— Ezékiel ?! s’exclama une voix grave dans le dos du jeune homme.

D’un pas lourd, une silhouette auréolée de brun s’avançait vers lui. L’odeur de sa transpiration arriva en premier.

— Atzo ?

— Que fais-tu ici ? Je te croyais aveugle.

— Je le suis. Mais les Sharaka ont jugés que je pouvais combattre.

— Ça, c'est l’Ezékiel que je connais, disait-il en lui donnant une tape dans le dos.

Ezékiel ne broncha pas, trop concentré à essayer d’ignorer la puanteur du nouveau venu.

— Tu n’es pas avec Dario ? finit-il par demander, car l’homme ne semblait pas vouloir partir.

— Non, il est mort.

— Je suis désolé.

Il y eut un grand silence, aucun des deux chevaliers ne savaient quoi dire. Le temps d’An Dragal semblait si lointain.

— Nous perdons donc un chevalier du dragon. Combien sont-ils en face ? demanda finalement l’aveugle.

— L’ennemi a deux dragons, un chevalier et un dragonnier, intervint une femme.

Son aura violet foncé rappela tout de suite Kira à la mémoire du garçon. Ces yeux qu’il ne pourrait plus jamais voir lui manquait.

— Ezékiel, c’est ça ? Moi, c'est Morgane. Je suis le troisième chevalier de ce camp.

— Enchanté, Morgane.

§

Les cors sonnaient, les généraux criaient des ordres aux soldats qui couraient déjà dans tous les sens. Ezékiel aurait tout donné pour ne pas avoir éveillé son ouïe. Les chocs métalliques venant des armes et armures lui déchiraient les tympans.

Les combats n’avaient même pas encore commencé.

Pourtant, le jeune homme n’arrivait déjà pas à se concentrer.

"Ezékiel, prenons de la hauteur. Les bruits devraient s’atténuer.” proposa son dragon.

Le chevalier acquiesça, retirant les mains de ses oreilles pour s’accrocher à l’une des épines dorsales rouges du reptile. Sous sa peau, le contact était chaud et apaisant. L’air siffla alors autour d’eux, recouvrant la cacophonie venant du campement Wesi.

Une fois bien haut, l’aveugle, qui avait l’esprit plus clair, demanda :

— Que vois-tu ?

“Les troupes se préparent. Si nous l’emportons aujourd’hui, la frontière sera derrière nous.”

— Est-ce une bonne nouvelle ?

“Tout dépend. Tu es un Wesi, Ezékiel, mais les Sharaka aussi.”

Le jeune homme resta silencieux. Depuis son séjour secret à Liodas, la capitale de Zalia, Ezékiel se rendait compte que cette guerre n’avait de sens que pour les trois tyrans. Les Zaléniens se défendaient car les Wesi attaquaient. Or ces derniers y étaient, pour la plupart, forcés. Du moins c’était le cas des simples soldats, les plus nombreux.

“Peut-être pourrais-tu instiller une envie de rébellion dans nos rangs.”

L’aveugle n’eut pas le temps de lui répondre que, tel un gémissement plaintif, le cor annonçant l’attaque monta jusqu’à eux.

L’assaut était lancé.

Le choc entre les deux armées fut d’une violence extrême. Un coup de tonnerre, un tremblement de terre aux oreilles de l’aveugle. Celui-ci arracha donc deux morceaux de sa cape et les fourra dans ses oreilles.

Le reptile plongea alors en piqué vers la masse grouillante de corps. Ezékiel criait des ordres, ignorant s'ils seraient entendus. Les silhouettes colorées se mélangeaient dans sa tête, créant un monstre à l’aura multiple. La Guerre avec un grand G.

Était-il en train de devenir sage ?

Le chevalier frissonna malgré lui avant d’enfin dégainer son épée. Il repensa une demi-seconde à son entraînement avec Kira puis commença à semer la mort.

§

— Tu as été impressionnant, lança Morgane lorsqu’il atterrit derrière le camp.

Son bandeau comme son visage était clairsemé de sang.

— Merci.

— Je ne pensais pas qu’un aveugle pouvait faire autant de dégât.

— Je vais dans ma tente, si le commandant me cherche, lui dit l’aveugle en la contournant.

§

— Plus les jours passent, plus l’ennemi recule ! disait avec force le commandant du camp.

Une étincelle brillait dans son regard sombre, mais Ezékiel ne pouvait pas la voir. Il n’y avait qu’une silhouette auréolée de jaune. Il l’entendait pourtant gratter sa barbe qu’il portait sûrement longue.

— Les premiers villages Zaléniens ne devraient pas tarder à être évacués, continua-t-il.

“Si cette terre de feu est habitée." pensa l’aveugle.

Il passait le plus clair de son temps seul dans sa tente. Les bruits du camp qui traversaient le tissu étaient toujours un problème. Il s’était évidemment confectionné des bouchons d’oreilles, mais il n’entendait alors plus ce que lui disaient ses troupes et sans yeux, il ne pouvait lire sur les lèvres.

— Mais comment fait Kala pour vivre ainsi ? avait-il demandé à son dragon.

“De l'entraînement, voilà ce qu’il te faut.”

— Je n’ai pas le temps de m'entraîner.

“Bien sûr que si, entre les combats. J’y ai réfléchi tu sais, et je pense que tu devrais essayer “d’endormir” ton ouïe.”

— Plus facile à dire qu’à faire, avait-il marmonné.

— Les dragons en face de nous posent toujours problème, disait le commandant, ramenant Ezékiel à la réalité.

Il les avait réunis les trois chevaliers dans sa tente au lourd tissus. Ici, les bruits étaient bien plus étouffés, un paradis pour le jeune homme.

— Je voudrais que l’un d’entre vous s’en occupe exclusivement.

Il y eut un silence que Atzo rompit rapidement :

— Mais ils sont deux.

— Dont un dragonnier, ajouta Morgane.

— Et ?

— Un seul d’entre nous ne suffira pas, du moins c’est ce qu’ils pensent, finissait par intervenir l’aveugle.

— Tu te crois assez fort pour faire face à deux dragons ? s’étonna Morgane. Ce ne sont pas de simples chevalier ces dragonniers, tu sais.

— Je sais. Et je ne suis pas un simple chevalier non plus. Avais-tu déjà vu quelqu’un combattre en étant aveugle ?

“Au diable la sagesse.” pensa Ezékiel.

— Non. Mais, tout de même… commença-t-elle.

— Je m’occupe de nous débarrasser de ces dragons.