RHEYÆ (Rheya 4.2) - Chapitre 01.1

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06 janvier 2125 du calendrier grégorien. Montréal, Canada non fédéré, planète Terre.

Rheyæ Alluedol avait peur de mourir dans la douleur.

Pas un jour sans y penser.

Parfois, elle se disait qu’il lui en faudrait peu pour perdre pied. Une simple pensée. Mais elle savait que ce n’était ni simple, ni seulement une pensée.

Chaque matin, comme la majorité des personnes qui se levaient tôt, au moins cinq jours par semaine, elle maudissait ce jour de n’être pas un jour de congés. Un jour où elle pourrait profiter de la présence de Louise et de Neil.

Une fois sortie de son lit, faire sa toilette, se maquiller, puis s’habiller et retrouver sa bonne humeur n’étaient pas difficiles.

Le temps qui lui restait avant d’aller travailler, elle l’accordait à Neil et à Louise.

En général, elle n’avait pas à sonner l’appel de la troupe. La jeune fille était une lève-tôt qui refusait de perdre son temps à ne rien faire.

À seize ans, l’adolescente avait déjà un grand sens des responsabilités. Avec ce qu’elle avait sûrement vécu malgré son âge, le contraire aurait été difficile. Si elle n’en parlait pas, sa maturité, certaines de ses réflexions et de ses réactions le faisaient pour elle. Le reste du temps, elle ressemblait à peu près à une jeune fille normale.

Tous les matins, elle préparait la table et le petit-déjeuner pour trois, parfois quatre lorsque Léo était là.

Neil, lui, s’occupait de mettre la table le soir. Du moins, quand sa maladie ne le lui faisait pas oublier. Il était atteint d’Alzheimer précoce, ou de quelque chose qui s’en rapprochait.

Aucun médecin ne savait de quoi il souffrait exactement.

Avant sa maladie, Neil était un génie scientifique, l’un des plus talentueux de sa génération. Son domaine de prédilection était la biotechnologie.

Sa sœur jumelle, Maraid, était exobiologiste. Côté génie, elle n’avait sûrement rien à envier à son frère.

Après des semaines de recherche, c’était elle qui avait fini par découvrir que Neil s’était injecté une solution de sa création qui avait anéanti bien plus que ses facultés intellectuelles. Elle avait recherché les traces des recherches de son frère pour trouver les composés de ce cocktail et en composer une autre qui inverserait les effets, mais il s’était avéré que son frère avait tout détruit. Il avait même détruit son journal personnel.

Maraid en avait donc déduit que son acte était intentionnel.

Dans ses mauvais moments, Neil était conscient d’avoir été en possession de facultés extraordinaires. Parfois, il se renfermait totalement, d’autres fois il vivait l’instant présent, soucieux des personnes qui l’entouraient, et indépendant.

Pourquoi s’était-il injecté cette solution ? Avait-il eu conscience des conséquences ? Si oui, alors il l’avait fait en connaissance de cause.

Pourquoi ?

Pour oublier le décès de son épouse ?

Elle s’appelait Wendie. Cela faisait un an qu’elle était décédée, emportée par un cancer agressif. Il ne s’en était pas remis.

Malgré cela, Maraid en doutait que ce soit cette perte qui ait provoqué le geste de son frère. Il se rendait tous les jours sur sa tombe qu’il entretenait avec tout l’amour qu’il avait pu porter à sa femme de son vivant. Il ne l’aurait jamais abandonnée ainsi, après une année de deuil impossible.

Et puis, sa sœur et ses neveux comptaient aussi énormément pour Neil. Aussi, les raisons de son acte restaient-elles un mystère.

Rheyæ n’avait pas d’opinion sur le sujet.

Le fait était que Neil aurait dû être interné dans un établissement spécialisé et particulièrement privé, aux frais de l’État canadien. Une sorte d’oubliettes pour les détenteurs d’informations sensibles et autres secrets d’État.

Neil avait successivement travaillé pour la NASA, pour l’armée, et comme conseiller spécial aux affaires spatiales auprès du Premier ministre canadien. Ses travaux étaient suffisamment importants pour qu’ils ne tombent pas entre de mauvaises mains et qu’il soit mis sous étroite surveillance.

Maraid avait mis toute son énergie, hypothéqué tout ce qu’elle possédait pour engager un très bon avocat, et même mis sa réputation en danger pour que son frère ne soit pas interné.

