Lorsque Nora n’avait que 7 ans, elle rencontra Sammy, son nouveau voisin du même âge.

Les parents de Sammy venaient d’emménager à Argelès-sur-Mer, quittant ainsi la vie parisienne pour se ressourcer au doux soleil du sud.

Nora quant à elle, a toujours vécu à Argelès, grandissant avec la chaleur du sable fin, construisant des châteaux de sable et respirant l’air iodé qui l’entourait.

Elle et Sammy ont vite échangé leurs pelles et leurs seaux, se lançant souvent au défi du plus grand château, du plus beau, ou tout simplement de celui que la mer n’emportera jamais.

Les deux bambins grandirent ensemble, partageant les parties de foot, les repas de peluches et les coloriages, mais aussi les devoirs, les parties de cache-cache et les bêtises.

À l’adolescence, cet échange des passions de l’un et de l’autre continua d’exister dans les cours de guitare de Sammy, les chorégraphies de Nora et surtout la musique.

Pour ce qui est des bêtises, elles ont évolué au fur et à mesure, au rythme de leur inventivité.

Nos deux amis sont aujourd’hui à l’âge des premiers chagrins d’amour, à l’âge de la découverte, un âge où l’amitié est sans doute la relation la plus importante.

Sammy rentre du lycée ce vendredi soir, les yeux dans les étoiles et l’âme rêveuse. À son cours de guitare, la jolie Amy lui a fait un compliment sur son solo.

Le jeune homme s’allonge sur la paillasse, dans la cabane construite entre son jardin et celui de Nora, lorsqu’ils avaient 9 ans.

– Hey Sam c’est quoi ce regard ? demande Nora moqueuse en le rejoignant.

– Hein ?

– Okay Sammy, raconte-moi tout.

Elle s’installe en tailleur à ses côtés.

– Non ça va, je suis juste...

– Ailleurs ?

– Ouais, excuse-moi, sourit-il.

– Aller dis-moi, elle s’appelle comment ?

– Tu m’étonneras toujours Nora, rit-il.

– Comment ça ?

– Tu lis en moi comme dans un livre. Elle s’appelle Amy, elle est à mon cours de guitare.

Un sourire béat se dessine sur son visage et Nora s’allonge à ses côtés. Au fil des années, ce que Nora savait par-dessus tout sur Sammy c’est qu’il était très fleur bleue. Ce n’était pas son premier coup de cœur ni son premier chagrin mais Nora était toujours présente pour réconforter son ami d’enfance.

De son côté, l’amour était plus quelque chose qui engendrait de la souffrance et de la peine qu’un doux sentiment réconfortant. Elle préférait de loin l’amitié qui la liait à Sammy à une banale histoire de papillons dans le ventre.

À plusieurs reprises pourtant, au cours de leurs dix années d’amitié, ils se sont demandé si les sentiments qui les unissaient n’étaient pas plus intenses. Cependant cette pensée commune ils ne l’ont jamais partagée.

Sammy avait beau avoir le cœur qui battait toujours plus fort quand il voyait Nora danser, il savait que la perdre serait la rupture la plus douloureuse de sa vie. C’était sa meilleure amie, sa sœur, sa confidente et cette relation était nécessaire à son équilibre.

Nora, elle, vibrait au plus profond de son âme lorsqu’elle dansait sur les mélodies de Sammy. Il était pour elle la relation la plus paisible qui puisse exister, une forme de stabilité.

Allongés là tous les deux, ils se racontent leur journée par ce début de soirée de juillet. Sammy lui parle d’Amy, de ses cheveux bruns bouclés et de son sourire attendrissant.

– Elle te plaît vraiment beaucoup.

– Elle a beaucoup de charme, c’est vrai, dit-il rêveur.

– Tu lui as parlé ?

– Pour tout t’avouer, j’ai simplement souri bêtement avant de la remercier pour son compliment.

– Ha, ha, rit-elle.

– Ouais ça va, je sais, s’esclaffe-t-il à son tour.

Nora reste silencieuse, les yeux dans les étoiles.

– Nora ?

– Oui.

– T’as déjà été amoureuse ?

– C’est quoi cette question niaise ? pouffe-t-elle.

– Tu ne me parles jamais de garçon. Dans ton lycée il y en a bien un qui te plaît ?

– Ça ne m’intéresse pas, tu le sais. Pour moi il n’y a que la danse et les études.

– Et ton binôme de danse ?

– Oh mon dieu ! Sammy t’as perdu la tête ? glousse-t-elle.

