Chapitre 3

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Violette regarda le désordre autour d'elle. Les boules de papier jonchaient le sol depuis maintenant trois jours. Aucun mot, à la hauteur de sa douleur, n'était parvenu à se frayer un chemin à travers les méandres de sa souffrance. Elle s'était réfugiée dans son antre, avait plongé dans les eaux lactées de ses pensées pour retrouver cette paix ressentie chaque fois qu'une bulle de vie avait éclaté au creux d'elle.

Ranger et nettoyer l'aiderait peut-être à faire le tri dans ses pensées et le ménage dans sa vie. Elle attrapa bassines, chiffons et vinaigre et commença à briquer son appartement. Alors qu'elle dépoussiérait la bibliothèque, son regard parcourut les tranches des seuls livres qu'elle avait conservés. Des classiques dont elle n'était pas parvenue à se séparer. Elle ne savait pas trop bien pourquoi. Toute à ses questionnements, elle saisit Les Fleurs du Mal de Baudelaire et feuilleta l'œuvre en s'attardant sur quelques vers. Des vers qu'elle avait lus il y des années déjà, du temps où elle était étudiante en lettres, lorsqu'elle avait appris à analyser chaque mot, à peser chaque rythme, à comprendre chaque intention posée subtilement par l'auteur.

Elle s'attarda sur l'ouvrage avec plus d'attention et récita l'Albatros qu'elle connaissait encore par cœur. Pendant que ses lèvres laissaient échapper un mot après l'autre, son esprit la renvoya des années en arrière. Désignée par son professeur et ses camarades pour participer aux rencontres poétiques inter-lycée, elle s'entrainait d'arrache-pied, devant sa psyché, à réciter les vers avec toute l'éloquence et la sensibilité qui avaient séduit l'ensemble de son entourage. Seulement, rien ne s'était passé comme prévu, et gagnée par l'émotion autant qu'intimidée par le monde venu pour l'écouter, elle avait été incapable d'assurer sa prestation. De murmures en silences, elle avait rebroussé chemin, avec l'envie de disparaître pour ne pas affronter la déception de tous ceux qui comptaient sur elle.

Violette ferma les yeux, comme pour chasser cet incident qui marquait parfaitement la rupture entre ses rêves et ses capacités à les réaliser. Elle lu et relu tous ces poèmes avec émotion et nostalgie, puis, lorsqu'elle eut terminé sa lecture, elle referma le livre et en caressa la couverture, les yeux perdus dans le vide.

Elle ramassa finalement le carnet qui gisait toujours contre le bois de la bibliothèque, s'empara d'un stylo et griffonna quelques mots. Ces mots en cherchèrent d'autres jusqu'à former des rimes. Les rimes s'assemblèrent en un paragraphe structuré de vers. Les vers s'ajoutèrent les uns aux autres pour former un tout. Chaque mot, choisi méticuleusement, donnait force et puissance à des émotions douloureuses.

Violette passa des heures à noircir les pages blanches de son cahier. Elle puisa au plus profond d'elle-même jusqu'à décrire le plus nettement possible ce qu'elle éprouvait depuis sa plus tendre enfance. Elle confia pour la toute première fois ses émotions les plus intimes et personnelles. Elle pensa à sa mère, à Florian, à Antoine, au bébé. Elle exprima la douleur, la souffrance, l'abandon, la mort, le deuil. Les mots jaillissaient, comme libérés d'avoir été trop longtemps emprisonnés, serrés les uns contre les autres, étouffant sous le poids de leur sens.


**


Violette se rendit chez Sandrine Levasseur pour son deuxième rendez-vous. Après qu'elle soit parvenue à écrire, la jeune femme avait plongé dans un sommeil profond qu'aucun cauchemar n'était venu troubler. À son réveil elle s'était sentie un peu plus légère. Elle s'était longuement observée dans le miroir. Rien n'était perceptible dans ce reflet d'elle que la glace lui renvoyait. Pourtant, ce nœud qu'elle ressentait quotidiennement au creux de son ventre semblait moins pesant. Son cœur battait normalement.

Sur le chemin qui la conduisait au cabinet, Violette se surprit à marcher d'un pas pressé.

— Entrez Violette. Un thé, un soda, de l'eau ?

— Un thé s'il vous plait.

Sandrine sourit, versa le breuvage brûlant aux saveurs de menthe poivrée dans une tasse qu'elle déposa sur la table basse devant la jeune femme.

— Comment allez-vous aujourd'hui ?

— Je ne sais pas comment décrire cette sensation. C'est étrange.

— Étrange ?

— C'est comme si le poids que je ressens à l'intérieur de moi s'était allégé.

— Excellent ! Qu'est-ce qui selon vous, a opéré ce changement ?

— J'ai fait ce que vous m'aviez conseillé. Je ne sais pas si c'est lié.

— Vous avez écrit ?

— Oui. J'ai eu énormément de mal mais j'y suis parvenue. Je... J'ai ramené mes écrits. Vous... Voulez- vous les lire ?

Sandrine interrogea Violette du regard.

— Vous me comprendrez mieux... Parler c'est pas mon truc.

— Si vous me le permettez, alors oui, volontiers.

Violette lui tendit son cahier puis se leva et se posta devant la baie vitrée qui donnait sur le patio, laissant le temps nécessaire à la psychologue pour parcourir ses différents secrets. Elle se perdit dans la quiétude de ce jardin d'hiver, détaillant chaque feuille, s'émerveillant de chaque nuance de vert qu'elle redécouvrait sous un œil nouveau. Elle laissa la couleur de l'Espérance repeindre son esprit. Elle ne savait pas ce que l'avenir lui réservait encore mais pour la première fois depuis ces trois dernières années, et malgré l'angoisse qu'elle ressentait, elle eut l'envie d'avancer vers la lumière. Elle posa sa main sur son ventre et le caressa doucement. « Vis pour moi. »

Quand Sandrine eut terminé, elle déposa le cahier sur la table basse avec une infinie précaution.

— Violette, je vous félicite. Parler ce n'est pas votre truc mais je peux vous assurer que vous savez parfaitement vous exprimer. Je ne suis pas surprise que cet exercice vous ait autant libérée. Vos mots reflètent des émotions engendrées par des années de souffrance. Les coucher sur papier vous a permis de les faire sortir, de les affronter, de les dompter. Et qui plus est, vous êtes vraiment douée !

— Merci. Je me sens étrangement plus sereine.

— Vous avez entamé le processus d'acceptation. Sans cela, il est impossible d'avancer.

— On va se revoir ?

— Bien sûr. Autant de fois que je vous le jugerez nécessaire. Nous n'en sommes qu'au début. Je vous accompagnerai dans vos prochaines étapes jusqu'à ce que vous vous sentiez prête à continuer le chemin seule.

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