Chapitre 6

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Violette avait de moins en moins la tête au travail et il lui tardait plus que jamais de pouvoir profiter de quelques jours en compagnie de sa meilleure amie. Des notifications alertèrent Violette. Elle consulta son téléphone. Un message d'Antoine, un de Fred :

« Quand est-ce qu'on se revoit ?

Antoine »


« Maya a hâte de te revoir...

Moi aussi.»


Ces messages ne l'aidèrent pas à se recentrer sur sa tâche. Perdue dans ses sentiments pour eux deux, elle se leva puis se dirigea vers la fenêtre de son bureau, laissant ses pensées envahir son esprit.

D'un côté, Antoine s'était montré sincère et touchant. Il s'était expliqué sur ses choix et avait exprimé ses regrets. Elle avait retrouvé l'homme dont elle était tombée amoureuse sous cette pluie de feuilles. Celui qui avait toujours su compenser la carence familiale dont elle souffrait en lui apportant au centuple l'amour que sa mère n'avait jamais su lui témoigner. Il avait comblé son absence et son indifférence, si difficiles à supporter pour elle. Elle avait découvert à ses côtés la puissance de l'amour, celui qui vous élève et vous libère. Celui qui vous brûle et vous consume.

Elle repensait à leur baiser, si maladroit après toutes ces années. À cette palette de couleurs chaudes qui avait tournoyé derrière ses paupières fermées, à ces sentiers de terre qui s'étaient ouverts dans son esprit, la renvoyant auprès de ces arbres centenaires qui étaient toujours là, droits et majestueux malgré la tempête qui s'était abattue sur eux.

Blottie dans ses bras, elle avait retrouvé cette odeur boisée qui l'ancrait dans la réalité, cet abri simple et protecteur qui lui apportait l'apaisement et la sécurité.

De l'autre côté, Fred avait su, en si peu de temps, l'embarquer vers un nouvel horizon. Là où le soleil ne meurt jamais, où les étoiles de la nuit s'accrochent aux eaux cristallines, où le silence du désespoir se brise dans le bruit des vagues et du vent. Il avait recouvert son cœur meurtri d'une voile aussi douce que du coton, aussi légère qu'une plume, aussi blanche qu'une nuit sans sommeil, que l'air caressait de son souffle apaisant.

Il l'avait tenue éveillée, lui avait montré l'étendue des couleurs que la vie leur offrait. Il avait gommé le gris-vert et repeint son esprit de bleu et d'infini. Le regard clair et franc qu'il avait posé sur elle, l'avait guidée jusqu'aux portes de la liberté.

Les couleurs, les odeurs et les sons se mélangeaient dans sa tête, tissant une toile inextricable de sentiments confus. Elle abandonna Antoine et Fred à ses rêveries. Pour l'heure, ce dont elle avait besoin c'était de son amie Pauline et de ces vacances entre filles.


**


Avant de retrouver Pauline chez qui elles s'étaient donné rendez-vous, Violette se décida à passer chez ses parents pour les informer de son départ imminent.

Elle frappa à la porte mais n'obtint pas de réponse. Elle actionna la poignée qui n'était pas fermée à clé et entra pour jeter un coup d'œil dans le salon. Une odeur de jasmin envahit ses narines lorsqu'elle y pénétra avant qu'elle n'aperçoive sa mère dans le jardin, une capeline sur la tête, occupée à replanter des fleurs. La voir ainsi, agenouillée près de son massif lui serra le coeur.

Violette se souvenait des dimanches matins de son enfance, qu'elle passait à la boutique en compagnie de sa mère, son père étant de sortie avec son club de cyclisme. Elle aimait cette odeur florale qui embaumait toute la pièce. Elle aimait observer les gens : les hommes qui, après être allés à la boulangerie s'arrêtaient prendre un petit bouquet de roses pour leur épouse, ces dames qui entraient chercher une composition en remerciement du déjeuner dominical qu'elles allaient partager, ces veuves qui venaient acheter de quoi rafraichir la tombe de leur défunt mari. Elle regardait sa mère sourire aux clients, marier les différentes espèces de fleurs pour confectionner le plus joli des bouquets. Elle avait énormément de talent.