Sammy savait très bien qu’elle n’était pas consciente qu’un jour son cœur s’ouvrirait. Si lui était très fleur bleue, Nora était tout l’inverse. L’amour était pour elle une distraction, une faiblesse prête à tout pour l’éloigner de son but ultime : la danse.

C’était pourtant une si belle jeune femme avec ses yeux émeraude, ses longs cheveux lisses et auburn aux reflets cuivrés, ses lèvres fines et son petit bout de nez.

En la regardant, Sammy se rend compte à quel point son amie a grandi, changée, depuis ses dix dernières années.

Tandis qu’elle est allongée à ses côtés, les yeux clos, il se surprit à détailler son corps à la fois mince et sculpté par la danse.

Quand elle dansait, elle lui paraissait aussi légère et douce qu’une plume. Nora était magnifique aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, mais elle était son amie.

Voyant l’heure défiler les deux acolytes décident de rentrer chez eux pour le dîner et retrouver leur chambre respective.

Ce soir-là, le sommeil de Sammy est perturbé, embrumé des images d’Amy jouant de la guitare face à lui et de Nora allongée à ses côtés.

Le samedi est une journée bien remplie pour Nora. Elle se lève, enfile ses collants de danse et son justaucorps puis descend prendre son petit-déjeuner avant de partir au studio.

Arrivée dans la salle elle s’échauffe en attendant Léo, son binôme, avec qui elle répète pour participer ensemble au concours de danse d’Argelès.

– Salut Nora ! T’es prête ?

– Salut Léo. Oui ça y est, on peut commencer.

Elle rassemble ses longs cheveux en un chignon et la répétition commence.

Quand elle danse, elle oublie tout. Son corps évacue toutes ses émotions, il exprime tout ce qu’elle cache au fond d’elle. Sur les notes de piano d’Avant toi de Vitaa et Slimane, Léo et Nora entament un ballet émouvant.

Leurs corps se synchronisent dans une chorégraphie mélangeant le classique et la danse moderne. Un pas de deux vibrant d’émotions, leurs mouvements doux et fluides mettent en valeur cette chanson mélancolique. Une ode à l’amour mise en images par cette danse à deux, empreinte de sentiments intenses.

Nora peut dire ce qu’elle veut à Sammy, lorsqu’elle danse avec Léo, son cœur bat plus fort, ses mouvements sont sûrs et son aura dégage quelque chose de puissant.

Après trois heures intenses d’entraînement, la folle journée de Nora continue.

Elle retrouve Lily sa meilleure amie depuis 3 ans maintenant. Les deux jeunes femmes ont pour rituel une fois par mois de se rejoindre à la plage pour flâner, parfois réviser, faire des photos ou lézarder quand il fait beau.

En fin de journée, elle retrouve Sammy dans leur cabane, comme tous les soirs. Il l’attend, assis sur la paillasse, avec sa guitare entre les bras. Les notes mélodieuses résonnent dans les oreilles de Nora, avant même qu’elle n’arrive dans le jardin. Elle prend place face à lui et l’écoute avec attention, l’observe attentivement.

Lorsqu’il joue de la guitare Sammy est comme envoûté, comme-ci la musique prenait possession de lui. Sur les accords de la douce musique de Raphaël, Nora détaille son ami, son « surfeur musicien » comme elle aime l’appeler parfois.

Sammy est blond comme les blés, les cheveux souvent en bataille et avec ses yeux verts de mer et ses lèvres fines, il n’est pas étonnant qu’il fasse chavirer les cœurs.

Nora se laisse emporter par la musique, contemplant le bonheur que dégage son camarade, se surprenant à le trouver très charmant et bien dessiné dans ce tee-shirt près du corps.

Lui aussi a grandi depuis l’époque des châteaux de sable.

À l’âge où le cœur perd la raison, un seul sentiment ne les a pourtant jamais envahis jusqu’à présent : la jalousie.

Cependant, une semaine plus tard, lors de la répétition générale de danse de Nora et Léo, sagement assis à admirer sa meilleure amie, Sammy sentit un pincement dans son cœur à la vue de l’alchimie qui liait les deux danseurs. Cette sensation, qui lui était inconnue, était douloureuse et piquante, comme une aiguille en plein cœur.

– Alors c’était comment ?

Nora s’approche de Sammy, encore essoufflée par sa prestation, en s’épongeant le visage avec la serviette posée sur ses épaules.

– C’était magnifique, bredouille-t-il.

– Ça va Sammy ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ? s’inquiète-t-elle.

