Mountain (Rheya 6.9) - Chapitre 04.1

6 minutes de lecture

XXIIIe siècle, du calendrier grégorien. Date stellaire inconnue. Ozymandias, planète du système Etain, bras du Centaure.

Elle courait aussi vite que ses petites jambes, et l’adrénaline concentrée qu’elle s’était injectée quelques minutes plus tôt, le lui permettaient. Tous ses sens étaient en éveil. Cependant, depuis le début de sa courte vie, elle n’avait vécu que dans le vaisseau amiral des Terrannihilisateurs dont elle connaissait les coursives par cœur, et son air recyclé, aseptisé.

Elle se sentait perdue dans cette forêt d’arbres immenses et séculaires. L’air saturé de cendres lui brûlait la gorge et les poumons malgré le tissu sur sa bouche et son nez qui lui servait de filtre. Elle n’avait pas eu le temps de reprendre son casque, ni la moindre de ses armes qui lui avait été retirée après qu’elle ait été ramenée à la citadelle avec Baal, inconscients l’un et l’autre. Néanmoins, elle avait pour elle l’entraînement des cadets, tout comme son poursuivant, mais elle l’avait poussé bien au-delà de leur niveau d’apprentissage.

Elle avait achevé tous les cycles d’augmentation physique sans le moindre rejet. Normalement, cela n’aurait pas dû être le cas, mais la Magicienne avait voulu qu’il en soit ainsi. Beaucoup d’Assimilés ne supportaient pas, physiquement ou psychologiquement, les modifications corporelles parce qu’elles étaient effectuées trop tard, selon elle.

Circé s’était toujours gardée d’en faire part aux scientifiques chargés des opérations d’amélioration des combattants, et c’est elle qui avait le projet RH6.9 en charge. Elle avait pu agir à l’insu des autres scientifiques au service des Terranihilisateurs. C’était grâce à cela que Mountain avait pu bénéficier d’implants dont quelques-uns étaient encore inédits. Circé ne savait pas jusqu’où elle serait capable d’aller, quelles facultés elle développerait, ou même si elle en aurait de meilleure que les autres augmentés.

Consciemment, Mountain avait évité de montrer jusqu’où elle était capable d’aller. Elle l’ignorait elle-même. Elle ne voulait surtout pas devenir leur arme vivante préférée et devoir leur obéir au doigt et à l’œil. Elle n’était pas faite pour cela. Elle était toujours restée en dessous de des radars des instructeurs. Mais ces derniers temps, elle avait senti que son stratagème ne marchait pas sur tout le monde. Les entraînements supplémentaires imposés par la Magicienne y étaient-ils pour quelque chose ? Elle s’était fiée à son instinct, et elle avait mis les voiles. Au bon moment apparemment.

Circé l’avait senti elle aussi et avait accéléré les préparatifs. Les évènements avaient pris la tournure qu’elle connaissait. Elle n’avait pas le temps de s’apitoyer sur le sort de la magicienne, sur celui de Lando ou sur celui d’Insigo. Sur le sien encore moins.

Son poursuivant ne la lâchait pas d’une semelle. Elle n’avait pas besoin de se retourner pour le savoir. Cela aurait été une perte de temps et une grave erreur dans une course poursuite. Son instinct et les tours que lui avait appris Circé, c’était désormais à eux qu’elle devrait se fier, sans pour autant se reposer sur eux totalement…

Pour l’instant présent, il y avait sa vivacité physique et mentale. Elle tendit son esprit vers l’avant et se concentra sur le terrain humide pour ne pas glisser ou enfoncer l’un de ces pieds dans un trou de terre molle et de cendre pâteuse, ou le coincer sous une racine morte. Elle devait se dissoudre dans son environnement, se servir de lui au besoin… Elle se concentra sur ces odeurs qu’elle n’avait jamais connues avant d’arriver sur cette planète. Celles d’une forêt qui, nuit après nuit, jour après jour, n’en finissait pas de mourir.

Elle tendit son esprit vers le but à atteindre : quitter cette planète, pour un autre monde, un autre temps. Peut-être s’y débarrasserait-elle enfin de l’odeur du sang dans ses narines, dans sa bouche… Ou pas. Il y avait dans l’air des odeurs de sang, de chair brûlée, de carburant et d’explosifs qu’il lui serait difficile d’oublier.

Le Sambre, derrière elle, était dans son élément. La planète de celui-ci, Sambre, avait été l’une des dernières conquises par les Terrannihilisateurs, il y avait deux environ… Enfin deux ans pour elle.

