La fillette était aussi impatiente qu'intimidée lorsque, huit mois plus tard, elle se présentèrent à l'accueil du SCBRPE (service de contrôle des biodoubles récréatifs pour enfants). Marie avait trouvé l'attente fort longue mais on lui avait expliqué que la genèse et la programmation des clones prenait un mois par année d'âge souhaitée. Ce jeudi était enfin le grand jour.

Mère et fille accompagnèrent donc l'agent d'accueil jusqu'à une sorte de vitrine derrière laquelle elles virent pour la première fois "l'amie" de Marie : elle avait les mêmes cheveux blonds roulant en cascade sur ses épaules rondes, les mêmes mains fines qu'elle tenait sagement posées sur ses genoux. Sa tête baissée ne leur permit pas d'apercevoir ses yeux.

Elle se leva docilement à l'approche de l'homme, qui se saisit de sa main gauche et en approcha un petit appareil. Un bip retentit. Ezaïle dut ensuite apposer l'empreinte digitale de son pouce droit sur l'écran.

- Elle est à vous, déclara enfin l'agent. Vous vous êtes engagées à la traiter dignement, selon la législation en vigueur. Vous n'hésiterez pas à faire à nouveau appel à nos services en cas de dysfonctionnement...

Ezaïle hocha la tête et remercia ; elle sortirent, Marie poussant légérement par l'épaule son double, qui n'avait toujours pas levé les yeux.

***

Dans la cabine de transportation individuelle, Marie saisit la main de son nouveau jouet, qui frissonna à son contact :

- Regarde-moi ! lui dit-elle.

En vain. Le biodouble ne releva pas les yeux.

Marie jeta un regard implorant à sa mère qui paraissait plongée dans ses pensées :

- Maman ? Qu'est-ce qu'elle a au poignet ?

- C'est son RT code... répondit à regret Ezaïle.

La fillette réprima un cri mais se tut, la bouche ouverte. Elle savait que ce code était particulièrement utile pour le recyclage de tous les objets usuels usagés. Celui qu'elle avait sous les yeux semblaient à peine plus complexe que ceux des emballages des comprimés vitaminés qu'elle avalait chaque matin :

- Maman, arrêtons-nous, s'il te plaît, supplia Marie.

- Si tu veux communiquer avec elle, il faut d'abord lui donner un prénom, dit calmement Ezaïle.

- Meïra. Je veux l'appeler Meïra, répondit Marie sans hésiter.

Ezaïle s'approcha du clone toujours prostré, saisit son poignet et scanna le code à l'aide d'une minuscule télécommande ; elle put enfin accrocher le regard bleu de cet être de chair et de sang dont l'expression lui causa un immense désarroi. Elle s'accroupit devant elle, lui releva le menton avec douceur et articula d'une voix nette :

- BRPE G3 n°3568, ton nouveau prénom est Meïra.

Elle ajouta tout aussi distinctement :

- Je souhaite que tu aies recours à ton intelligence propre.

A cet instant, la télécommande s'autodétruisit dans la main d'Ezaïle qui laissa tomber au sol une poignée de cendre aussitôt digérée par l'aspiration automatique.

Stupéfaite, Marie n'en sortit pas moins de sa poche un écrin de fibre de verre d'où elle tira deux bracelets identiques :

- Meïra, regarde ! dit-elle.

Et sous les yeux de son double, elle boucla à son poignet gauche le premier bijou orné de pierres bleues. Puis, saisissant la main de Meïra, elle lui mit le second, qui vint cacher l'horrible RT code :

- Je suis Marie. Tu es Meïra et je veux que tu sois mon amie.

La voix enrouée de Meïra retentit alors pour la première fois dans l'habitacle :

- Marie, que puis-je faire pour toi ?