– Rien, c’était vraiment beau, assure-t-il d’un sourire.

– Nora ! On recommence ! cri Léo au loin.

– J’y vais mon Sammy, on se prend un moment ce soir dans la cabane ?

– Avec plaisir !

Il lui fait une légère accolade avant qu’elle ne reparte fouler les planches de ses pointes délicates. Sammy rentre chez lui, se vider la tête et le cœur sur les cordes de sa guitare.

Reprenant les notes de Raphaël pour libérer sa mélancolie, en passant par la poigne des chansons d’Artics Monkeys, il finit sa session de thérapie musicale en chantant la douce violence que dégage Loïc Nottet.

C’est à cet instant que Nora passe la porte de sa chambre sur ses pointes, mêlant sa voix à celle de son ami et lui offrant un spectacle époustouflant sur le rythme des accords de guitare.

Sammy se concentre sur ses cordes, tout en regardant la beauté des arabesques de Nora, de ses fouettés qui donnent le tournis et écoute le mélange de leur voix jusqu’à la note finale.

– Ça faisait longtemps, dit-il.

– C’est vrai, ça faisait un moment qu’on n’avait pas fait de duo, rit-elle.

– Tu as beaucoup progressé mon petit rat.

– Tu trouves ? C’est très intense en ce moment et ça me fait plaisir de savoir que ça paye.

– Oui et on voit qu’il y a une connexion entre Léo et toi.

– Oh n’importe quoi, rougit-elle.

– Aller avoue, il y a un truc ?

– Sammy, je ne suis pas fleur bleue moi. Je ne sais pas faire ces choses-là, esquive-t-elle.

– Donc il te plaît ?

– Peut-être... À vrai dire, je n’en sais rien Sammy. Comment t’as su qu’Amy te plaisait ?

– Je ne sais pas trop. Je rougissais quand je parlais d’elle déjà. Un peu comme toi là, se moque-t-il.

– Hey ! Dis donc Sam la guitare ! Tu oses te moquer de moi ? défit-elle.

– Pas du tout ! s’esclaffe-t-il.

– Oh tu vas me le payer !

Elle retire ses pointes, attrape un oreiller et le jette sur Sammy qui riposte tout en prenant la fuite. Et voilà nos deux ados retombés en enfance, se courant après, des oreillers à la main et des fous rires à la place des mots.

Après avoir traversé toute la maison de Sammy au moins trois fois et avoir balancé tous les coussins sur leur passage, ils finissent à bout de souffle, allongés dans l’herbe.

– Ça fait du bien de souffler, confie Nora.

– C’est vrai.

Sammy regarde son amie avec douceur et elle tourne la tête vers lui au même moment.

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Oh euh rien, se ressaisit-il.

– Sammy t’es sûr que ça va ?

– Ouais... ouais ça va super.

Nora roule sur le côté et se redresse sur ses coudes, plongeant son regard dans les yeux de son acolyte.

– Sam, Sam, Sam... Aller crache le morceau ! rit-elle.

Il l’observe alors en détail, ses cheveux en bataille s’échappant de son chignon, son débardeur de sport couvert d’herbe et ses yeux d’investigatrice verdoyants qui tentent de le faire avouer.

Nora avait beau être une danseuse, féminine, sensuelle, douce et voluptueuse, en compagnie de Sammy elle était tout à fait du genre à grimper aux arbres et se rouler dans la boue.

Par beaucoup de facettes de sa personnalité, elle était très proche du garçon manqué. Cette pensée fait sourire le jeune homme et ajoute un peu confusion dans son cœur bouleversé.

Nora le regarde dubitative, se demandant pourquoi il sourit niaisement en la fixant.

Soudain, le temps parut comme suspendu, elle regarde au plus profond des prunelles de son ami, qui lui sourit toujours et son cœur s’emballe. Ses yeux s’arrondissent, exprimant à la fois la peur et la surprise de ce qu’elle croit deviner.

Sammy comprend rapidement les pensées qui traversent l’esprit de son amie.

– Nora attend je...

– Je dois y aller !

Elle se lève en trombe et rentre chez elle, laissant Sam seul, allongé dans l’herbe le cœur lourd.

Une fois chez elle Nora retire ses vêtements souillés et se hâte sous la douche, comme pour effacer les sentiments qui se bousculent dans son cœur.

Pourquoi il battait comme ça d’ailleurs ? Pourquoi face à Sammy ? Non ce n’est pas possible pour elle. Sammy est son meilleur ami, son confident, son frère de cœur.

