Incipit

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 Le feu de cheminée crépite dans le salon, et je sens sa chaleur sur mes tibias. Mon fils, Thomas, lit à côté de moi le roman qu'on lui offert quelques heures plus tôt dans la journée, pour son anniversaire.

Je le regarde, et sourit. Il est tellement concentré que je n'ose pas le déranger. Son épouse et sa fille, âgée d'à peine un mois, dorment à l'étage. Son père aussi.

Il finit par lever les yeux de son livre tandis que je regarde le feu.

«Je pensais que tante Emma serait venue.

Je me tourne soudainement vers lui. Il me regarde avec un air interrogateur. Je dois afficher un air étrange.

-Pourquoi tu dis ça ?

-Je l'avais invitée.

-Ah bon ?

-Oui. La seule fois où je l'ai fait, elle est venue.

-C'était quand ?

-Pour mon mariage.

-Oh.

Je n'ai jamais parlé d'Emma avec Thomas. J'ai toujours évité le sujet comme la peste. Mon fils sommes très proches, et nous parlons, principalement, de tout. Mais Emma a toujours été une zone d'ombre. Je ne me suis jamais confiée à personne sur notre histoire.

-Maman.

-Oui ?

-Pourquoi tu ne parles jamais d'elle ? Je ne réponds pas, et me mets à fixer le feu de nouveau.

-Papa m'a dit que tu l'aimais beaucoup, avant. Qu'elle avait même vécu avec vous. Vous sembliez très complices.

Le fait d'entendre son prénom après tant d'années, me fait voir son visage tout aussi clairement. Je pense à elle tous les jours. Mais le fait que mon fils en parle me fait réaliser qu'elle existe bien toujours, et qu'elle ne vit pas seulement en moi.

-Maman ?

Je pleure visiblement puisqu'il me tend un mouchoir.

-Oh, Maman, pourquoi tu pleures ?

Thomas, doux comme il est, s'agenouille près de moi et éponge mes larmes. Je finis par lui sourire. Il en profite pour me regarder droit dans les yeux.

-Tu peux tout me dire.

Il a sûrement raison.

-Assieds-toi.

Il s'exécute.

-Effectivement, Emma et moi avons vécu certaines choses. Beaucoup, même.

Thomas ne me lâche pas du regard. Je sens qu'il a envie de savoir, que tout ça l'intrigue.

-Ca t'intéresse vraiment ?

Il acquiesce vivement.

-Ecoute, je peux te raconter, mais il faut que tu ne le répètes jamais à personne. Tu m'en fais la promesse ?

Il se penche pour prendre mes mains dans les siennes.

-Je te le jure.

Thomas a le regard sincère. Je vois qu'il comprend le sérieux de ce que je m'apprête à lui livrer. Il a vingt-cinq ans. Il est adulte. Il ne répétera pas mon histoire dans la cour. Il a fini par rapprocher son siège du mien. Il me regarde intensément. Il n'attend qu'une chose : que je raconte.
Alors, je commence.


*


«C'est fou à quel point je l'aimais. Je m'en serai arrachée la tête si j'avais pu, tellement ça me rendait folle. On ne m'avait jamais appris ça : aimer. On s'éduque soi-même en regardant des films, des comédies romantiques auxquelles on croit-ou pas, mais qui, de toute façon, sont tout sauf le reflet de la réalité. Mais moi ça m'est tombée dessus comme ça. Je suis tombée comme si j'avais été réveillée en sursaut, comme si mon alarme était différente de celle de d'habitude : effrayante et surprenante. Devais-je me prendre au jeu ?»

François me regarde depuis la fenêtre, où il termine sa cigarette. Ma voix s'est cassée sur la fin. Peut-être est-ce pour ça qu'il est si intriguant.

«Eh bien, souffle-t-il en écrasant son mégot dans le cendrier, tu m'avais pas dit que c'était aussi intense !

Il ferme la fenêtre et vient s'asseoir en face de moi sur le lit. Il devient plus concerné quand il remarque que je pleure.

-Oh, Emma. Il pose sa main sur mon épaule tandis que j'essuie mes joues. En tant que meilleur ami, il attrape la boîte à mouchoirs sur ma table de chevet, et me la tend.

-Merci.

