Chapitre 38

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— Tu lui as fait du mal ! Tant de mal…

La voix était grinçante, désagréable et souffreteuse. En un instant, Caes pressentait qu’il n’allait pas aimer voir son propriétaire.

Il fut surpris de constater à quel point il avait eu raison.

— Elle t’aimait, t’sais ! Elle voulait pas t’voir mourir, elle était pas capable de prendre la foutue décision. J’lai prise, moi… Et j’peux t’assurer que j’vais aimer ça…

L’homme s’interrompit avant de décoller son horrible visage des barreaux pour les aviser.

— Harlequin ? éructa-t-il. Tu fais quoi, ici ?

Le côté droit de son visage n’était qu’un amas de chair s’entremêlant en une vision de cauchemar. En ressortait un œil blanc à l’iris terrifiant et le noir d’une bouche dont le pourtour était presque sans lèvres. Curieusement, ses quelques cheveux longs recouvraient la partie saine de son visage comme s’il tentait de cacher l’homme en lui.

— Je ramène deux des prisonniers dans leur cage.

— Pourquoi ces deux-là ? demanda le brulé en s’avançant vers eux.

Dans la cellule, Caes put voir les silhouettes de leurs compagnons s’avancer tout en restant à bonne distance des barreaux.

— Ils ont survécu à l’épreuve mais n’allaient pas survivre à Ulysse.

— Ah, fit le brulé en s’approchant encore.

Il dévisageait Ezéquiel avec circonspection, amenant son visage de cauchemar de plus en plus près du jeune prince qui ne bougea pas.

— T’es qui, toi ? Il y a quelque chose chez toi…

Bien que ses expressions soient camouflées par ses traits ravagés et ses cheveux, Caes sentait qu’il était réellement intrigué. Ce qui n’annonçait rien de bon. À force d’attirer l’attention de tous ces monstres, ils n’en sortiraient jamais.

— Ah oui, t’as crevé la pieuvre et Brick !

Il se recula avec une sorte de sourire plaqué sur ce qui lui servait de visage.

— J’ai jamais aimé Brick, ricana-t-il. De même que les pieuvres… Perdu trop de vaisseau quand elles se mettent à attaquer sans même que la Gargante se vide de son eau. J’aime pas ses frères non plus. Et j’aime pas leur capitaine ! Sans cesse occupé à m’doubler ou à tenter d’me planter des couteaux dans l’dos ! Enfin c’comme ça qu’on vit ici, ou qu’on meurt… Foutu boiteux ! Il va m’manquer quand il va s’faire bouffer. Mais il y a les Jeux… et il y a Livressse aussi. Lui aussi, il tente toujours de doubler les autres et il plante des couteaux dans l’dos également… Brick est trop gros et Ulrich… eh bien, Ulrich…

Alors qu’il marquait une pause, visiblement perdu, Ezéquiel plaça.

— Je viens de vous débarrasser d’Ulrich.

— Ah oui, décidément, t’es efficace… Ça me fait…

Il s’interrompit et rejeta ses cheveux épars en arrière pour révéler la partie saine de son visage avec une expression angoissée.

— Où est Jalil ? Est-ce qu’il va bien ? commença-t-il d’une voix curieusement féminine avant de hurler de sa voix normale. Non !!

Il rabattit ses cheveux sur l’air angoissé tout en respirant bruyamment. Avant d’aviser Harlequin qui n’avait pas dit un mot.

— C’est la petite qui voulait pas qu’Ulysse les tue ?

L’apôtre acquiesça sans répondre et le brulé hocha plusieurs fois de la tête.

— La petite, elle sait ce qui est bien pour tout l’monde… Pour moi, pour elle, pour…

Il se tut une nouvelle fois tout en se grattant furieusement la nuque. Après un dernier regard en direction de la cellule dans son dos, il lâcha :

— Tu lui as fait du mal, Jalil. Et j’vais aimer ça !

Sur ces mots, il les contourna sans un regard et quitta le tunnel.

Un pesant silence s’abattit dans le tunnel. Et Caes s’aperçut que nul ne parlait dans les autres cellules. Même les blessés gémissaient plus doucement.

— Moi aussi, je l’aime pas ! gronda une voix qu’ils connaissaient bien.

Caes et Ezéquiel levèrent la tête en direction de Lombric qui les dévisageait d’une cellule les surplombant sur la paroi rocheuse opposée.

