Chapitre 13 : Les orphelins.

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Lorsque le moment vint de choisir une maison pour Alicia et Louis, ils établirent certains critères. À l'époque, ils voulaient que leur fille grandisse dans une ambiance chaleureuse et qu'elle ait accès à l'air libre, jugeant la ville trop étouffante. Cette décision jouait aussi en faveur de son père. À cause de sa maladie, ils privilégiaient les endroits calmes et reposants. C'est la présence d'une école primaire à seulement trois minutes à pied qui les avaient décidés.

À sept ans seulement, Kimi prenait le chemin de l'école toute seule. Du moins, c'est ce qu'elle pensait. De la maison, ses parents gardaient un œil sur elle. Ce petit jeu donnait la sensation à Kimi d'être une grande fille et la même chose valait pour le retour. Avec le recul, elle s'en était rendue compte, mais aussi de la drôle d'ambiance qui régnait chez eux.


Lors d'une après-midi pluviale, pataugeant dans ses bottines jaunes, elle rentrait toute guillerette, mais son père ne l'attendait pas au pas de la porte comme à son habitude. Elle appuya sur la sonnette de son petit doigt froid et le vit dégager le rideau avant de lui ouvrir. En y repensant, il avait un drôle de sourire.

Elle se souvenait qu’il y avait des cookies préparés par sa mère trônaient sur la table de la petite cuisine. Encore toute mouillée par la pluie, elle se jeta dessus. "Où est maman ?", demanda-t-elle. La réponse fut qu’elle rentrerait plus tard et il commença à préparer le repas.

"Qu'est-ce qu'on mange ?".


Tchac tchac tchac.

Louis coupait du persil avec une hachette. Le tintement d'un couteau résonna ensuite et il l'enfonça de suite dans le steak, la planchette se teintant de rouge.


"Papa ?"


Quelle voix agaçante. La petite Kimi déglutit en le voyant se retourner d'un air sévère. Parfois, il s'énervait vraiment fort. Elle n'osa pas reposer sa question et descendit de son tabouret pour rejoindre le salon. Son père l'attrapa par le poignet.

L'étreinte à son bras lui faisait mal. Par réflexe, elle essaya de se dégager. Louis la lâcha à ce moment-là et regarda le couteau en main d'une paire d'yeux exorbités. Aujourd'hui encore, Kimi se rappelait parfaitement de son expression. Petite, elle tenta de filer dans le salon et poussa la porte à battant pour y fuir. Un coup de pied vint écraser son dos et la plaqua au sol. Elle n'arriva pas à tousser, étouffant. Elle put seulement agripper la moquette du salon entre ses doigts et à peine relever son visage… Assez pour découvrir le corps de sa mère allongée part terre. Elle lui découvrit une expression figée, des yeux grands ouverts, presque transparent. Ses cheveux blonds se répandaient au sol, rougis par le sang séché qui avait dégouliné de son cou.


"Maman…"


***

Des larmes roulaient sur les joues de Kimi et de même sur celles de ses copines qui l'écoutaient attentivement. Elles n'arrivaient plus à les arrêter, usant de sa manche pour frotter ses yeux rouges. Elle hoquetait et les sanglots restaient coincés dans sa gorge. Aucun son ne sortait. Laure déposa gentiment une main dans son dos. Elle avait honte de pleurer. Depuis combien de temps les larmes n'étaient plus sorties ? Dans un silence, les filles se firent un câlin groupé. Elles en avaient toutes besoin.

Reniflant et tentant de récupérer sa respiration, Kimi voulait continuer :


  • Après… je… ne me rappelle pas vraiment de ce qu'il s'est passé.

C'était un peu faux, mais le souvenir était trop douloureux. La détresse et la rage avait pris le dessus, lui donnant assez de force pour ramper auprès de sa mère. Elle ne voyait plus que du rouge dans sa tête, le sang sur ses mains et se rappelaient de ses hurlements qui brûlait sa gorge.


  • Et il m'a… s'arrêta-t-elle en passant une main sur son ventre. Bizarrement, je ne m'en souviens presque plus. Pourtant c'est une grosse cicatrice.