Toute petite, elle s'amusait à imiter sa maman. Elle ramassait les tiges tombées des vases et les arrangeait en une gerbe qu'elle entourait de bolduc, la langue dépassant d'entre ses lèvres, tant elle s'appliquait à faire aussi bien que sa mère. Puis elle s'avançait le bouquet à la main pour l'offrir à celle qu'elle admirait. Elle avait les yeux brillants d'émotion et la fierté se lisait sur son visage avant que son sourire ne se fige en un rictus de déception quand sa mère la grondait d'avoir encore une fois ramassé ses fleurs.

Elle émergea de son enfance et n'eut pas le cœur d'aller rejoindre sa mère dehors. Elle chercha dans la cuisine et le bureau mais son père ne s'y trouvait pas. Il avait dû sortir faire quelques courses pour le diner. Elle hésita un instant puis grimpa à l'étage et s'arrêta devant la porte de la chambre dédiée à Florian. Après le déménagement, Hortense avait insisté pour recréer à l'identique la pièce dans laquelle il passait le plus clair de son temps. 

Sur la réserve, Violette attendit quelques secondes la main sur la poignée avant de pénétrer dans la chambre. Elle avança sur la pointe des pieds, le coeur battant, avec le sentiment désagréable de ne pas être à sa place. Avec une extrême précaution, elle ouvrit les portes de la penderie, caressa les chemises du bout de ses doigts, enfouit son nez dans les pulls de son frère pour tenter de retrouver l'odeur si familière qui avait malheureusement quitté son esprit beaucoup trop tôt. Une boule se forma au creux de sa gorge. De toutes les angoisses liées à l'absence d'un être cher, c'est le moment où elle avait pris conscience que les odeurs qui accompagnaient ses souvenirs avaient disparu qui lui avait fait le plus de mal. Perdre son parfum c'était pour elle, comme le perdre une seconde fois.  

Violette ravala sa boule d'émotions à l'instant où sa mère entra dans la chambre. Elle sursauta puis se raidit lorsqu'elle la vit s'avancer pour lui prendre les gants qu'elle tenait dans ses mains. Hortense les reposa sur l'étagère puis fit glisser son doigt comme pour vérifier que la poussière ne s'était pas encore déposée depuis son dernier passage. Violette était en apnée, attendant la réplique cinglante de sa mère à propos de son intrusion dans ce temple sacré.


— Je suis désolée pour l'autre jour, dit enfin Hortense.

La jeune femme était tellement surprise qu'elle resta clouée sur place.

— Papa m'a dit pour le bébé. Pourquoi... Pourquoi ne m'as tu jamais rien dit ?

Violette s'avança vers la fenêtre pour esquiver le regard de sa mère et se perdre dans la quiétude du jardin verdoyant.

— Si j'avais su...

— Et bien quoi ? siffla Violette en faisant volte-face.

— J'aurais été plus...

— Plus délicate ? Plus compatissante ? Plus aimante ?

Les larmes de Violette menaçaient de jaillir tandis qu'elle crachait ces mots avec rage. Cette rage contenue depuis leur dernier repas.      

— Je sais ce que tu ressens reprit Hortense en s'approchant de sa fille.

Elle esquissa un geste vers elle que celle-ci rejeta.

— Non tu ne sais rien de moi ! Tu n'as jamais rien su de mes sentiments, de mes besoins, de mes aspirations. Tu n'as jamais été là, toujours trop occupée par ton travail, tes amies, tes histoires, tes allers et retours à Vittel !

Cette fois ci, ses larmes coulaient sans retenue sur ses joues rouges de colère. Hortense tenta une explication :

— Ça n'a pas été facile pour moi.

— Et pour nous ? reprit Violette. Tu crois que ça a été plus facile pour Papa ? Pour moi ? Toi, toi, toi, toujours toi ! Il n'y a pas que toi qui souffres dans la vie !

Sa mère, bien loin de ses excès de fureur habituels face à quelqu'un qui osait lui tenir tête, encaissa sans broncher. Déstabilisée par l'attitude étrange de sa mère, elle ressentit le besoin urgent de quitter la pièce.

— Je pars quelques jours. J'appellerai Papa en chemin.
   

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