Dieu a un grain

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Il était une fois une petite rivière sinueuse. Du rocher de sa source à l’océan, il n’y avait qu’une quarantaine de kilomètres, mais il y avait tant de lacets et de détours qu’un saumon aurait dû en parcourir le double pour rejoindre les eaux salées. C’était une belle région, sauvage et boisée, avec de petites clairières laissant passer la lumière et le gibier. La rivière était d’autant plus belle qu’elle scintillait plus que toutes les autres au soleil de midi. Les reflets de ses eaux tantôt vives, tantôt calmes n’étaient pas l’unique cause de ce chatoiement. Un jour, un humain vêtu de bottes et d’une veste de peau à franges aperçut ce pétillement dans l’eau. Il se pencha, effleura l’onde avec la pointe de sa longue barbe grise et s’exclama :

— Par les deux pendentifs du cornu ! Mais il y a de l’or ici !

Alors il remonta jusqu’à la source et donna un coup de pioche dans le rocher d’où sortait l’onde. Il cogna de nombreuses fois jusqu’à obtenir un échantillon de pierre. Mais ce qu’il n’avait pas vu, c’était qu’un éclat avait sauté : un grain de sable qui était tombé dans l’eau. Mais ce grain avait eu le temps de voir son Créateur avant de tomber dans le lit de la rivière. Pendant que l’homme partait pour faire analyser la carotte, le grain de sable commença à réfléchir :

— Mais je pense donc je suis. Et si je suis, ne serait-ce pas grâce à ce bipède ? J’ai le souvenir d’un grand choc, d’un big bang. Ensuite, tout a tourné autour de moi, tout était flou, bleu puis vert. Il n’y a que ce visage que j’ai vu net. Ce visage qui m’a regardé avec un sourire. Après ce regard, tout est devenu plus net, j’ai pu penser. Oui, j’en suis certain, le Bipède est mon Dieu ! S’il m’a créé, quelle puissance ne doit-Il pas avoir ? Il pourrait me faire disparaître aussi facilement qu’Il m’a fait naître. Je me dois de L’honorer et de Le prier. J’en suis certain, un jour, Il reviendra pour que je l’accompagne.

Ainsi pensa le petit grain de sable proche de la source de la rivière. Quelques semaines passèrent, le temps que l’homme reçoive le résultat des analyses et achète le matériel pour revenir à la rivière. Il passa les quelques premiers jours à construire une cabane pour se protéger des intempéries, puis il s’installa au bord de la rivière avec sa bâtée, la plongea dans l’eau et la fit osciller. Le grain de sable le vit et comprit qu’il pourrait plaire à son dieu en oscillant aussi. Alors, il tenta de contrer le courant et de tourner sur lui-même pour attirer son attention. Cela dut fonctionner : quelques jours plus tard, le Cône Divin le prit avec une foule de ses semblables. Mais les athées furent éjectés dès les premiers mouvements. Le grain de sable le comprit et commença à le prier plus fort :

— Mon Dieu, je Vous aime de tout mon cœur et par-dessus toutes choses parce que Vous êtes infiniment bon, infiniment aimable, et j’aime mon prochain comme moi-même.

À cette prière, il vit l’Œil de Dieu se pencher sur lui puis se froncer comme pour mieux voir. Il vit le Divin Doigt fendre l’onde, s’approcher de lui puis récupérer un de ses frères. Un gros grain tout doré. Dieu jeta le contenu du Cône et lui avec. Alors le grain comprit qu’il avait côtoyé un saint, que seuls les saints étaient rappelés à Son côté et qu’il fallait faire acte de contrition. Alors le grain décida de suivre l’onde pour partir en retraite. Ainsi, il pourrait méditer jusqu’à laisser l’essence divine le pénétrer.

Cela dura quelques années. Quelques années où le grain de sable gît dans le lit de la rivière en oscillant au gré du courant, en réfléchissant aux desseins de son Créateur. Un jour, à nouveau, le Cône Divin se pencha sur lui et l’emmena pour le juger une nouvelle fois. Il se regarda : les flux et ressacs du courant avaient arrondi ses angles. Il avait davantage la forme du saint qu’il avait vu lors de sa Première Épreuve. Quelques hérétiques furent vite éjectés et, à nouveau, il se retrouva parmi les derniers Élus.

— Mon Dieu, j’espère avec une ferme confiance que Vous me donnerez votre grâce en ce monde et, si j’observe Vos commandements, le bonheur éternel dans l’autre, parce que Vous nous l’avez promis et que Vous êtes toujours fidèle à Vos promesses.

Mais sa foi et sa prière ne durent pas être suffisantes, il fut rejeté à l’eau. Mais le grain de sable ne perdit pas espoir, il vit que l’Œil de Dieu s’était attardé plus longuement sur lui. Il n’était pas prêt, son Créateur lui donnait encore du temps pour se montrer digne. Sa foi s’en trouva renforcée. Il alla dans une retraite plus lointaine encore pour méditer. Cela dura quelques années, et puis le Démon apparut. C’était un monstre terrifiant, pastichant le seigneur ! Il avait des poils comme Dieu, mais ceux-ci étaient foncés — signe de méchanceté et de malveillance. Le Démon avait également un bec, des pattes palmées et une queue plate. Il creusa dans les bords de la rivière et disparut dans le trou. Le grain de sable eut peur puis réalisa que le Démon était là pour mettre sa foi à l’épreuve. De nombreuses fois, il plongea son bec contre lui, le fit valser pour le torturer, pour qu’il abjure ses croyances. Il écrasa, broya, dévora même de nombreuses écrevisses et des vers pour lui montrer ce qu’il lui arriverait s’il ne se soumettait pas bientôt, mais jamais le grain de sable ne céda. Quand le Démon comprit que ses efforts étaient vains, il le jeta d’un coup de patte et l’onde l’emmena plus bas dans la rivière. Plus bas, si loin qu’il arriva à l’embouchure. Le grain de sable crut qu’il allait être perdu dans l’immensité de l’univers, qu’il s’éloignait de son Dieu, que jamais plus il ne le reverrait.

Mais un courant contraire s’amorça et le fit dériver le long de la plage. Non loin, le grain de sable aperçut une silhouette allongée, il reconnut la barbe. Dieu était là. Il ne bougeait plus, l’Œil était fermé. Le grain de sable se logea tout près de lui en priant :

— Je resterai près de Toi jusqu’à la fin des temps. Et, le jour du Renouveau de l’Univers, le jour du Jugement Dernier, nous ressurgirons du néant où T’as entraîné le Diable. Je resterai près de Toi, Toi qui m’as donné la vie, n’aie crainte. Ma foi te conservera.

Et le temps passa. Le sable recouvrit le corps du chercheur d’or, la mer se retira de quelques mètres, les plantes s’installèrent puis disparurent. La mer revint et partit, la terre s’approcha et se percuta. Des millions d’années passèrent, puis des créatures s’approchèrent. Elles se mirent à creuser la roche. Un outil brisa un os, attira l’attention. Un autre être fut appelé, il dégagea le fossile, le plaça précautionneusement dans une gangue de plâtre. Le paléontologue qui se chargea de nettoyer les os ne put jamais détacher un grain de sable collé contre le maxillaire.

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