Pour le coup, ça c’était vrai. Elle se rappelait de la peur qui avait précédé le mouvement et le froid qui le suivit. Des lumières rouges et bleu, des sirènes, mais surtout de grand fracas. Après tant d’années, elle n’était toujours pas arrivée à remettre ces derniers événements dans l’ordre.

Au réveil, la première chose qu’elle vit fut le plafond blanc de l’hôpital et la première personne dont elle se rappelait s’avérait être Dossan. Elle se souvenait qu’il avait fait demi-tour en la voyant sortir en trombe du bâtiment, sa blessure  nouveau ouverte, et qu’il s’était jeté corps et âme sur elle pour l’empêcher de se faire faucher par une voiture. Dès cet instant, elle sut qu'il serait son pilier.


  • La suite vous la connaissez. Dossan m’a adopté, j’ai été au Lycée Gordon où j’ai rencontré Mike et Ulys, le restant de mes amis et Leroy aussi...
  • Quel homme admirable ! s’exclama Laure en battant des cils pour chasser les larmes.
  • Il m’a fait très bonne impression durant les fêtes, acquiesça Nice dont le nez était tout rouge.
  • C’est vrai… Je suis fière de l’avoir… Sans lui, je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui, car sans ma mère…

Faye laissa échapper un grand hoquet et plaqua sa main contre sa bouche. Elle tourna son visage pour se cacher des filles. Nice l’attrapa tout de suite dans ses filets et la regarda avec des yeux brillants.


  • Pardon… je… je suis désolée…
  • Pourquoi est-ce que tu es désolée ? demanda tristement Kimi.
  • C’est de toi dont on parle… de ton passé, mais je… je ne peux pas m’empêcher de penser à ma mère.

Elle éclata en sanglots et Nice resserra son étreinte. Kimi eut la sensation qu’on lui enfonçait un couteau dans le cœur et non pas dans le ventre cette fois. Elle la comprenait un peu, même si la situation était différente. La mère de Faye était condamnée, le temps courait.


  • Faye, hum… Je sais que tu crois que tu n’as pas le droit de te plaindre face à ce que j’ai vécu, mais c’est ta mère, dit-elle d’un ton presque suppliant.

Les lèvres de la grande rousse tremblèrent davantage et montra des yeux de cocker.


  • Si je parle de la mort de ma mère… Je suis désolée de le dire de cette manière, mais c’est normal que tu penses à la tienne. Je ne t’en veux pas, d'accord ?
  • Boui. fit-elle en réprimant un énième sanglot.
  • Est-ce que tu veux en parler ? demanda Laure en venant à son chevet pour caresser sa chevelure.
  • Elle…Ma mère… Ma maman…

Les filles la serrèrent encore plus.


  • Elle va mourir.

Les mots sortirent dans un souffle désespéré.


  • Et je ne lui parle pas… On ne se dit rien. Je n’ose pas la voir et elle me tient à l’écart… Il faut qu’on discute, mais… c’est trop dur.

Les larmes revinrent au coin des yeux de Kimi. Elle frotta violemment la goutte qui menaçait de descendre sur sa joue. D’un air très sérieux, elle kidnappa les grands yeux verts de son amie.


  • Prends-le temps d’aller la voir et parle-lui. Je ne peux pas imaginer, mais… C’est important. C’est tellement plus important que la peur. Ce sera dur, mais tu dois me promettre de discuter avec elle.
  • Elle à raison, Faye, l’aida Nice. Autrement ce sera encore plus difficile après et nous serrons là pour toi, fit-elle en lui attrapant le visage. N'est-ce pas ?
  • Bien sûr que nous serrons présente ! lança Laure dont l’arrête du nez se plissait doucement.
  • Ou… Oui, je le ferais ! s’exclama-t-elle en serrant les poings.
  • Promis ? lui demanda Kimi en lui tendant son petit doigt. C’est comme ça qu’on lie les promesses chez moi, expliqua-t-elle en voyant ses yeux ronds.
  • Faisons-le ensemble alors, dit Nice en attrapant son doigt du sien.

En silence, Laure se joint au rituel. Très émue, Faye fit de même et craqua une nouvelle fois, se laissant aller dans des pleurs à moitié soulagés.