François est mon meilleur ami depuis dix ans. Nous nous sommes rencontrés quand j'ai commencé mes études d'arts, à vingt-quatre ans, dans la capitale française. Nous étions les deux plus âgés de la promotion, du même âge. Ça a instantanément collé. C'est lui qui m'a introduit dans la vie nocturne parisienne, plus particulièrement celle des gens qu'on détestait à l'époque : celle des homosexuels.

Rapidement, j'ai compris que ça s'étendait à bien plus, et j'ai milité pour la cause LGBT depuis, toujours à ses côtés. Si François est en couple depuis plus de vingt ans, j'ai enchaîné les histoires jusqu'à aujourd'hui. À quarante-trois ans, je règne en célibataire, et bien heureuse de l'être. C'est tout simplement le mode de vie qui me convient le plus. C'est ma propre définition de la liberté.

Ce matin, quand François m'a appelé pour venir passer la soirée chez moi, je ne m'attendais pas à tomber sur mon journal tenu entre mes dix-huit et mes vingt-cinq ans. Je l'ai mis de côté, me disant que j'allais le parcourir avec François ce soir en fumant des clopes.

 François a toujours connu mes petites-copines, mais je lui ai toujours très peu parlé de Barbara. Pour cause, ça m'a toujours rendu triste. Alors, ce que je viens de lire devant lui l'intrigue énormément. Forcément.

François a ses mains sur mes genoux. Il se penche doucement vers moi. «Je ne savais pas que tu l'aimais autant. Je souris.

-Si.

Il sourit à son tour. Je lève les yeux pour croiser son regard bienveillant. Il me donne envie de me laisser aller à la confidence; chose que je fais très peu.

-Tu sais, Barb... je n'arrive même pas à prononcer son nom; c'est la seule femme que j'ai vraiment aimé.

Il ne me lâche pas du regard. Je finis de me moucher et reprends :

-Alors, j'ai beaucoup aimé Carole, Sixtine et même Olivia. Vraiment, j'ai eu beaucoup de chance d'avoir de belles relations avec elle. Mais tu sais...

Je fais une pause. Renifle. Réfléchis à comment placer des mots dans l'ordre.

-Tu sais... l'autre jour, j'ai pensé à elle. Et je me suis dit, que si ça n'a jamais marché avec mes exs dans la durée, ça l'aurait fait avec elle. C'est la seule femme pour qui j'aurais vraiment pu m'engager.

François est très surpris par cette confidence. Il a un sourire presque amusé. En effet, ma plus longue relation, celle avec Carole par précision, a duré un an et demi. Je suis sortie avec les trois, parce que je les ai aimées, mais je tenais quand même au célibat.

-Dans le fond, ça a toujours été comme ça. Si ce n'est pas avec Barbara, ce ne sera avec personne d'autre.

Mon meilleur ami me sourit tendrement. Il ne sait pas quoi dire. Il pense que je vais dire autre chose, mais j'attends qu'il parle. Je ne suis pas douée en confidences, alors j'ai besoin qu'il me guide.

-Tu penses que, si tu me racontais ton histoire avec, Barbara, tu t'en libérerais un peu ?

Je souris.

-Sûrement.

Je me lève pour prendre un verre d'eau.

Dans la foulée, je lui explique :

-Tu sais, je n'ai plus de sentiments pour elle. Je ne pense même plus vraiment à elle. Une fois par semaine quoi. Mais, elle a eu une place si importante dans ma vie, que c'est comme si elle était toujours là, intensément.

Je me rassois. François m'observe toujours.

-Je devrais aller une psy pour en parler, tu penses ?

Je lui demande ça en riant à moitié.

-Oui. Certainement. Il n'est pas trop tard pour finir un deuil.

Voilà. Il tient le mot. Deuil. C'est exactement ça.

-Tu peux déjà me raconter votre histoire à moi. Je sais que tu ne l'as jamais fait.

-C'est vrai.

Je lève mon regard vers lui, que je gardais depuis tout ce temps sur mon verre d'eau, entre mes mains.

-Tu as raison. Mais, ça va être long, je pense. Tu es vraiment prêt à tout entendre ?

François s'allonge pour toute réponse, le ventre sur le matelas et la tête dans les mains. Je ris.

-Bon d'accord.

Je prends une grande respiration.

-Alors, allons-y."

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