Chapitre 6

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Violette se tenait devant la porte de chez ses parents. À environ trente minutes de Paris, cette vieille maison briarde offrait un décor de charme. Le lierre courait au-dessus du porche, de belles jardinières étaient suspendues aux garde-corps qui protégeaient les grandes fenêtres blanches. Des volets en bois reposaient sur « les pierres à vue ». Un havre de paix à quelques minutes de la capitale. Ses parents l'avaient acquise après le décès de Florian. Hortense souffrait tant qu'elle avait exigé de quitter Vincennes. Elle avait besoin de calme et d'espace où étaler cette souffrance qui l'anéantissait.

Violette se figea quelques instants, le poing levé, se demandant s'il n'était pas préférable de faire demi-tour maintenant, puis elle ferma les yeux, prit une longue bouffée d'oxygène et toqua. C'est son père qui lui ouvrit :

— Salut ma grande ! Merci d'être venue, lui dit-il tout en la serrant dans ses bras. Tu vas bien ? Tu me sembles un peu pâle..

— Mais bien sûr qu'elle va bien ! Arrête de la couver, ce n'est plus une enfant, venait de siffler Hortense, signalant ainsi sa présence.

Félix lança un regard d'excuse à sa fille qui lui pressa le bras d'un geste rassurant puis avança dans le salon baigné de lumière. Les poutres en bois réchauffaient la pièce par leur matériau naturel et chaleureux qui faisaient écho au mobilier sobre de la salle à manger des Delambre. Un grand bahut en chêne, une longue table autour de laquelle trônaient six grandes chaises revêtues de tissu blanc, délimitaient le coin repas. Les grands rideaux en lin se mariaient aux diverses plantes vertes disséminées de part et d'autre de la grande pièce. L'intérieur de la bâtisse décorée avec tant de goût contrastait nettement avec la froideur de son hôtesse.

— Bonjour Maman, répliqua Violette tout en s'avançant vers sa mère pour lui offrir le bouquet qu'elle lui avait ramené.

— Ah ! Des pivoines !

Ses seuls trois mots, soufflés sur un ton méprisable renvoya Violette à son enfance. Même si elle tentait chaque jour d'oublier le rapport charnel qui la liait à cette femme, chacune des paroles venimeuses de sa mère la foudroyait sur place.

Des pivoines. Violette s'était encore plantée sur toute la ligne. Elle aurait dû acheter un gros bouquet de roses bourré d'épines.     

— Félix, ramène un vase, tu veux ?

En bon mari dévoué, Félix exécuta l'ordre. Violette se rapprocha du manteau de la cheminée, sur lequel étaient posées des photos de famille. Florian et elle petits. Puis plus grands. Elle s'attarda sur le sourire de Florian. Il lui manquait tant !

Tous trois prirent un apéritif sur la terrasse ensoleillée : un verre de vin sucré pour Félix et Violette, une margarita pour Hortense. Le jardin fleuri s'étalait devant leurs yeux. Sa mère s'en occupait avec passion. Plus petite, Violette l'avait souvent observée lorsqu'elle plantait ses hortensias ou taillait ses rosiers dans leur jardin de Vincennes. Hortense y passait des heures et Violette en passait autant à l'épier. Elle aimait regarder sa maman agenouillée, retourner la terre avec délicatesse pour y déposer ses précieux arbustes comme un enfant enfouirait un trésor dans le sable. Elle avait tant de fois rêvé se métamorphoser en l'une de ces fleurs. Les yeux fermés, elle tentait de sentir la caresse de la main gantée de sa maman sur sa peau. Elle se l'imaginait penchée sur elle pour humer son odeur comme elle se délectait du parfum de ses fleurs.

Elle émergea de ses vieux souvenirs et posa son regard sur sa mère. Le buste bien droit, celle-ci portait le cocktail à ses lèvres colorées dans un geste raffiné. Elle avait toujours eu la grâce d'une reine, ce qui la rendait encore plus distante et inaccessible à ses yeux.

Les conversations étaient animées par Félix ce qui la détendit. Les échanges avec son père étaient si faciles. Puis ils passèrent à table. Côtes de porc grillées au barbecue et tian de légumes chatouillaient leurs narines. Félix était devenu un véritable cordon-bleu au fil des ans. Ils se mirent à grignoter leur côte puis Violette s'exclama :

— Délicieux ! On a toujours adoré ça, pas vrai ?

