Chapitre 57

10 minutes de lecture

Elle lui avait souri, il en était certain. Tout juste après avoir mis Bern au sol devant Garrick et les autres. Ils riaient tous, sauf Bern bien sûr et ils la regardaient tous avec la même admiration.

Cormack grimace en levant ses petits poings au ciel. Si les autres s’étaient contentés d’acclamer Leati Craft, lui avait littéralement sautillé tout en l’applaudissant. Tous les autres enfants s’étaient alors tournés vers lui.

Un râle s’échappe de sa gorge alors qu’il abaisse les poings. Délaissant ainsi sa posture d’agacement contre un abattement évident. Les bras ballants le long du corps sans force au rythme de son pas trainant. Devant tous ces regards, il avait poussé un cri aigu d’exclamation avant de rabattre bien trop tard ses mains contre sa bouche.

Il n’ose imaginer le spectacle qu’il a dû donner.

— Toi, le sauvage ! Je veux pas te voir trainer dans les parages !

Mais elle lui avait souri. Cependant, il ne sait pas si elle se moquait ou non. Se moquait-elle ?

Il pousse un cri lorsqu’un lourd objet s’écrase à deux pas de lui. Alors qu’il trébuche en arrière pour se retrouver les quatre fers en l’air, il se rend compte qu’il s’agit en fait d’un pied énorme rattaché à une jambe monstrueuse, elle-même appendice d’un corps difforme semblable à un rocher humain.

— Tu m’as entendu, le sauvage ?! éructe Maurin Grosbaril.

La frayeur de Cormack passe alors qu’il avise les alentours pour voir si Leati Craft se trouve dans les parages. Soupirant de soulagement lorsqu’il se rend compte que ce n’est pas le cas, il se relève péniblement en essuyant la terre qui s’accroche à ses vêtements.

— Je ne suis pas un sauvage, réplique-t-il en levant un regard sérieux sur le personnage qui le domine de toute sa corpulence. J’ai un nom et c’est Cormack !

Il contourne le géant en époussetant son sac d’école qui a grandement amorti sa chute. Sans plus un regard pour l’être qui continue de le toiser, il marmonne :

— Et dire que ce n’est même pas le pire moment de la jour…

Il crie encore lorsque Maurin Grosbaril l’attrape par la nuque.

— Mais qu’est-ce qui vous prends ?! Vous me faîtes mal !

Mais le patron de Chez Mau ignore ses cris et, d’une seule main, il l’élève jusqu’à ce que leurs visages soient face à face. Les jambes du petit Rolf s’agitent inutilement alors qu’il culmine à ce qui lui parait des mètres. L’homme l’observe un moment se débattre faiblement. Il n’y a nulle expression sur son visage aux yeux si noirs qu’ils semblent être deux puits sombres. Un regard qui réduit Cormack au silence. L’instant d’après, il tremble de tous ses membres et autour d’eux, les passants accélèrent le pas et font comme s’ils n’avaient rien vu.

Cormack se sent encore plus petit.

— Tu es un animal, dit finalement le géant hirsute tout en continuant de le dévisager.

En dépit de sa frayeur, le petit Rolf se fige à ces mots. Il sent les larmes lui monter aux yeux mais il les refoule au prix d’un incroyable effort.

— Tes géniteurs se sont débarrassés du gringalet de la portée pour t’offrir à nous. J’étais là le jour où ils t’ont abandonné. Aucun ne s’est retourné sur toi. Aucun ne t’a même dit adieu. Tu étais sans valeur pour eux et tu n’en as guère plus pour nous.

Les paroles sont assénées avec calme comme s’il s’agissait d’un fait avéré, d’une vérité absolue. L’homme continue de l’observer comme on observe un insecte inconnu. Un insecte que l’on s’apprête à écraser de sa botte.

— S’il vous plaît, ne me faîtes pas de mal…, dit doucement Cormack.

La première gifle le propulse en direction du sol sur lequel il s’écrase avec plusieurs roulé-boulé. Il hurle et, en dépit de la douleur, se relève aussitôt pour s’enfuir mais le géant est déjà sur lui.

Et sa main se lève à nouveau.

— Ayez confiance en vous, seigneur ! Avoir confiance, c’est la clé !

Cormack inspira profondément alors que l’homme à sa gauche réglait l’un des mécanismes de son armure à l’emplacement de l’aisselle.

— Vous êtes un guerrier, continuait Gravis qui ne cessait de faire les cent pas dans la pièce. Votre technique est incroyable !

Le Rolf pinça les lèvres tout en tentant de faire abstraction de son cœur qui battait à la chamade. L’angoisse le tenait depuis la veille en une crise dont il n’avait pu se défaire. Cette dernière l’avait empêché de dormir, de se calmer ou même de respirer librement. En ce moment même dans cette armure, il étouffait. Il se sentait pris au piège et incapable même de bouger.