Neil ne lui avait pas facilité la tâche.

Il s’était enfui à plusieurs reprises.

À chaque fois, Rheyæ avait été chargée de le retrouver. Elle s’était trouvée mêlée à la vie de Neil Doyle, par hasard, et aujourd’hui, il faisait partie de sa vie au même titre que Louise. Elle en avait la responsabilité.

Sauf cette semaine. Neil passait une quinzaine de jours chez sa sœur chaque trimestre. Quant à Louise, elle se trouvait chez son beau-père Paul Schiller, dans l’ouest France. Elle y retrouverait sans doute son père biologique, Henri Fromont.

Celui-ci ne faisait que des apparitions courtes dans la vie de sa fille, et finalement assez récentes. Louise n’avait toujours connu qu’un seul père, Paul Schiller. Il avait épousé l’ex-épouse de Fromont, Jeane, et avait élevé Louise depuis sa naissance.

De Henri Fromont, Rheyæ ne savait que ce que lui avait dit Louise. D’après l’adolescente, il n’était pas l’homme le plus recommandable du monde, mais ses intentions étaient honnêtes. Du moins, celles qu’il laissait paraître.

Avant d’accepter de veiller sur Louise, Rheyæ avait voulu savoir dans quoi elle s’engageait. Elle avait eu accès à une copie des dossiers que le FBI et Europol possédaient à son sujet. Son patron, Bolt, avait fait jouer quelques-unes de ses relations pour les obtenir.

Ils soulignaient que Fromont était un homme d’affaires extrêmement riche et influent. Il n’en restait pas moins qu’il était soupçonné d’activités illicites, et peut-être même de faire partie d’une organisation criminelle. Mais si tel était le cas, l’homme était suffisamment malin pour ne pas se faire prendre.

Rheyæ ne l’avait rencontré que deux fois. La première fut à l’occasion d’une affaire de trafic d’œuvres d’art. Il devait apporter son témoignage dans l’affaire.

Ses collègues, Nora et Byron, veillaient à ce qu’il se présente bien au tribunal.

Ce fut à cette occasion qu’elle rencontra Louise pour la première fois.

La jeune fille avait voulu rencontrer son père biologique.

Le moment n’était pas des mieux choisis. Fromont n’avait pas eu l’air plus étonné que cela de la voir débarquer, comme si, contrairement à elle, il l’avait toujours connue. Ce qui était le cas. Et apparemment, les parents adoptifs de la jeune fille n’y étaient pas étrangers.

Plutôt qu’à Nora ou à Byron, c’était à elle que Fromont avait demandé de veiller sur Louise. Il lui avait même demandé d’appeler son père adoptif. Celui-ci avait été soulagé d’apprendre que Louise allait bien. Il était arrivé du Canada dans les heures qui avaient suivi.

Les explications entre ce père qui avait vécu le pire des tourments et la jeune fugueuse n’avaient pas été aussi houleuses qu’elle s’y attendait. Au contraire. Il y avait un vrai soulagement de la part de l’un et de l’autre.

Elle les avait logés durant toute la durée du procès d’Henri Fromont. Elle avait ainsi appris que la mère de Louise était décédée quelques semaines plus tôt. Le père et la fille s’en remettaient difficilement, mais il était clair que ce qui préoccupait le plus Paul Schiller, c’était le bien-être de Louise, mais aussi, elle s’en rendit rapidement compte, sa sécurité.

Louise était effectivement une jeune fille très particulière. Comme elle-même l’avait été…

Le procès d’Henri Fromont avait été promptement été réglé, à son avantage. Cependant, il n’en avait pas terminé avec la justice.

Sa seconde rencontre avec les deux pères avait eu lieu dans un restaurant parisien autour d’un déjeuner, en présence d’un avocat londonien.

Leur seul sujet de conversation avait été Louise. En commun accord, les deux hommes lui en avaient confié la garde temporaire de Louise le temps que les problèmes de Fromont avec la justice soient réglés. Il ne voulait pas que l’un de ses ennemis se serve de la jeune fille comme moyen de pression.

Depuis sa réapparition dans la vie d’Henri Fromont, l’existence de sa fille n’était plus un secret. Les réseaux en avaient fait leurs choux gras durant deux semaines entières avant de passer à un autre sujet.

Pour Paul Schiller, c’était plus qu’une épreuve difficile, mais il désirait que Louise soit en sécurité avec une personne capable de la protéger et en qui elle avait confiance.

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