— Et je vous aime pas non plus, leur lança-t-il avec hargne avant de pointer Ezéquiel du doigt. Et toi en particulier ! Tu m’as pété des dents avec ton caillou et tu m’as tué Ulrich et Brick ! C’était des bons gars ! Et des gars utiles !

— Et Maff, chef…

— Pov’ connard ! Fais gaffe car, avec Ulrich qu’est plus là, c’est moi qui vais te claquer !

Il marqua une pause, en prenant visiblement le temps de la réflexion.

— T’as quand même raison, accorda-t-il. Même si c’était un moins bon gars, et moins utile.

— Moins utile surtout, chef…, désolé.

La porte grinça alors qu’Harlequin ouvrait la cellule pour les inviter à y entrer d’un signe de tête. Curieusement, Caes ne pensait même pas à s’échapper. Désarmé, il n’avait aucune chance contre l’apôtre dont il n’avait aucune idée des capacités. Cependant, il devinait qu’elles étaient plus que considérables.

Ils entrèrent alors que Lombric et son compère disparaissaient dans la pénombre de leur cellule et Harlequin referma la porte dans un nouveau grincement.

— Vous savez, fit-il à mi-voix. Ulysse a préparé un jeu pour la prochaine épreuve.

— Les épreuves ne sont-elles pas des jeux pour vous ? lâcha Caes avec amertume.

L’apôtre secoua la tête.

— Un vrai jeu, rectifia-t-il. Je vous conseille de faire une équipe.

Il tourna les talons et lâcha par-dessus son épaule.

— Et constituez-là de gens particulièrement méchants.

Caes et Ezéquiel échangèrent un regard désabusé.

— Des gens méchants, hein ? fit le jeune prince d’une voix curieusement absente.

— Bonté divine, vous n’avez rien ! s’exclama Jalil qui affichait tout de même un air grave. Yanis, Nathan ?

Ezéquiel hésita avant de répondre.

— Yanis est en vie, dit-il. Je suis désolé pour Nathan.

Une peine réelle se marqua sur les traits du médecin et derrière lui, Victor et les autres y faisaient échos. Têtes baissées, prières à l’adresse des Architectes, recueillements…

Le chevalier chassa les images du transporteur et de ses frères d’armes tombant les uns après les autres.

Ils leur laissèrent un instant avant qu’Ezéquiel ne finisse par demander.

— Qui c’était, ce type ?

Les soldats de l’Échanson grimacèrent. Jalil, lui, détourna le regard.

— C’est Lloris Jax, les éclaira Victor avec une grimace où se mêlaient peur et dégoût. Bras droit de l’Archevêque et ce qui se rapproche le plus d’un chef pour les apôtres. C’est certainement le plus fou d’entre eux.

Ezéquiel acquiesça tandis que le chevalier levait les yeux au ciel. Le Croissant avait toujours eu mauvaise réputation. On en disait que la pègre y régnait en maîtresse et que la vie n’avait de valeur que la somme d’argent avec laquelle elle se monnayait. Cependant, on ne parlait pas du degré de folie qui animait ses leaders et habitants. On occultait l’existence de ses monstres.

— Il parlait d’une femme ? continua le jeune prince en dévisageant Jalil qui s’employait fixer le mur.

— Crois-moi, siffla Victor. Si tu as la malchance de découvrir de quoi il parlait, tu en auras des frissons pour un moment. J’en ai encore. Et encore plus quand je vois ce malade !

— Génial…, ironisa Caes avant d’aviser le jeune prince. Nous avons notre équipe ici, mettons-les au courant.

Le jeune prince acquiesça de nouveau.

— Nous mettre au courant de quoi ?

— Ulysse organise une sorte de jeu pour la troisième épreuve, expliqua Ezéquiel. Nous ne connaissons pas le nombre de participants, ni les règles. Mais de ce que nous avons compris, nous pouvons choisir nos coéquipiers, ce qui est une excellente chose.

— Nous pouvons nous faire confiance, approuva Jalil qui s’était décidé à délaisser son mur. Qui vous a donné l’information ?

— Harlequin, répondit Ezéquiel.

Jalil grimaça.

— Harlequin n’est pas l’homme le plus digne de confiance, vous savez.

Caes et Ezéquiel échangèrent un nouveau regard.

— On a pas le choix, répliqua le chevalier. Nous…

Le bruit d’une procession le fit taire. Et se rendant compte que les soldats de la garde, y compris Ezéquiel et Jalil, avisaient quelque chose derrière lui, il se retourna pour faire face à Ulysse Yazak.

Merde, il est encore plus grand que Cormack, pensa-t-il.

