Chapitre 9 : VERS LES PLANTATIONS
Nkulu n’eût guère le temps de se remettre de l’épreuve du marché aux esclaves. Après son arrivée dans le port, il avait été transféré avec d’autres captifs dans des enclos insalubres, où les conditions étaient encore plus dégradantes. Les Portugais les avaient tous séparés en groupes, comme du bétail, et un à un, ils étaient vendus aux plus offrants. Pendant les jours qui suivirent, Nkulu tenta de trouver une lueur d’espoir, se raccrochant à l'idée que son destin pourrait être différent, que peut-être il finirait par retrouver une forme de liberté. Mais l'attente et la douleur étaient omniprésentes, et il se rendit vite compte que sa liberté, s’il en avait un jour eu, était désormais un souvenir lointain.
Il se retrouvait dans un groupe d’esclaves pris de terreur, dont les vies venaient d’être réduites à des simples chiffres, les hommes et les femmes devenus des marchandises. L’atmosphère était lourde, pesante. Nkulu essayait de trouver un peu de réconfort dans la présence de ses compagnons d’infortune, mais les regards de chacun étaient ternes, brisés. Ils avaient été capturés dans les forêts et les champs du Kongo, arrachés à leurs familles, et désormais, ils devaient se soumettre à un monde qui n’avait aucun respect pour leur humanité.
Dans ces moments sombres, Nkulu revint souvent aux souvenirs de son enfance, aux rires de sa mère, aux conseils de son père et aux histoires que son oncle Kazi lui racontait. Il se rappelait le royaume Kongo, les rituels de leur peuple, la beauté des paysages, les traditions ancestrales. Tout cela semblait désormais appartenir à un autre monde, une autre vie. Le présent était fait de souffrance et de servitude.
Après quelques jours passés à la merci des négociants en esclaves, Nkulu et ses compagnons furent finalement achetés. Il entendit les négociants portugais discuter de l’affaire en portugais, une langue qu’il commençait à peine à comprendre. On lui donna un nom, un nom qui n’était pas le sien, mais qu’il devait désormais porter : Pedro. Ils l’avaient rebaptisé, effaçant son identité. Ce n’était pas simplement un changement de nom, mais une tentative de dépersonnalisation totale. Il n’était plus Nkulu, le fils du Kongo, il était désormais Pedro, un esclave sans passé, sans famille, sans avenir.
Le maître qui l’acheta s’appelait Don Álvaro, un riche propriétaire terrien portugais, qui possédait plusieurs plantations dans les colonies du sud des Amériques. Il l’avait acheté pour travailler dans les plantations de sucre qui s’étendaient à perte de vue dans les régions chaudes et humides, là où les esclaves étaient considérés comme des machines de travail, destinées à produire pour enrichir leurs maîtres. Après des jours de voyage, Nkulu fut emmené avec d’autres esclaves dans une charrette tirée par des chevaux, à travers un paysage qu’il ne reconnaissait pas.
Le trajet, qui aurait dû prendre quelques jours, s’étira pendant une semaine. Nkulu, affaibli par la mer et la malnutrition, peinait à suivre les autres. Les bruits de la forêt tropicale, l’odeur étrange des herbes et de la terre humide, tout était si nouveau, si étrange. À chaque étape du voyage, les hommes portugais les surveillaient d’un regard dur, prêts à les punir au moindre écart. Les esclaves marchaient en silence, épuisés, leurs pieds nus écrasant la terre battue. Leur silence était celui de l’humilité forcée, une obéissance imposée par la peur et la violence.
Les journées étaient marquées par la chaleur accablante, les longues heures sous un soleil de plomb, les nuits à l’air humide. Le voyage était plus une torture qu’un déplacement. La faim et la soif étaient constantes. Les rares moments de répit se faisaient dans la poussière et l’ombre des arbres, mais même là, la peur persistait.
Nkulu, qui avait été un jeune homme vigoureux, commençait à perdre toute sa vigueur. Il voyait les autres esclaves, plus jeunes que lui, tomber sous le poids de la fatigue. Certains se mettaient à trébucher et tombaient, à peine conscients, ne trouvant même plus la force de se relever. Chaque jour, un ou deux esclaves succombaient à l’épuisement. Leurs corps étaient laissés sur le bord de la route, comme des déchets. C’était la dure réalité du commerce des esclaves : la vie d’un esclave ne valait rien.
Dans la pénombre des forêts, les esclaves mourants étaient laissés derrière, ignorés. Nkulu, au début, avait essayé d’encourager les plus faibles, mais il se rendit vite compte qu’il n’était pas en position d’aider qui que ce soit. Il était lui-même au bord de l’épuisement. La fatigue, la soif, la faim, tout se mélangeait, et la douleur du corps était si intense qu’il n’arrivait plus à penser à autre chose. Mais dans les rares moments de répit, il pensait à sa mère, au royaume Kongo. Il se demandait si quelqu’un, là-bas, penserait à lui.
Il ne savait pas exactement où il allait, mais il comprenait de plus en plus que sa vie était désormais celle d’un esclave, qu’il ne retrouverait peut-être jamais sa terre. Après plusieurs jours de ce voyage insupportable, il arriva enfin dans les plantations du sud. Là, il fut immédiatement mis au travail dans les champs de canne à sucre, sous l’œil impitoyable de son maître et des surveillants. Son corps se soumit à un nouveau quotidien, un quotidien de violence, de soumission et de travail forcé. Les esclaves étaient traités comme des bêtes de somme, leurs corps brisés, leurs esprits écrasés sous le poids de la peur et de la répression.
Les vêtements de Nkulu, comme ceux des autres esclaves, étaient faits de toile grossière, déchirés, poussiéreux et sales. Les cicatrices laissées par les fouets des gardes étaient visibles sur les peaux noires, les marques d’une souffrance indicible. Mais, malgré tout cela, Nkulu gardait dans son cœur une petite flamme d’espoir : l’espoir qu’un jour, quelqu’un, quelque part, se souvienne de lui, de son peuple, de son histoire. Mais, pour l'instant, il devait survivre. Survivre dans ce monde où tout semblait être contre lui.
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