Même fuir lui semblait impossible.

— Votre technique, c’est la clé ! s’exclama Gravis Petitpieds qui s’était arrêté tout en levant un doigt lumineux à cette révélation.

— Vous devriez pouvoir vous mouvoir à la manière qui vous convient, déclara le forgeron Bantreux qui continuait de vérifier les mécanismes tout en manipulant les articulations de l’armure avec le consentement de son modèle. Vous avez le physique en ce qui concerne le poids. Testez-moi le tout encore une fois.

Cormack exécuta des gestes de flexion basiques tandis que Gravis reprenait ses petits pas. Les articulations de l’armure ne faisaient presque aucun bruit et cela renforçait son impression de vivre un cauchemar éveillé. Son corps lui semblait de plomb et cette armure, trop lourde. Bien qu’il n’en soit rien.

— Je me sens…, commença-t-il.

— Bien ! termina Gravis en se retrouvant à sa hauteur en un instant. Se sentir bien, c’est la …

Il s’interrompit en s’écartant alors que le Rolf vomissait bruyamment. Il vomit encore tandis que le forgeron Bantreux lui tapait inutilement son dos cuirassé.

— Heureusement qu’on a pas encore mis le casque, soupira ce dernier.

Cormack finit par relever un visage neutre. Un visage sur lequel ne transparaissait aucune émotion.

— C’est bien d’avoir fait sortir tout ça ! s’exclama encore une fois Gravis. Vous allez vous sentir plus léger ! Être léger…

— Gravis, s’il te plaît…, dit simplement Cormack sans détourner son regard de la porte d’où la clameur étouffée leur parvenait.

Le petit homme afficha un sourire contrit. Se rapprochant de son ami, il lui posa une main réconfortante sur sa cuisse en armure.

— Je suis désolé, seigneur, s’excusa-t-il. Je suis… un peu nerveux.

Le Rolf riva sur lui un regard toujours aussi neutre mais qui exprimait beaucoup et l’ancien majordome se gratta la tête avec embarras.

— Encore désolé, seigneur.

— Au point où j’en suis…

Un concert de rire leur parvint soudain de l’extérieur et Cormack battit des paupières à la manière de quelqu’un se demandant s’il était bien réveillé.

— J’aimerais pouvoir vous prodiguer les encouragements dont vous avez besoin, déplora l’ancien majordome qui secouait tristement la tête.

Cormack hocha de la sienne une fois. Puis deux. Il se tourna ensuite vers Gravis, ouvrit la bouche dans l’intention de dire quelque chose mais rien n’en sortit. Il la referma donc et saisit le casque que lui tendait le forgeron Bantreux. Une fois ce dernier enfilé, il se sentit plus mal encore. Son angoisse se démultiplia dans cet environnement fermé aux ouvertures étroites donnant sur la taverne des Petitpieds.

Il fit un pas, puis un autre plus rapide avant de se précipiter littéralement vers la sortie. Les effluves de vomi dans son casque étaient insupportables, de même que la pénombre. Il inspira profondément à plusieurs reprises, ce qui lui parut assourdissant, avant d’ouvrir avec circonspection.

Curieusement, les voix se turent alors qu’il prenait le temps de s’habituer à la luminosité qui finit par révéler un public plus important que lors de son précédent combat. Les badauds l’observaient avec intérêt et même une certaine crainte. Ils chuchotaient et oscillaient entre lui et son adversaire.

Planté au milieu de l’estrade, le baron Dagobert arborait la même posture qu’avait eu Cormack lors de son affrontement contre Gaylor. Son armure noire rendait sa silhouette cubique plus impressionnante encore, de même que ses bras monstrueusement longs qui juraient avec ses jambes courtaudes. Une épée à deux mains, fichée à ses pieds et les mains en question jointes sur le pommeau, le colosse dardait sur le Rolf le même regard ténébreux.

— Seigneur Cormack…, chuchota une petite voix derrière lui.

— C’est pas l’moment, s’entendit répliquer le Rolf sans qu’il ne reconnaisse sa propre voix.

— Vous avez oublié votre épée, répéta Gravis avec un agacement palpable.

Le temps parut se figer autour de lui. Il se tourna vers le petit homme à bout de souffle et le soulagea de la lame qui lui parut incroyablement lourde. Cormack la tourna puis la retourna. Sur l’estrade, le baron en armure noire éleva sa propre épée pour la faire tournoyer dans un mouvement d’air à glacer les sangs.

Qu’est-ce que je fais ici ? ne put s’empêcher de penser le Rolf dont les bras et jambes lui semblaient faits de coton.

