Prologue

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La brise lourde du soir s'infiltre par la fenêtre entrouverte. Dehors, la ville vivait à un rythme toujours plus exaltant. Les innombrables gratte-ciels entassés rendaient le paysage urbain différent de celui connu autrefois. Les néons et autres lumières, allumés de jour comme de nuit, ne permettaient plus de voir la clarté des étoiles dans le ciel nocturne.
Du haut du cinquantième étage, Lai tirait sur les restes de sa cigarette encore fumante. Alors que les volutes de fumée se mêlaient à la pollution ambiante, une porte claqua. En se retournant, elle vit son mari. Il déposa sa veste sur le porte-manteau et ôta ses chaussures noir ciré. Sans attendre, elle éteignit la cigarette avant de la jeter par la fenêtre. Celle-ci dégringola les cinquante étages, descendant par la même occasion les échelles sociales de cette ville. Tout là-haut, elle était parmi l’élite, les plus riches. En arrivant aux alentours du trentième étage, elle entrait dans la classe moyenne. Ni riche, ni pauvre. Et lorsqu’elle atterrit sur le béton sale d’une ruelle sombre, elle était arrivée parmi les “autres”.

Lai apporta une tasse de thé à son mari, installé dans le canapé. Sans un quelconque remerciement, il prit la tasse entre ses doigts et la porta à ses lèvres. Elle fit quelques pas en arrière, puis tourna les talons pour se rendre dans la cuisine.
Des petits pas pressés retentirent sur le bois lisse du parquet. Suki accourra dans le salon pour grimper sur les genoux de son père et le saluer. L’air, encore lourd il y a quelques secondes, s’était adouci comme par magie. Lai, adossée au plan de travail, observait son garçon, un sourire tendre au visage. Toji reposa son fils sur le sol après l’avoir salué et celui-ci reprit sa course pour finir dans les jupes de sa mère. Lai se baissa, glissa un bras sous les fesses de son fils, l’autre contre son dos, puis le souleva pour l’étreindre avec douceur.

Soudain, le son de la télévision attira l’attention de la jeune mère. Un flash information spéciale venait d'interrompre le programme que son mari regardait. Le journaliste annonça que leur chef suprême venait de prendre la parole. L’image se brouilla un instant dans un grésillement puis elle put voir le dirigeant de leur pays. Celui-ci se tenait devant un promontoire, face à une assemblée de journalistes, micro tendu.
Il observa la foule, le visage serein et d’une voix calme, il commença :

“ Mes chers camarades, il y a de ça cinq ans, notre beau pays gagnait la guerre. Cette victoire, bien que totale, a coûté bien plus cher que nous ne l’avions imaginé, pas seulement sur le plan financier, mais en termes de coût social et d’infrastructures. Depuis lors, nous nous sommes battus pour reconstruire ce qui a été détruit ; pour repeupler les villes et les campagnes. Cependant, quelque chose de plus grave nous frappe aujourd'hui. Un mal plus grand et néfaste nous menace. Notre pays, dans toute sa grandeur et sa puissance, a besoin de vous, de nous, pour se relever et retrouver son éclat d’antan. Après la guerre, les joies des retrouvailles ont contribué à l’essor des naissances, c’était ce dont nous avions besoin pour remettre le pays à flot. Cependant, notre engouement démesuré nous pousse, aujourd'hui, à reconsidérer l'avenir. Alors, afin d’amorcer ensemble un renouveau, je propose, en mon âme et conscience, cette nouvelle politique. Comprenez bien, mes chers camarades, que je ne fais pas cela sans peine.” Il prit une pause dans son monologue, observant la foule pendu à ses lèvres. Puis reprit d'un ton plus dramatique et solennel. “Nous devons surveiller les naissances. Dès à présent, les femmes mariées ou non, n’auront le droit d’avoir qu’un unique enfant, mort ou vivant, et ce jusqu'à ce que le pays se relève. Nous comptons sur l’effort commun, le plus assidu possible, afin de sauver notre patrie. Nous espérons ne pas en arriver là, mais des sanctions seront appliquées pour tous ceux qui tentent de déroger à cette règle. Comprenez que c’est à contre cœur que je nous l’impose à tous.” Il marqua une seconde pause, suivi d’une inspiration lourde et pleine de sens. “Je suis dans la même peine, ma femme est également enceinte de notre deuxième enfant, et comme vous, nous devons nous rendre dans un centre hospitalier pour éliminer cette menace. Je vous comprends, chers compagnons, je vous comprends et je vous soutiens. Notre ennemi commun, celui qui ronge notre patrie et la conduit à sa perte, c’est notre nombre bien trop grand. Pour la gloire de Salerno toute puissante ! ” Conclut-il sous le déferlement de réaction des journalistes.

Ils hélèrent le nom de leur gouverneur pour espérer avoir quelques mots supplémentaires, mais celui-ci disparut derrière une rangée d’hommes de garde. L’image se brouilla de nouveau avant de revenir sur l’émission principale. Dans l’appartement du cinquantième étage, un silence aussi lourd que du plomb était tombé. Toji tourna la tête vers sa femme, elle avait reposé son fils et avait posé une main sur son ventre rond.
Soudainement, son monde s’écroula sous ses pieds. Elle avait rêvé ce deuxième enfant, elle l’avait attendu et promis à son premier, et voilà que tout volait en éclat.

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