Chapitre 2 : L’Œuf et le FADA

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La stupeur frappe Dominique. Le train en profite pour disparaître sous le levant, maquillé en convoi de fret aux conteneurs multicolores.


Gordon saisit l’occasion d’avoir un public à nouveau captif pour retracer l’opération de récupération des œufs de Tarasque qu’il mena dans les années trente, pour le compte de l’ancêtre du MI6. Le SIS espérait faire éclore et élever des dragons en vue d’un possible affrontement avec le régime nazi. Les œufs avaient été repérés par un batelier de Tarascon, au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’information, remontée à Londres, fut rapidement classée code rouge. Il fallait que la Couronne récupère au plus vite ces œufs pour prévenir toute catastrophe.


— Les meilleurs scientifiques britanniques ont tout tenté pour faire éclore l’œuf restant, et vous, sans rien faire, vous le faites naître, lance Dominique.

— Le terroir, répond Gordon avec un sourire en coin. C’est une question de terroir.


D balaye d’un geste la réponse de Gordon, visiblement agacé.

— Tout ça ne répond pas à la question de ton âge canonique, Gordon. **Tu es né quand, exactement ?**

Gordon marque une pause théâtrale, savourant l’effet.

— **Le vingt-et-un avril mille neuf cent un.** Soit vingt-cinq ans pile avant feu Sa Majesté Elizabeth II.

Dominique éclate de rire, incrédule.

— Tu plaisantes.

— **Jamais.**


Un silence s’installe. Dominique dévisage Gordon, cherchant une trace de moquerie sur son visage buriné. Rien. L’Écossais reste impassible, comme s’il venait de commander un whisky.


— **Comment est-ce possible ?** finit par demander D, les sourcils froncés.

— **Un œuf de Tarasque brouillé, servi à la Saint-Georges en 1946.** La famille royale avait organisé un brunch à Windsor. Plusieurs convives en ont mangé, dont les futures mères de Mick Jagger et Keith Richards, d’après les rumeurs. Moi, j’ai préféré me concentrer sur le Château-neuf-du-Pape et les rabes. Dommage que Lady Di ne soit pas née à l’époque, elle aurait pu en profiter.

— **Tu es en train de me dire que tu as… mangé un œuf de dragon ?**

— **Non, mon cher. Les autres en ont mangé. Moi, j’ai juste servi le plat.** Gordon hausse les épaules. **Et depuis ce jour, je ne vieillis plus. Enfin, si, mais à l’envers. Comme un bon vin.**


Dominique secoue la tête, abasourdi. Il ouvre la bouche, la referme, puis se racle la gorge.

— **Bien. Rentrons**, conclut-il en se masquant d’un visage froid et impassible.


D et Gordon s’engagent dans une rue adjacente au dépôt, l’œil dans le vague et le pas gêné. Quelques rayons de soleil, coiffant le toit des bâtiments, illuminent une BMW de collection garée plus loin. Le cabriolet noir de jais, rutilant, semble à peine sorti de sa boîte. Gordon caresse la capote de toile noire du regard et, d’un clin d’œil, inspire son caprice à Dominique. L’air frais de Marseille se mêle à l’odeur de cuir neuf. Le six-cylindres se réveille dans un grondement rond et pénétrant.


— **Tu l’entretiens à l’œuf de dragon, cette voiture aussi ?** lance Gordon pour détendre l’atmosphère. **Elle a quel âge ? Cinquante ans ?**

Dominique serrant le volant, avoue d’une voix rauque :

— **Soixante-dix-huit. Comme l’année où je l’ai achetée.** Quand j’étais flic.

— **Infiltré ?**

— **Oui. Chez les trafiquants de drogue.**

— **La French Connection**, coupe Gordon, un sourire en coin.

— **Putain de bon film**, murmurent-ils en chœur.


Dominique se cramponne au volant, les jointures blanches.

— **J’ai pris une balle pour un collègue pendant une opération. La lumière blanche, les portes closes, le jugement…** Il marque une pause. **Refusé. Trop noble, trop inintéressant. Alors on m’a redirigé vers le FADA. La *Federal Agency of Demonic Affairs*.**

— **Le FADA de Marseille ?** Gordon éclate de rire. **Sérieux ?**

— **Très sérieux.** D fouille dans la boîte à gants et en sort une cassette bleue. **Mes activités annexes me permettaient un certain train de vie.**


Gordon insère la cassette dans le Clarion, monte le son à fond, et s’enfonce dans le siège de cuir noir en enfilant ses Ray-Ban. *« Get down on it »* de Kool and the Gang explose dans l’habitacle. Le cabriolet prend l’autoroute en direction de la Méditerranée, le vent chaud fouettant leurs visages tandis que la cité phocéenne s’embrase sous le soleil couchant.

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