Chapitre 1

5 minutes de lecture

Violette se trouvait dans la salle d'attente du cabinet de Sandrine Levasseur. Elle se demandait encore si elle avait fait le bon choix en venant jusqu'ici. La mine grave, elle détaillait depuis plusieurs minutes ce grand tableau qui lui faisait face et qui représentait toutes sortes de formes géométriques mélangées les unes aux autres. Il s'agissait de retrouver une série de formes imposées, proposées dans l'espace blanc du dessous et dissimulées dans la toile. Si l'idée était de détendre les patients, cela ne fonctionnait pas pour Violette qui angoissait à l'idée de devoir s'allonger sur un divan pour partager ses névroses.

— Mademoiselle Delambre, on y va ?

En entrant, la jeune femme balaya l'espace d'un regard curieux et attentif. Aucun divan ne se trouvait dans le cabinet de la psychothérapeute. À la place deux fauteuils crapauds ocre se faisaient face autour d'une table basse. Des baies vitrées se rejoignaient à l'angle de la pièce et donnaient sur un patio luxuriant. Au fond, une simple table de travail en chêne clair remplaçait l'imposant bureau qui occupait la plupart des cabinets médicaux. Deux bibliothèques de la même teinte de bois entouraient une fenêtre entrouverte dont les rideaux en lin blanc dansaient, mus par un léger souffle de vent. Une odeur de jasmin flottait dans l'air et renforçait le sentiment de détente qu'offrait cet endroit.

— Asseyez-vous, je vous en prie. Un thé, un soda, de l'eau ?

— Non merci, c'est gentil.

Sandrine Levasseur déposa néanmoins sur la table basse un verre et une carafe d'eau dans laquelle flottait une rondelle de citron.

— Je suis ravie de vous voir ici Violette. J'avoue avoir été surprise par votre coup de téléphone.

— Je tiens à m'excuser de vous avoir fait faux-bond la dernière fois. Mais il ne s'agissait pas d'une démarche personnelle. Je n'étais pas prête.

— Aucun soucis. Vous avez raison, venir jusqu'ici nécessite que vous en ressentiez le besoin.

Le charme de l'endroit se dissipait déjà. Violette se retrouvait de nouveau mal à l'aise et n'osait pas regarder son interlocutrice.

— Alors dites-moi ce qui vous amène ici, l'encouragea la thérapeute.

— ...

Sandrine sourit. Elle observait sa patiente avec bienveillance, lui laissant le temps nécessaire pour se livrer.

— Je viens d'apprendre que j'étais enceinte.

— Est-ce une bonne nouvelle pour vous ?

— Pas vraiment.

— D'accord. Vous voulez m'en dire plus ?

— Je sais que le but de ces séances c'est de parler mais parler de moi c'est pas mon truc, répondit-elle d'un air las. Je n'aurai pas dû...

— Nous avons le temps Violette. Nous en parlerons quand vous serez prête. Discutons de ce que vous aimez dans la vie, de ce qui vous plait, de tout et de rien. L'essentiel pour moi aujourd'hui est de faire votre connaissance.

— Euh...et bien, je suis comptable et je fais de la boxe.

— Intéressant. Pourquoi ce sport ?

— Parce que j'en ai besoin. Ça me permet de décompresser.

— C'est un sport excellent pour évacuer le stress en effet. Depuis combien de temps boxez-vous ?

Violette voyagea dans ses souvenirs et se retrouva dans la chambre de Florian, entourée des posters de ses boxeurs préférés. Son frère s'était pris de passion pour la boxe depuis qu'il l'avait découverte en cours d'EPS au collège. Ses antécédents épileptiques avaient rendu impossible la pratique de ce sport qui n'occupait plus que la sphère de ses rêves. Après l'enterrement de Florian, Violette s'était réfugiée dans la chambre de son frère. Elle tentait de fuir tout ce monde qui s'affairait autour de sa mère. Comme à son habitude, celle-ci monopolisait toute l'attention, personne ne pouvant souffrir plus qu'elle. Sur le seuil de la porte, elle était restée un moment à détailler l'espace en veillant à enregistrer chaque détail. Chaque recoin qu'elle explorait lui rappelait des moments heureux et complices. Elle revoyait Florian allongé sur son lit, un album de Naruto dans les mains, ou bien assis sur la chaise de bureau en train de gratter les cordes de sa guitare. En posant les yeux sur le sac de frappe suspendu au plafond, elle repensa à la déception de son frère lorsqu'il avait compris que la boxe lui était proscrit, à ces heures passées devant Internet à visionner les matchs des plus grands champions. Elle avait ressenti le besoin urgent de frapper et avait donné un premier coup, puis un second. Au troisième, elle avait ressenti toute la force de son chagrin. Elle avait frappé, crié, frappé, jusqu'à ce que les sanglots coincés dans sa gorge depuis l'annonce de l'accident de Florian jaillissent enfin. Après ce jour, elle n'était plus retournée dans la chambre de son frère.

« Vis pour moi, pour lui. »

Elle avait progressé dans son deuil en se concentrant sur cet enfant qui grandissait en elle. Elle s'était projetée dans l'avenir et laissée envahir par la force de cet amour qui se tissait chaque jour au creux de son ventre. Pourtant, malgré cet amour, le bébé n'avait jamais vu le jour. Et Violette avait sombré doucement mais sûrement dans les entrailles de la Terre tandis qu' Antoine s'était envolé vers un autre continent, un autre avenir. Pauline était passée chaque jour, avait passé chaque nuit auprès d'elle. La télévision allumée, les deux jeunes femmes laissaient les personnages des séries conversaient à leur place. Violette n'y prêtait aucune attention, trop absorbée par ce monde brisé qu'elle tentait de se recréer dans son esprit. Mais une nuit, alors que son amie dormait déjà depuis longtemps, un bruit de cloche attira son attention. Elle sortit lentement de son univers pour poser son regard sur l'écran. Pour la première fois depuis des mois, une image fit écho en elle. Deux jeunes femmes, les mains gantées, combattaient. Elle se souvint de cette fois où elle avait enfilé les gants de son frère et libéré la rage qui grondait en elle. Pauline s'était réveillée et l'avait vue complètement hypnotisée par la télé. Elle avait attendu que le jour se lève et l'avait accompagnée à La Salle.

« Allez ma Violette ! Bats-toi contre cette garce de Vie ! »

— Trois ans, répondit enfin Violette, les yeux larmoyants rivés au sol.

— Souhaitez-vous me parler de ce qui vous a conduit à la pratique de ce sport ?

— Je n'ai pas envie de …

— Rien ne vous y oblige.

Violette observait cette femme qui la regardait avec un sourire affectueux. Cette femme qui n'insistait pas pour tout savoir d'elle d'emblée, qui ne la jugeait pas.

— Avez-vous déjà songé à exprimer ce que vous ressentez autrement qu'avec des gants de boxe ?

— C'est-à dire ?

— Vous dites ne pas aimer parler... Avez-vous essayé d'écrire ?

— Écrire c'est pour être lu non ?

— Écrire c'est avant tout un moyen de s'exprimer. Rien ne vous oblige à faire lire ce que vous écrivez comme rien ne vous oblige à parler.

— Mais à quoi ça sert alors ?

— À vous libérer des émotions qui vous tenaillent... À les extérioriser tout comme vous le faites quand vous boxez. Vous pourriez peut-être essayer et me dire à notre prochaine rencontre ce que cela vous a procuré...

Violette considéra quelques instants la requête de la psy.

— Je ne vous promets rien.

— Je ne vous oblige à rien, conclut Sandrine dans un dernier sourire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rêves de Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0