La plupart de ses habitants avaient été tués, mais les Terrannihilisateurs en avaient tout de même gardé quelques-uns. Un trésor pour eux, car les Sambres vivaient sur une planète forestière, certes, mais particulièrement hostile. Il leur était difficile d’y cultiver des aliments comestibles. Ils ne se nourrissaient donc que de ce que leur donnait la nature.

Une sorte de lien s’était développé entre eux et elle. Mais n’importe qui ayant les moyens de se substituer à la Mère Protectrice et Nourricière se voyait récompensé d’une fidélité absolue de la part d’un Sambre. Y manquer signifiait la perte de son honneur, et peut-être même de sa vie.

Les envahisseurs s’étaient dépêché d’imprégner de force les survivants, avant de les convertir et de les augmenter physiquement.

En ce qui concernait l’imprégnation, elle ne connaissait que ce que Circé lui avait enseigné sur le sujet : avant que la guerre ne fasse irruption dans la galaxie, les aînés femelles ou mâles étaient élevés pour devenir les maîtres assassins de seigneurs ou d’individus fortunés, souvent peu scrupuleux quelle que soit leur espèce pour peu qu’ils puissent payer leurs services à la famille du Sambre. En échange, celui-ci se livrait corps et âme à son maître.

Les Sambres avaient la réputation de ne jamais manquer leur cible. Ils étaient craints de tous. Plus d’une fois, ils avaient été l’objet de tentatives d’anéantissement, mais Sambre était leur refuge, et elle les avait protégés jusqu’à l’arrivée de ce nouvel ennemi l’avait anéantie.

Elle ne savait pas comment le gamin avait pu échapper à l’imprégnation forcée et se retrouver parmi les recrues. Des prisonniers, très jeunes, qui ne connaîtraient, comme tous ceux qui les avaient précédés, que l’armée et les doctrines des Terrannihilisateurs. Ils intégreraient l’élite, les unités des meilleurs combattants à partir de leur maturité sexuelle. Ce seuil variait en fonction des espèces. Beaucoup mourraient dès leur première année de combat, mais pour ceux qui survivraient alors la vie serait infiniment plus facile à bord du vaisseau.

Dès les premières années d’entraînement, les recrues comprenaient ce que cela signifiait, et très rapidement la concurrence devenait rude entre eux. Pour défier la mort, les plus faibles s’alliaient aux plus forts. Elle, elle n’avait jamais accepté la moindre alliance. Elle avait juste appris à se battre, à survivre et à se faire oublier de ses camarades.

Parfois, il lui arrivait d’apporter son aide à l’un d’entre eux, mais c’était toujours à charge de revanche, parce qu’elle avait besoin de quelque chose... Était-cela qui l’avait trahie ? En tous les cas, le gamin s’était collé à elle comme une tique et ne l’avait plus lâchée.

Au début, il l’avait intriguée. Elle ignorait d’où il venait, ce qu’il était. Elle ne connaissait que le nom qu’il s’était donné : Insigo. Elle avait découvert ses origines en entendant les gardes évoquer les Sambres qu’ils avaient capturés quelques semaines plus tôt. Exactement à l’époque où Insigo était apparu. Elle avait senti dans leurs paroles la crainte que ces humanoïdes inspiraient aux autres espèces de la galaxie, même les plus puissants.

Ce gamin était singulier. Le genre de ceux à qui vous dites qu’il pleut et vous répondront que non même s’ils sont trempés jusqu’aux os. Du coup, pas étonnant que l’assimilation ait glissé sur lui. Il était imperméable au bourrage de crâne des instructeurs et aux brimades.

En ce qui concernait son imprégnation, elle en avait conclu qu’il avait été très chanceux pour avoir réussi à cacher ce qu’il était vraiment aux yeux de tous. Il avait dû arriver à bord du vaisseau avec des centaines de prisonniers Sambres. S’était-il caché dans les jupes de sa mère pour échapper aux contrôles avant de se mêler aux prisonniers déjà présents ? Cela ne l’avait pas empêché d’être incorporé au sein des jeunes recrues.

Elle aurait pu le dénoncer aux gardes de la sécurité. Ce qui lui aurait valu d’être considérée comme loyale, parfaitement assujettie à ses maîtres. En même temps, elle aurait pu attirer l’attention sur elle. Elle aurait sans doute obtenu une promotion qui lui aurait laissé moins de liberté d’action qu’elle n’en avait déjà.

Annotations

Vous aimez lire Ihriae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0