Chapitre 3

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Steven me tend une tasse de thé chaud. Je le remercie d'un geste et porte la boisson à mes lèvres. Mon meilleur ami fronce les sourcils, visiblement contrarié. Je pose mon verre et regarde l'horloge accrochée au mur indiquant 11h40. Le temps m'apparait comme ralenti.

Ce silence qui s'est instauré entre nous après son aveu ne me plait pas le moins du monde mais aucun de nous n'est encore décidé à le briser. Est-ce de la peur que je décèle dans le regard à la fois troublé et perdu de Steve ? Il regarde dans le vague, les yeux rivés sur quelque chose, invisible à mes yeux.

J'entends un bruit de pas. Je fais volteface et aperçois la fillette, toute petite dans un coin de la pièce qui nous observe en silence, suçotant, apaisée, sa tétine. Je fais un geste pour venir à sa rencontre mais Steve me devance. Je n'ai même pas le temps de me lever de ma chaise qu'il la tient déjà dans ses bras, la couvrant de caresses.

Il me semble tellement puéril à ce moment-là, comme s'il était retourné en enfance. Je jette un oeil à ses bras bourrés de cicatrices, cachées par d'étranges tatouages. J'ai de la peine pour lui et pourtant, je sens comme une montée de rage qui me prend. Nous ne sommes plus en enfance. Mais, il garde son insouciance. Comment... ?

Avec un tremblement, je réussi à attraper ma tasse pour boire le thé qui me reste. Le goût a, lui aussi, changé. Un liquide amer descend à présent le long de ma gorge. J'ai beaucoup de peine à avaler.

- Mais oui, qui c'est ma princesse ? Hein ? Hein, ma petite ? marmonne Steven en serrant contre lui ce petit bout de chou.

- "Princesse" ? Tu comptes déjà lui donner des surnoms ? demande-je en ne riant qu'à moitié.

Il a l'air de s'être vite habitué à la présence de cette fillette. C'est soulageant. Par contre, ça a aussi le don de m'agacer. Il devrait revoir ses priorités, sérieusement. Je me mords furieusement la joue sans aucune explication. C'est insoutenable de voir Steve prendre du bon temps comme ça alors que, moi, mille questionnements et mille peurs me submergent.

En fait, j'arrive même plus à savoir ce qui m'énerve le plus. Son affection pour la petite alors qu'il y a à peine quelques jours il voulait la rejeter ou ce sentiment insurmontable d'abandon ?

Non... Je ne peux pas être sensible à ce point. Y'a un "truc qui cloche", comme dirait Steven. Je suis seulement épuisé, c'est sûremant cela. Je devrais faire une sieste, me coucher un moment. Je n'ai pas les idées claires, c'est tout.

Je me relève de table et m'étire un instant. Steven porte à nouveau son attention sur moi et me demande si tout va bien. Je marmonne une quelconque excuse et me précipite dans ma chambre. Je ferme la porte et me laisse tomber sur mon lit, la tête débordant de regrets.

Je me noie dans une spirale de souffrances. C'est inadmissible d'être si faible. A quel moment ai-je pu si mal tourner ? J'ai mal bordel... Je voudrais repartir de zéro, tout foutre en l'air, continuer ma vie d'étudiant comme tel.

Je plonge mon visage baigné de mes fichues larmes dans mon oreiller, étouffant mes sanglots de désespoir. je me sens si sale, si seul, si petit, si fragile. Je me sens minable, purée. Je reprends un moment mon souffle et ferme les yeux. Les souvenirs reviennent, déchirants espoirs et ambitions, faisant s'écrouler toutes les briques de mon royaume petit à petit.

- Miles ! Miles ! Ouvre-moi tes putains d'yeux, Miles ! me hurle un Steven en colère.

Il me secoue de toutes ses forces, pire qu'un prunier. Je me réveille d'un coup, essayant de surmonter une vague de fatigue qui m'emporte. Il me prend dans ses bras et me serre furieusement contre lui. Je voudrais m'endormir... Juste, ne plus souffrir...

Toc toc toc. Un toquement, de timides grattements à ma porte, me font lever la tête et rouvrir les yeux. J'ai juste envie d'être seul. Qui diable pourrait bien vouloir nous déranger maintenant ?!

Les grattements cessent aussi soudainement qu'ils avaient commencé et la petite princesse passe son visage d'ange à travers la porte entrebâillée. Ses yeux autrefois si inexpressifs, sont maintenant parcourus, à mon grand étonnement, d'une bien étrange lueur d'inquiètude.

Son regard passe des rideaux de soie blanche qui ornent les fenêtres à moi, baignant dans mes propres larmes et ma sueur. Je dois vraiment avoir l'air archi nul, archi sale, dégoûtant. Je suis en piteux état.

La petite fille retient un petit cri étonné. Elle fait un pas en avant, entre à moitié dans la pièce puis s'arrête net, une expression honteuse et fautive sur son joli minois. Elle me fait me sentir encore plus coupable alors même que j'ignore ce que j'ai fait.

Steven lui intime gentiment de venir auprès de nous, ce qu'elle fait sagement. Elle s'assoit entre nous sur le tapis gris de la chambre et nous restons, ainsi, dans le silence de nos trois respirations successives, sans faire le moindre mouvement de peur de gâcher ce pur moment de paix. Je respire un air pur en ne me souciant guère de rien.

Elle me prend par surprise en posant sa petite tête sur mes genoux et ferme les yeux. J'avale ma salive. Ce seul geste réussit à me faire stresser. J'ignore comment m'y prendre. La main de Steve vient réchauffer la mienne, de glace. Et, c'est ainsi que je parviens à franchir le cap de la peur.

Je tends la main vers sa chevelure d'or et lui caresse tendrement la tête en lui massant le dos. Elle tourne un peu son visage vers moi, les yeux brillants de mille éclats.

- Papa... me chuchote t-elle, agrippant ma manche et me souriant.

Je reste hébété. J'arrive à grimacer un pâle sourire qui doit cacher tant bien que mal ma joie. J'ai juste envie de huler, de pleurer. C'est impossible... Une larme coule néanmoins sur ma joue.

Steven, les joues rouges, les yeux larmoyants, le sourire béat, regarde la scène à demi sous le choc. Il me serre la main et me tire vers lui en riant et sanglotant :

- C'est bon Miles, c'est bon ! Elle a parlé !

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