Chapitre 9

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Seule dans son appartement, Violette repensait aux dernières paroles qu'Antoine lui avait adressées la veille au soir. Elle savait que le message était bien plus profond, que lorsqu'il parlait de la culpabilité qu'elle ressentait, il ne pensait pas qu'à l'accident de Florian. Pourtant aucun des deux n'avait osé s'aventurer sur le sujet.

Ses doigts caressaient le cliché qu'elle tenait entre ses mains. Une de ces photos qu'elle avait retrouvée dans la boite cachée dans le placard. Une photo d'Antoine et d'elle, les yeux brillants de bonheur. Le souvenir d'une autre promesse de vie avortée.

Elle posa ses yeux sur les rayonnages de sa bibliothèque et là encore, les mots d'Antoine lui revinrent en tête. Les livres, c'était toute sa vie, c'est vrai. Mais elle avait quitté le monde des lettres pour se perdre dans celui, plus terre à terre, des nombres. Pour fuir cet univers onirique qui la leurrait.

Son esprit s'envola vers La cave érudite, vers Natacha et Sébastien avec qui elle avait travaillé toutes ces années. L'amoureuse des mots et l'amateur de vin qui avaient couplé leur passion respective pour faire naitre ce beau projet. Elle revoyait les robes des vins tournoyer dans leurs calices, les bouteilles alignées sur un pan de mur dans leur écrin boisé tandis que sur un autre s'étalaient des livres par milliers. Elle sentait encore les arômes des cépages se mêler à l'odeur herbacée des feuillets. Elle avait aimé cet endroit qui transpirait de chaleur et de complicité, qui colorait l'espace d'un automne éternel. Mais lorsque l'hiver avait gagné son cœur et que le froid avait envahi son corps, elle s'en était allée, laissant derrière elle, les reflets dorés des vins sucrés qui dansaient toujours devant les étagères boisées mais qui ne la réchauffaient plus.

Était-elle plus heureuse à présent ?

Quelqu'un frappa à sa porte. Elle sortit de ses rêveries et glissa la photo entre le coussin et l'accoudoir du canapé avant d'aller ouvrir.

  • Papa ?
  • Salut ma grande ! Je ne te dérange pas ?
  • Non, bien sûr, entre...
  • Je pensais plutôt t'emmener déjeuner.

Violette et son père traversèrent la rue et s'installèrent à la terrasse d'un bistrot. Ils commandèrent un verre de Chardonnay et le plat du jour.

  • Comment tu vas ?
  • Bien, ne te fais pas de soucis pour moi.
  • J'ai parlé à ta mère, elle s'en veut beaucoup.

Elle songea à Hortense. À son visage durci qui se décontractait lentement au contact de son père. Du plus loin qu'elle se souvienne, jamais elle n'avait vu ses parents s'enlacer ni s'embrasser. Ils semblaient vivre leur vie chacun de leur côté, sa mère dans ses massifs de fleurs, son père dans son bureau au milieu de ses maquettes de bateaux. Pourtant une complicité évidente envahissait chacun de leurs gestes. La main de son père posée sur l'épaule de sa mère. La tasse de café fumante préparée par Hortense qui détestait ce breuvage noir et amer. Le bouquet de roses blanches ramené chaque samedi. Le journal déposé sur la table du petit-déjeuner, ouvert à la page des résultats sportifs. Si elle ne les avait jamais vus blottis l'un contre l'autre ou animés par de longues conversations passionnées, elle les voyait chaque soir assis côté à côte dans le canapé, dans la chaleur apaisante de leur tendresse silencieuse.

  • Je lui ai tout dit pour...
  • Papa !
  • Ça fait trois ans Violette. Il était temps qu'elle l'apprenne.

Elle haussa les épaules, les yeux rivés sur le liquide qu'elle faisait tournailler dans son verre.

  • Tu as des nouvelles d'Antoine ?

Elle se figea, releva la tête et regarda son père, les sourcils arqués.

  • J'ai vu son père au club, il m'a dit qu'il était rentré de Chicago.
  • Oui, on s'est croisés.
  • Il rentre pour de bon ?
  • Je ne sais pas. Il n'est pas rentré pour moi en tous cas.
  • Je sais combien Antoine a compté et je sais que rien ne pourra jamais l'effacer mais pense à toi maintenant, d'accord ?

Violette adressa un tendre sourire à son père. Elle pensa à Pauline, à cet homme qui n'avait jamais pris la peine de la connaître, de la bercer lorsqu'elle pleurait, de la veiller la nuit lorsque la fièvre l'envahissait, d'attendre son retour de soirée pour aller se coucher, de lui offrir des bras réconfortants et un sourire encourageant. D'essuyer ses larmes et d'écouter ses peines au point de les faire passer avant les siennes.

Elle avait été abandonnée tout comme son amie, mais pas par celui qui avait été le premier homme dans sa vie. Consciente de la chance qu'elle avait d'avoir auprès d'elle cet homme qui s'inquiétait toujours pour elle, elle chassa les mauvais souvenirs pour profiter pleinement de la présence de son père.

Après leur déjeuner, ils allèrent se promener dans le parc Floral. Ils discutèrent de Florian, se remémorèrent des anecdotes qui firent tinter leur cœur. Elle lui parla de Fred et de ce sentiment de bien-être qu'il lui procurait. Félix détailla un moment sa fille.

  • Je l'aime bien ce Fred, annonça-t-il.

Violette le dévisagea en pouffant. En père protecteur, il n'avait jamais aimé voir les garçons tourner autour d'elle.

  • Il y a longtemps que je n'avais pas vu ce sourire sur tes lèvres. Tu sais Violette, la vie est faite de hauts et de bas mais il faut essayer de profiter de chaque instant de soleil qu'elle nous offre.

En rentrant chez elle, Violette se sentit plus légère. Elle s'empara de la boite qu'elle avait glissée sous le canapé et la remit en place, dans sa chambre, sous sa pile de vieux draps. Il était temps d'oublier le passé, de se concentrer sur l'avenir, de laisser entrer le soleil et de sourire.

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