Il était terriblement plus fort aussi. Et dire que le chevalier ne l’avait même pas entendu arriver. Plus loin, la procession de soldats ouvrait des cellules pour prendre des prisonniers.

Le mastodonte agrippa l’un des barreaux rouillés et d’une brusque traction ouvrit la porte en brisant littéralement le loquet.

Très, très fort…

Alors que tous reculaient, un soldat à bout de souffle arriva aux côtés de l’apôtre en brandissant inutilement une clé. Sans faire attention à lui, Ulysse Yazak désigna Caes, Ezéquiel et Jalil du doigt.

— Vous restez ici, dit-il de sa douce voix adolescente. Les autres, l’épreuve vous attend.

— Prenez-moi aussi ! cria Jalil en s’avançant au centre de la cellule. Je ne les laisserai pas comme…

— Tu te tais, souffla Ulysse qui regardait fixement Ezéquiel. Soit vous sortez, soit je vous tue.

Jalil allait répliquer quand Victor lui posa la main sur l’épaule avant de lui adresser un sourire. Les autres suivirent.

— Ne t’inquiète pas, Jalil ! lâcha-t-il. On est ensemble.

— Il ne peut rien nous arriver, dit un autre. Nous allons faire honneur à la garde d’Elban Feulys, aujourd’hui.

Certains parmi eux lâchèrent même quelques rires nerveux.

— Il est temps de se dégourdir les pattes, lança la femme qui avait pris Victor par l’épaule.

Alors qu’ils dépassaient le mastodonte toujours figé sur le jeune prince, Victor, des larmes dans les yeux, laissa tomber un :

— On va revenir !

Les rires reprirent, tandis que les soldats de l’Échanson rejoignaient les autres prisonniers réquisitionnés pour la nouvelle épreuve.

— Je crois que nous sommes partis du mauvais pied, toi et moi.

Caes ferma les yeux à ces paroles adressées à Ulysse Yazak. Car elles contenaient toute l’ironie dont le jeune prince était capable.

— Je suis persuadé que derrière cette montagne de muscles se trouve…

— Tu as humilié ma sœur, coupa Ulysse toujours aussi calmement.

— Si par humilier, tu entends survécu, je…

— Je vais te tuer, coupa une nouvelle fois le mastodonte. Jamais sur le chemin.

Ezéquiel pinça les lèvres tout en hochant plusieurs fois de la tête.

— Ce projet te tient visiblement à cœur…

Ulysse Yazak le fixa encore quelques instants avant de s’éloigner. Les soldats commencèrent à pousser la garde de l’Échanson mais Victor, indifférent à la lance qui lui titillait les côtes ne quittait pas Jalil des yeux. Les larmes de ce dernier coulaient sans discontinuer et le vieux garde, démontrant plus de retenue, ne laissait pas de doute quant à son émotion. Il couvait le jeune médecin d’un regard paternel qui brisa le cœur de Caes.

En deux pas, il sortit de la cellule sous les exclamations de stupeur des soldats. Avant qu’ils n’aient pu faire un geste, il serra Victor dans ses bras.

— Elban, lui souffla-t-il à l’oreille. Il nous a demandé de le protéger. On fera tout ce qu’on peut. Sur mon honneur de chevalier.

La surprise éclaira le visage du vieux garde avant qu’une lueur de compréhension ne s’allume dans son regard soudain plein d’espoir. Ses lèvres tremblèrent alors qu’il affichait un sourire sincère où se lisait son soulagement.

Une lame sur la gorge, Caes fut obligé de reculer et rebroussa chemin jusque dans la cellule sur laquelle une poignée de soldat avait commencé les réparations.

— Merci, entendit-il le vieux garde murmurer alors qu’il rejoignait ses hommes.

— Prenez les blessés aussi ! tonna Ulysse en fond avant de s’arrêter devant deux de ses propres hommes qui restaient immobiles. Ainsi que ces deux-là.

Stupéfaits, les deux soldats se virent entourés de leurs homologues et entraînés sans ménagement. Ulysse ne semblait guère enclin à la patience en ce jour.

En quelques instants, les soldats et nouveaux participants vidèrent les lieux. Les laissant avec pour seul fond sonore la clameur d’un public en liesse.

Un gémissement sortit de la bouche de Jalil alors qu’il se prenait la tête à deux mains, glissant dos contre la roche sans faire mine de la sentir râper contre sa peau. Ezéquiel et Caes échangèrent un regard où se lisaient leurs sentiments.

Nul ne parla.

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