***

Depuis son adoption à l’âge de ses sept ans, Dossan avait bien évidemment eut le temps de connaître sa fille par cœur. Ainsi quand il rentra à la maison avec Kimi le vendredi soir, il comprit tout de suite que quelque chose la chiffonnait. De la même manière, il savait qu'il devait lui laisser le temps de réfléchir. Elle ne s’ouvrait jamais tout de suite à lui, pesant d'abord les pour et les contres.

Kimi était très réfléchie et gardait le silence quand elle pouvait régler le problème d’elle-même, au grand désarroi de Dossan. Avec le temps il apprit à ne pas être trop intrusif malgré son envie de tout savoir de sa fille.

Ainsi le samadi soir, quand il la vit descendre les escaliers pour rejoindre le salon d’un air embêté, il fut tout de même un peu content. Elle allait se confier. Normalement ils devaient participer à leur tradition du samedi soir et regarder un film. Sans Leroy, car ce dernier passait énormément de chez ses amis. Même si cela attristait Dossan, il respectait son intimité.

Lorsque Kimi s’installa d’un air mal à l’aise dans le fauteuil et qu’elle s’enroula dans un plaid alors qu’il ne faisait pas froid, il lui proposa sa boisson préférée :


  • Je te fais un chocolat chaud ?
  • J’veux bien, répondit-elle vaguement.
  • Chantilly ? demanda-t-il avec un sourire en coin.

Il considéra sa moue d'enfant comme un oui. Les deux tasses en mains, il lui donna la sienne et s’installa de la même manière. Avant d’ouvrir les hostilités, il rajouta des copeaux de chocolat sur sa chantilly et lui en proposa. Maintenant en conditions, Kimi avait compris où il voulait en venir. Ils prirent une gorgée d’un même geste et se regardèrent dans le blanc des yeux. Quand elle les baissa, il ne put réprimer un rire et manqua de s’étrangler. Kimi fronça les sourcils par pur principe. Elle se serait bien aller aussi, mais elle voulait garder son sérieux.


  • Alors dis-moi, tu as fait une bêtise ? la taquina-t-il.
  • Mais nan ! Pourquoi tu penses ça tout de suite ?! s’énerva-t-elle.
  • Ahahah, mais parce que tu as l’air si stressée !
  • Et toi tu rigoles ? Cest bon laisse tomber !
  • Oh Kimi excuse-moi, se reprit-il immédiatement, passant une main dans sa chevelure corbeau. Tu sais que ce n’est pas méchant. Allez, dis-moi tout ? insista-t-il en lui lança un sourire très doux.
  • Pffff.

Il leva les yeux au ciel et soupira en se réinstallant dans le canapé. Kimi fit de même et craqua :


  • En fait... ont a fait une soirée pyjama avec les filles et ont a discutés avec Faye de sa maman…
  • Je l’ai appris, dit-il d’une mine effarée.
  • C’était un peu difficile pour elle…
  • Je ne peux qu’imaginer.

Dossan ne parlait jamais de ses parents, mais Kimi avait compris qu’il s’agissait d’un sujet sensible. Son air profondément blessé la confortait dans ses pensées. Elle ne demanderait pas d'explications aujourd’hui.


  • Et à cette soirée, j’ai aussi raconté… comment ça s’était passé quand… Maman est décédée et…
  • Je vois, coupa-t-il court voyant qu’elle avait difficile à parler.
  • Je me suis rendue compte que… maintenant, j’avais peut-être envie d’en savoir plus sur elle.

Avec hésitation, elle releva ses pupilles tremblantes dans les siennes. Dossan y vit de la détermination. Finalement, elle souhaitait en apprendre plus. Kimi avait très peu de souvenirs de sa mère. Pendant longtemps, elle s’était contentée de quelques photos et du bracelet qu’elle lui avait laissé, par peur. À nouveau, il soupira et lui sourit. Elle fut surprise en le voyant se lever pour venir s’installer à côté d’elle. Il la recouvra à moitié de son propre plaid et l’entoura d’un bras.

  • Tu veux que je te parle d’Alicia ? Il y a tellement à dire, plaisanta-t-il. Ta mère était une tornade, dit-il en plantant ses yeux dans les siens. Drôle, téméraire et... oui, un vrai volcan. Du moins quand je l’ai connu au début. À saint-Clair, je veux dire, car aprés elle s'est adoucie.