— C'est vrai, s'enthousiasma Félix.

— Oh et Florian, vous vous rappelez ? Il détestait ronger, il lui fallait toujours son couteau et sa fourchette.

Félix et Violette rirent à cette anecdote.

  • Ça, il a toujours été délicat, lui.

Les rires s'évanouirent laissant place à un silence gêné. Félix se racla la gorge puis changea de sujet.

— Oh ! Comment s'est passé ton dernier combat ?

— Par un KO ! répondit Violette en adressant un clin d'œil à son père.
— Je ne comprends pas ton obsession pour ce sport ! reprit Hortense. Je n'ai d'ailleurs jamais compris la fascination de mon cher Florian pour ce sport de brutes, lui qui était si...

— Si délicat « lui », persifla Violette d'un ton appuyé.

Hortense foudroya Violette du regard.

— Oui il avait tant de qualités, c'est indéniable. C'est tellement injuste...

Violette serra les dents. Hortense se mit à renifler.

— Écoute Maman, je suis désolée de ce qui est arrivé mais...

— Désolée ? Si tu avais fait preuve d'un peu moins d'égoïsme ce jour là...

Violette sentit son cœur se soulever. Elle repensa immédiatement à cette soirée. Elle ne s'était pas sentie bien et Antoine était injoignable. Elle avait alors appelé son frère qui lui avait dit de ne pas s'inquiéter, qu'il arrivait. Elle avait fini par s'assoupir avant d'être réveillée par la sonnerie de son téléphone. C'était son père. Violette ne comprenait rien aux allégations de celui-ci. Quelques mots lui parvenaient ça et là, tentant de se frayer un chemin dans son esprit embrouillé. « Entre la vie et la mort ». « Accident de la route ». « Un chauffard ivre ». « Contre-sens ». Elle avait reposé le téléphone à l'issue de la conversation, avait regardé l'heure puis avait fait le tour de l'appartement à la recherche de Florian. Elle s'était rendue à l'évidence, il n'était jamais arrivé.

Antoine était enfin revenu et ils avaient filé à l'hôpital. Bizarrement les propres douleurs de Violette avaient disparu. En elle, ne subsistait que l'angoisse de perdre à tout jamais son frère. La violence du choc avait été telle qu'il avait fallu plonger Florian dans le coma après les interventions chirurgicales opérées en urgence. Hortense pleurait, hurlait. Les médecins lui avaient administré des sédatifs. Antoine s'était proposé pour la raccompagner tandis que Félix et Violette étaient restés au chevet de Florian.

Tout en serrant avec force la main de son frère, Violette priait, bien qu'elle ne sache pas comment faire. Elle s'en voulait tellement. Elle ne pourrait jamais se pardonner de l'avoir appelé s'il arrivait qu'il ne se remette jamais de cet accident. Ils avaient eu un infime espoir lorsqu'elle avait senti la main de Florian presser la sienne. Puis ses yeux s'étaient agités sous ses paupières. Elle avait alerté son père qui s'était rué dans les couloirs en criant aux médecins de venir immédiatement. Violette s'était redressée, avait caressé le visage de son frère, tandis que le sien était noyé de larmes silencieuses. Elle l'avait rassuré, dit qu'elle était là, que les médecins arrivaient, qu'il ne devait pas s'inquiéter. Il l'avait d'abord fixée puis lui avait murmuré quelques mots avant de refermer les yeux. À jamais.

Un long bip sonore avait retenti de la machine reliée au corps de Florian qui affichait une ligne plate et continue. Les médecins étaient entrés. Trop tard.   

Les larmes de Violette avaient envahi ses yeux.

— Tu ne sais pas ce que c'est que de perdre son enfant ! claqua Hortense avec rage.

Cette fois, les larmes jaillirent. Sur ces mots, Hortense se leva et quitta la table. Félix se leva et s'approcha de sa fille.

— Elle ne pense pas ce qu'elle dit.

— Si, bien sûr que si ! Il aurait été tellement plus facile pour elle que ce soit moi qui disparaisse.

— Ne dis pas ça.

Violette se leva, attrapa son sac puis sortit de la maison en claquant la porte.
Elle roulait, vite, trop vite. Elle aurait voulu croiser la route d'un autre chauffard ivre. Elle savait qu'aller voir sa mère raviverait ses plaies. Elle avait envie de frapper, d'extérioriser toute cette haine, de se débarrasser de cette douleur à tout jamais.

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