Chapitre 4

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 Claude avait déjà quatre mois.

C'est un bébé qui pleurait énormément, mais qu'on pardonnait facilement dans les rares sourires qu'il nous offrait. Les nuits étaient difficiles. Les journées moins.

La présence d'Emma apaise vraiment mon début de maternité. Bien qu'elle passe la journée au lycée, elle ne traîne pas pour rentrer directement après les cours, et m'aider. Elle fait de la cuisine, du linge. Elle me dessine avec Claude, quand nous nous endormons sur le canapé, lui, déjà épuisé par la vie, moi, également. Depuis que Claude est né, Emma a appris à jouer des berceuses au piano. Alors, dans les après-midis de sieste, elle nous faisait profiter de son art. Puis, quand bébé était couché, c'est moi seule qui en profitait, et cette fois, du Beethoven, du Chopin, du Bach.
J'aimais la regarder jouer. En fait, je crois que, cet hiver-là, c'est la seule chose qui m'ait donné de la joie. Sans être excellente, elle vivait les morceaux. Simple humaine, je pouvais sentir l'émotion qui émanait de son coeur, parcourir son corps jusqu'à ses doigts, et qu'elle déversait sur le clavier. Les touches semblaient être confidentes de ses plus grands secrets. Bien sûr, je voyais comment elle me regardait. Bien sûr, je sentais aussi dans ce regard, cet éclat différent quand elle posait les yeux sur moi. Bien sûr que je la sentais parfois nerveuse près de moi. Et pour tout dire, cela me troublait. Elle me troublait. Mais c'était une jeune femme, et j'avais un époux. Souvent, lorsque cette tension planante me pesait de trop, je l'évitais un peu. Je dois dire que je commençais tout juste à sentir le bouleversement que cette lycéene allait provoquer en moi, et je crois que je n'étais pas prête à cela. En fait, j'en suis même certaine. J'ai évité jusqu'au dernier moment l'évidence. Il m'arrivait souvent d'être distraite de ma lecture ou de mes corvées quotidiennes. Elle flottait dans mon esprit longuement, et quand je la chassais, je savais que ce n'était que pour un moment car, sans prévenir, elle arrivait toujours à s'imiscer de nouveau dans mes pensées, et à les faire divaguer. Parfois, j'en oubliais même Jacques.
Et puis une nuit, j'ai fait ce rêve. Je me suis réveillée, mes vêtements humides de transpiration, et ma culotte mouillée. «Tâchée», j'aurais dit à ce moment-là. Il m'était impossible et impensable d'avoir de telles idées, déjà avec une femme, mais surtout avec une lycéene, et enfin avec la soeur de mon époux ! Je n'ai pas pu la regarder en face les quelques jours qui suivirent. Quand il m'arrivait d'y repenser, je détestais encore plus la manière donc mon corps réagissait : ce que j'étais censée éprouver pour mon époux, je le faisais pour elle. Je ressentais une envie encore plus pressante de me retrouver avec elle qu'avec lui. Consciemment, ça m'effrayait. Et puis, je ne m'étais jamais posée la question. Une femme rencontre un homme, l'épouse, et devient mère. Moi, j'étais tombée sur Jacques.
Ce dernier rentrait de plus en plus tard, surtout depuis la naissance du petit. Cela faisait un an que nous étions mariés. Il me touchait très rarement, pour ne pas dire presque jamais. La prochaine fois, ce sera certainement par mission : un nouvel enfant. Je n'en souffrais pas vraiment : en fait, je lui en étais plutôt reconnaissante, car je ne désirais pas faire l'amour avec lui plus que ça. Bien sûr, nous nous entendions à merveille et étions proches, cependant, plus le temps passait, plus je comprenais que notre amour était plus "intellectuel". Notre esprit suffisait à nourrir notre relation, la chair passant bien après le second plan. Disons que cela arrivait quand le corps en avait besoin.
Le mois de mars approchait. Je savais qu'elle retournerait chez ses parents à la fin de l'année scolaire, mais une chose est sûre, cela me tourmentait déjà. Ne plus l'avoir près de moi constituerait un grand soulagement, puisque je n'aurai plus à lutter contre ces différentes pensées qui m'habitaient; mais ce serai aussi une grande peine. Cela me rendait confuse.
Ce jour-là était un vendredi. Le temps était particulièrement sombre, et la pluie ne devait pas tarder. La météo s'accordant avec mon humeur, je terminais mes corvées rapidement, et comptais me mettre à lire pour faire passer mon humeur maussade. C'était sans compter elle, qui jouait depuis déjà un bon quart d'heure, des musiques joyeuses depuis le salon. Elle finit par m'appeler. Du haut de l'escalier, je lui demandais quel était le motif de cet appel.

-J'ai vu une affiche, hier soir en rentrant du lycée. Il y a une exposition d'une peintre assez reconnue en ville. Ça te dit d'y aller ?

Je soupirais. Non, je n'avais vraiment pas envie de sortir.

-Tu as vu le temps ?

-Justement ! Je vois bien qu'il te tape sur les nerfs. Accompagne-moi ! Autant faire en sorte que cela ne nous mine pas.

Après quelques remarques décisives, je finis par céder.

À vrai dire, je n'aimais pas du tout cette exposition. N'étant pas sensible à la peinture en général, là, je ne trouvais vraiment pas ma place. Mais j'étais heureuse d'avoir pu faire plaisir à elle. J'aimais bien que ce faisait Emma, parce que c'était ses oeuvres, et que tout ce qu'elle faisait m'intéressait de près. Et puis, Emma peignait d'une manière plus réaliste. Là, je ne comprenais vraiment rien aux «formes».

Je marchais juste derrière elle. Je la voyais en pleine admiration devant toutes ces oeuvres, et il m'arrivait de me demander si nous avions la même chose sous les yeux. De temps à autre, elle me jetait des petits coups d'oeil qui, dans le langage que seules nous connaissions, me parlaient bien. Même si c'était surtout elle qui l'utilisait, je ne me montrais pas si insensible pour autant, surtout depuis le fameux rêve. Depuis près d'une semaine déjà, j'avais commencé à baisser un peu ma garde.    

 Finalement, elle s'arrêta plus longtemps devant un tableau. En levant les yeux vers elle, je la vis totalement absorbée par l'oeuvre. Mais moi, je ne détachais pas mon regard d'elle. Pour une fois que je pouvais la contempler, inconsciemment encore ici, je ne me suis pas privée. En fait, elle était assez banale, pour une société comme la nôtre. Cependant, je voyais très bien le charme qu'on pouvait lui trouver. Ses cheveux bruns laissaient paraître des reflets blonds sous le néon agressif de la pièce. Son cou était fin et lisse. Elle sentait bon. Elle avait un nez long, mais harmonieux. Comme celle d'une statue.

Alors que je continuais de la dévisager, elle dit quelque chose qui me sortit de ma contemplation.

-Ca pourrait être nous, dit-elle, pointant du menton le tableau.

Alors que je suivis son regard, elle finit par tourner le visage vers moi, un rictus peint sur les lèvres. Elle finit par rire doucement, et continua sa route dans la galerie. J'étais écarlate car pleine de surprise et d'incompréhension, car cette fois, j'avais bien reconnu la scène : sur ce tableau, deux femmes s'embrassaient.

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