Et lui ? Qu’est-ce qu’il ressent réellement ?

Tant de questions dans la tête de Nora, des questions qui n’auront de réponses qu’en parlant avec l’intéressé. Mais pour le moment, elle a besoin de faire le tri, de faire le vide.

Du côté de notre guitariste, c’est la peine qui envahit ses entrailles. Allongé dans son lit, il pense à celle qui partage son quotidien depuis dix ans, celle avec qui il a tout fait. Des bêtises d’enfants aux sorties en douce, celle qui le comprend si bien... peut-être un peu trop.

A-t-elle vraiment compris ce qu’il se passait ? Lui-même n’en est pas vraiment certain. Ils doivent en discuter, pour effacer ce malaise.

Le lendemain matin, encore un peu déboussolé par les événements de la veille, Sammy se rend à son cours de guitare.

La douce Amy discute avec lui, lui demandant conseil pour s’améliorer, évoquant ses groupes de musique préférés. Sammy se sent bien en sa présence, son cœur s’emballe, le rouge lui monte aux joues.

Les deux jeunes échangent au sujet de leurs différentes techniques, Sammy lui montre deux ou trois astuces pour améliorer son jeu.

Ils finissent par discuter de tout autre chose, et rient ensemble de bon cœur lorsque Sammy aperçoit Nora partir en courant.

– Je suis désolé Amy, je dois te laisser. J’ai... un imprévu.

– Pas de soucis Sammy.

Il lui remet rapidement son numéro de téléphone, rassemble ses affaires et décide de prendre la suite de son amie. Tout au long du trajet, des questions l’assaillent : pourquoi Nora était-elle venue ? Et surtout pourquoi était-elle partie en courant ?

Enfin arrivé chez lui, il se rend dans leur cabane et trouve son amie allongée sur la paillasse, dos à lui.

– Nora, tout va bien ?

– Je ne sais pas trop Sam...

Il s’assoit à ses côtés et pose une main sur son épaule.

– Qu’est-ce qu’il nous arrive Sam ? s’étrangle-t-elle.

– Comment ça ?

– Arrête. Hier, c’était trop bizarre...

– Tu n’y as jamais pensé toi ?

Elle se retourne et s’assoit à son tour, les yeux fixés sur le sol de leur refuge d’enfant.

– Peut-être. Mais je crois que j’ai jamais vraiment voulu me l’avouer. Et toi ?

– De nombreuses fois.

Nora regarde alors son ami, ahurie.

– Sammy !

– Nora... t’es ma meilleure amie ! On a grandi ensemble, on a fait toutes les conneries possibles ensemble, tu me connais par cœur !

– Mon p’tit cœur d’artichaut ! dit-elle en lui pinçant la joue.

– Arrête, rit-il.

– Et donc... ? On fait quoi ? On est quoi ?

– Nora, je crois que tu es simplement... en train d’ouvrir ton cœur. Je crois que tu as des sentiments pour Léo et que ça te fait peur, alors qu’avec moi c’est plus facile. Tu te protèges encore, comme tu l’as toujours fait. Et me voir avec Amy ça t’a agacé ?

– Un peu... boude-t-elle.

– Nora, c’est pas parce que je sors avec une fille que je vais te lâcher ! Je serais toujours là.

– Mais et toi alors ? C’était quoi ces yeux de merlan frit hier ?

– Moi... Moi, j’ai été jaloux de voir que pour la première fois depuis qu’on se connaît, je ne serais pas le seul garçon dans ton cœur...

– Sam... T’es trop mignon toi ! rit-elle. Toi et moi, on est inséparable. Comme frère et sœur, comme des siamois... Et ce ne sont pas nos histoires d’amour qui vont changer ça.

– Je sais, je l’ai compris tout à l’heure quand j’étais avec Amy. J’ai compris la différence entre mes sentiments pour toi et ce que je ressens pour elle.

Après un long silence et un regard complice empreint de sourire, nos deux amis se prennent dans les bras. À l’âge où le cœur perd la raison, l’amitié reste toujours la force la plus stable.

– Alors tout va bien entre nous ? demande-t-elle.

– Oui ma danseuse, tout va bien.

– Comme dans la chanson ?

Sammy prend sa guitare et commence à jouer quelques arpèges bien rythmés, ce qui fait sourire Nora de bon cœur. Elle rejoint son ami en entonnant ses quelques paroles :

 Au moindre coup de Trafalgar,

C’est l’amitié qui prenait l’quart,

C’est elle qui leur montrait le nord,

Leur montrait le nord 

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