteur. Un consultant, je crois, il dit qu’il a une mission. Hein ? Son nom ? »

S’adressant à moi elle demanda :

— Comment tu t’appelles ?

— Neo.

— Le con ! Jamais tu t’arrêtes ? Dis ton nom !

— Bah toi tu me sors Trinity. T’es sérieuse ?

— Moi c’est Lisbeth ! Et toi ?

— Lorenzo.

Elle se détourna et écoutait son interlocuteur.

« Hein ? Belge ? Tu crois que... »

— Dis-voir… T’es Belge ? demanda-t-elle.

— Belge, je suis. Enfin, en bonne voie. Quasi Belge.

Reprenant sa conversation téléphonique : « C’est lui apparemment. Je fais quoi ? T’es sûr ? Et s’il veut pas ? Il a fait quoi ? Lui ? Mais non… Bon… OK. »

Elle rempocha son téléphone.

— Viens, on va voir mon employeur. Tu le connais. Frédéric Chiffon. Il t’invite dans son Penthouse en ville. T’as de la chance, racaille.

— Tu bosses pour le mari ? Bababa…

— Alors tu viens ?

— C’est que…

— Tu le regretteras pas… Tu sais qu’il est pété de tunes ?

— C’est que…

— Mais quoi ?

— J’ai pas confiance. Des promesses… Nan, j’y crois pas.

— Je te file, 1000 de suite. Alors ?

— Nan, plus. Deux mille.

— Mais tu me gonfles ! J’ai pas plus !

— Fais-voir !

— Alors écoute-moi bien, Lorenzo, prends les milles, sinon ça va barder !

J’empochai les billets en maugréant.

— Je t’aime pas du tout, tu sais ça ? fis-je.

— Si tu savais comme je m’en fiche ! Avance.

L’air froid du petit matin me cueillit et me fit mal. Lisbeth referma son blouson et me désigna une bécane vintage, une Triumph ou une Royal, je n’arrivai pas à décider, tant son engin était vieux et bidouillé.

— Tu me suis, fit-elle ? Pas d’embrouille ?

— OK. Ma pauvre, tu vas te peler.

— T’inquiète…

Elle m’observa grimper dans la BM et faire rugir le V8, puis baissa la visière de son casque et démarra.

Je la suivis sur les routes désertes en direction du centre-ville. J’aurais pu me carapater facilement et disparaître, mais j’avais envie d’en savoir plus sur toute cette histoire. Le Frédéric Chiffon qui piratait le business de sa femme en payant une hackeuse, c’était trop cool.

Lisbeth fonçait dans un tonnerre d’échappement sans chicane tandis que ma sono Harman Kardon diffusait Alcina de Haendel «Tornami a vagheggiar » . Elle serait sourde avant l’heure en plus d’être maigre et vilaine. La totale.

Le destin me conduisait-il vers un trépas indigne ? Reverrai-je ma femme et mes enfants ?

Telles étaient les questions que je ne me posais pas. Non, je cogitais sur le montant que je pouvais espérer de toute cette pagaille.

Le fric, c’est chic.

Bzzzz !

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