À ses côtés, l’ancien majordome avait les mains sur ses hanches.

— Je me demande ce que dirait votre amie dont vous refusez de me parler !

— Pardon ?! s’exclama le Rolf en sursautant.

— Je me demande ce que dirait Leati ! lui retourna un Gravis Petitpieds implacable.

Cette remarque lui fit l’effet d’un coup de fouet. Soudain le monde parut briller plus intensément alors que ses sens lui revenaient. L’engourdissement disparut en un clin d’œil et le public lui-même lui parut prendre moins de place.

Ses doigts enserrèrent la poignée de son épée avec fermeté alors qu’il se sentait de nouveau en puissance… et en colère contre lui-même.

— Merci Gravis, dit-il avant de s’avancer d’un pas décidé vers l’homme en armure noire.

Leati ne devra jamais apprendre que j’ai même hésité…

Le silence s’était fait une nouvelle fois parmi les spectateurs et nombreux furent ceux qui retinrent leur souffle alors que les deux combattants se faisaient face. Les secondes s’étirèrent avant que Boursin Crieur ne s’extirpe de la foule à pas trainants. Une nouvelle bouteille de vin dans une main, il leva l’autre pour grommeler :

— Que le combat pour la Bande Centrale commence.

Sur ces quelques mots, il retourna au sein d’un public stupéfait par tant de concession. En effet, le héraut les avait, par le passé, habitués à des discours beaucoup plus en couleur. Cependant, Cormack n’eut guère le temps de s’y attarder alors que le baron Dagobert se fendait dans sa direction à une vitesse stupéfiante. Alerte, le Rolf fit de même, optant également pour une stratégie agressive d’entrée de jeu qui prit son opposant par surprise. Pivotant sur lui-même, le buffle de sel se déporta avant de s’éloigner de quelques mètres grâce à deux pas de côtés. C’était sans compter le Rolf qui, ayant lu les mouvements de son adversaire, le suivit de près pour lui infliger une série d’attaques rapides et puissantes.

L’homme grogna sous la pluie de coups qu’il évita en reculant précipitamment malgré ses jambes courtaudes. Avec un rugissement, il stoppa la combinaison de son opposant d’un large coup latéral qui, tout en étant maladroit, fit reculer Cormack par sa puissance. Cependant, loin de se laisser intimider, le Rolf repartit à la charge. Esquivant un coup d’estoc, il para le retour de lame de Dagobert avant d’imprimer une torsion qui désarma le baron. Cependant, son arme n’était même pas encore tombée au sol que ce dernier se jetait sur Cormack avec la force du bovin auquel il devait son surnom.

Le public les vit tomber avec fracas dans une intensité qui fit sursauter sa majorité. L’armure du buffle de Sel tombait en morceau, laissant dans le sillage de cet affrontement une trainée ébène. Lorsque les deux combattants se séparèrent pour se relever l’un face à l’autre, le baron avait perdu tout la partie inférieure de son armure, de même que le gantelet droit.

Le coup de poing que lui assena Cormack la seconde d’après le déposséda de son casque, libérant ainsi ses yeux noirs et ses longs cheveux luisants de transpiration. Sans considération pour cette dernière perte, Dagobert infligea alors à son adversaire un incroyable coup de tête qui projeta ce dernier au sol sous les exclamations incrédules des spectateurs.

Ce dernier acte fut comme un déclic au mutisme général. Les cris d’encouragement fusèrent aussitôt après et ils étaient autant pour le Rolf rampant au sol tout en secouant la tête que pour le baron Dagobert qui reprenait lui aussi ses esprits. Se faisant, il tentait péniblement de se diriger vers l’arme la plus proche de lui.

Celle de son opposant.

Il est certain que du point de vue des deux adversaires épuisés et plongés dans une semi-conscience brumeuse, la suite des évènements ne fut pas perçue avec la même clarté que celui de leurs spectateurs. En effet, ces derniers virent un Rolf titubant se jeter aux jambes d’un Dagobert s’écroulant sous la charge. Mettant ses dernières forces à contribution, le baron donnait alors un coup de talon sur le crâne cuirassé de Cormack qui, dans un cri roula sur le côté.

Ces mêmes spectateurs purent observer un long moment le buffle de Sel empoigner finalement l’énorme épée avec laquelle il tenta de se remettre péniblement debout. Ses jambes tremblaient alors qu’à mi-chemin, il stagnait visiblement sous l’effort, le laissant ainsi dans une position écartée où, l’épée plantée dans le sol en soutien, il tournait le dos à son adversaire.

Un adversaire qui avait d’ores et déjà prit son élan et armé son pied droit dans un dénouement dont tous se souviendraient comme d’une technique ultime… et peut-être désespérée. 

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire t-sabe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0