Il fut ému de voir des étoiles dans ses yeux, totalement captivée. Il donnerait tout et n’importe quoi pour la voir tous les jours aussi pétillante.


  • Tu ne dis rien ? rit-il.
  • Je… t’écoutes…
  • Ahahah, je comprends. Que dire ? Elle a été ma première amie. C’est la première personne que j’ai rencontré et nous sommes devenus très proches. Avec ton père, ils sont devenus des amis fiables… s’arrêta-t-il en sentant sa main serrer son pull.

Si elle était prête à en apprendre plus sur Alicia, ce n’était sûrement pas le cas pour Louis.


  • Mais ta mère… Elle me faisait tellement rire. En fait, elle a su m’apporter la joie quand il le fallait. On a su se faire une petite bandes de potes ensemble. Quelle folle ! Vraiment folle, pouffa-t-il en caressant sa chevelure blonde. Tu sais… elle aussi avait perdu sa mère…
  • Oui, je sais, baissa-t-elle les yeux.
  • Elle est restée forte comme toi. Je crois que c’est aussi pour ça qu’elle ne se laissait jamais marcher sur les pieds, qu’elle était un peu… comme un taureau ahahah.
  • Mais qu’est-ce qu’elle faisait pour que tu dises ça ? lui demanda-t-elle, curieuse à en mourir.
  • Oh tu sais, elle a failli se faire renvoyer plusieurs fois !
  • C’est vrai ?! lui demanda-t-elle bouche bée. Non, j’y crois pas. À cause de quoi ?
  • Hum, elle s’est battu plusieurs fois avec d’autres filles… Souvent parce que c’étaient des garces qui embêtaient les autres. Ça ne te rappelle pas quelqu’un ?
  • Pff, arrête, sourit-elle.
  • Mais ce qui lui aura vraiment presque valu le renvoi c’est quand…

Dossan s’arrêta quelques secondes, plongé dans ses souvenirs.


  • Quand elle s’est battue avec Blear Makes…
  • Arrête ?! s’exclama-t-elle en se relevant, impressionnée.
  • Et si. Elles étaient dans la même classe en troisième année et ne s’entendaient pas vraiment… En fait, parfois Alicia pouvait être injuste. Elle avait sa vision des choses et quand quelqu’un s’y confrontait… Ah la la, soupira-t-il. Ça a pété, mais finalement elle a pu rester, de justesse. Blear Makes à fait ce qu'il fallait.
  • Oh… Alors c’est une gentille femme…

Son cœur se serra légèrement. Il ferma les yeux un temps, se régalant de l'image nette qu'il avait de la jeune Blear.


  • Ça veut dire que maman… a été méchante ? demanda-t-elle d’un air tristounet.
  • Elles avaient leur différend, mais ne t’inquiète pas.
  • Et dire que j’ai giflé son fils moi. Il ne s’en ait jamais remis, dit-elle en ayant du mal de ne pas rire.
  • Ne sois pas fière !
  • … Tu sais que c’est parce qu’il voulait m’embrasser ?
  • D’accord. Tu as très bien fait. fit-il en lui collant un baiser sur le crâne.

Ils explosèrent de rire.

La soirée s’annonçait pleine de bonnes révélations, Dossan prenant plaisir à voir sa fille rêver des histoires qu’il lui racontait et il pensait aussi secrètement au fait que le fils de Blear avait voulu l'embrasser. La conversation s'éternisa jusqu'à ce qu'ils décident de dormir dans le canapé. Kimi somnola quand Leroy rentra très tard. Il fut surpris de les voir tous les deux là et vint se blottir contre Kimi quand elle l’appela. Elle le serra fort. Lui non plus n’avait pas de mère après tout. Aucune personne dans ce salon n’avait une maman à chérir.

À bien y réfléchir, Sky non plus n’avait pas de bons contacts avec la sienne. Et dire qu’à une époque elles s’étaient battues. L’envie de l’embêté lui démangeait plus que d’habitude. D’une certaine manière, elle se sentait un peu plus liée à lui. Encore plus que lorsqu'il avait touché sa cicatrice. Il avait été extrêmement respectueux et l'avait même encouragé. Pourtant, elle s’apprêtait à le trahir en participant aux auditions de son frère.

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