L’inconnue

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Une fois remis de ses émotions, Max décide d’aller directement à la gare

Si je ne me trompe pas, il y a un train toutes les heures environ. Il n’y avait pas beaucoup de monde à l’aller. Je ne devrais pas avoir de difficultés à changer ma réservation, se dit-il pour se motiver. Il se lève de son banc non sans un dernier regard inquiet autour de lui. Il ne pense pas cet homme dangereux, mais son regard lui a fait une telle impression qu’il ne peut s’empêcher de l’imaginer en train de le chercher dans le quartier. Ne sois pas ridicule, ce n’est qu’un pauvre homme en pleine crise de paranoïa. Il est plus à plaindre qu’à craindre.

— Comment ça, aucun train avant 18 heures. Il me semblait qu’il y en avait plus que ça ! Mademoiselle, j’ai besoin de rentrer sur Paris au plus tôt, lance-t-il, avec une pointe d’agressivité dans la voix.

Aussitôt prononcés ces mots, il se met à en regretter le ton. La pauvre, elle a l’air paniquée, se dit-il. Elle ne semble pas faire ce travail depuis bien longtemps et me voilà à jouer les clients pénibles.

— Je vous comprends, monsieur. En temps normal, notre offre est très riche, mais il y a eu un incident sur la voie entre Vitré et Laval. A hauteur de Port-Brillet, précise-t-elle. Nous sommes désolés pour cet incident, mais toutes les lignes sont actuellement bloquées. Vous pouvez en profiter pour flâner dans notre belle ville de Saint-Malo en attendant, propose-t-elle avec un grand sourire pour tenter de calmer son client.

Elle est en fait plus inquiète d’une réaction agressive de son interlocuteur que de son empressement à rentrer sur Paris.

— Voilà. Je vous souhaite un excellent voyage, monsieur, lui dit-elle en lui tendant le billet.

— Merci, mademoiselle, lui répond-il, poliment.

Plus résigné que calmé, Max s’éloigne du guichet sans trop savoir comme il va occuper les quatre heures qu’il a devant lui avant de pouvoir monter dans son train. Il n’a pas vraiment envie de flâner dans la ville, comme elle le lui a suggéré, mais il ne se résigne pas à passer ce temps sur un banc dans la gare. Il se décide finalement à aller jusqu’à la citadelle. Le calme retrouvé après une dizaine de minutes de marche, il se rend compte qu’il n’a rien mangé depuis le matin. Il achète quelque chose dans un snack et l’avale tout en marchant. Sans réellement avoir conscience de ce qu’il mange. Ses recherches sont au point mort. Les deux seules personnes qu’il a pu trouver ne lui apporteront rien. Il n’a toujours aucune idée de ce qui lui est arrivé et ne sait plus par quel bout prendre le problème. Il s’efforce vainement à essayer de penser à autre chose.

Il déambule au hasard. Sans réel but. Et sans grand intérêt pour ce qui l’entoure. Malgré le charme des rues étroites et des bâtiments anciens aux larges pierres grises, il n’a pas vraiment l’esprit à ça. Sans vraiment l’avoir décidé, il entre finalement dans un bar à la devanture en bois peint de vert et rouge. Peu de monde à l’intérieur. Deux personnes au comptoir qui n’ont pas l’air de touristes, mais plus d’habitués et quelques personnes aux tables. Plutôt des groupes de gens de passages à première vue. Quoi qu’il fasse, ses pensées reviennent sans cesse sur ce pauvre homme. Sa vie doit être un enfer. Est-ce qu’il lui est réellement arrivé quelque chose d’inexplicable ? Peut-être qu’il s’est mis à lire des sites comme ceux que lui-même a trouvés ces derniers jours et qu’il a perdu pied avec la réalité ? Est-ce que son état est la conséquence ou la cause de sa vie actuelle ? Impossible de trancher. Il se demande si finalement, il ne devrait pas une nouvelle fois, essayer de tout oublier. Je ne tiens pas à finir comme lui ! s’entend-il dire, comme si une voix lui suggérait la prudence. Une bonne dizaine de minutes plus tard, alors qu’il déguste le meilleur cidre de la région selon le serveur, son regard est attiré par une femme assise à une table à quelques mètres. Il lui semble la reconnaître, mais est bien incapable de dire si son imagination ne lui joue pas des tours. Elle lit un livre. Totalement immobile, elle semble comme figée. Je ne suis pas vraiment physionomiste, on me le répète assez souvent, se dit-il, en renonçant. Il ne saurait dire si elle était déjà là quand il est entré, mais ne se souvient pas avoir vu la moindre entrée ou sortie depuis qu’il s’est installé. Ses pensées toujours occupées, malgré lui, entre ce Francis Gauthier et ce qu’il lui est arrivé durant sa randonnée.

— Excusez-moi ! Vous êtes de la région ?

Max sursaute dans le silence relatif des lieux en se rendant compte que c’est à lui qu’on s’adresse. Totalement plongé dans ses pensées, il serait bien incapable de dire s’il s’est passé quelques secondes ou trente minutes depuis qu’il avait remarqué cette femme.

— Pardon. Vous disiez ?

La femme se lève et s’approche.

— Je vous demandais simplement si vous étiez de la région. Je suis de passage ici et je voulais savoir si vous connaissiez un endroit sympa à visiter. Oh ! Pardonnez-moi. Je vous dérange peut-être. Vous semblez soucieux.

— Non, non. Ne vous excusez pas. Je ne pourrais malheureusement pas vous aider. Je suis moi aussi de passage dans la ville. Je ne suis arrivé que ce matin et je repars dans quelques heures.

— Je n’ai pas de chance. Il est vrai qu’il est assez facile de tomber sur un touriste en cette saison. Vous permettez ? dit-elle en montrant du doigt la chaise en face de lui.

— Bien sûr, je vous en prie.

— Juste pour la journée, donc, dit-elle en s’asseyant. Pas vraiment du tourisme alors. Pour affaire ? Excusez-moi, je suis d’une nature curieuse.

— Il n’y a pas de mal. Effectivement, ma visite n’a pas grand-chose à voir avec du tourisme. Pas vraiment pour affaire non plus. Il fallait que je vois quelqu’un pour… enfin, peu importe. C’est une histoire un peu compliquée.

— Pardonnez-moi, je pose trop de questions. Je ne voulais pas être indiscrète. C’est le métier qui veut ça.

— Ne vous en faites pas.

— Je peux vous offrir quelque chose ? Quelque chose à boire, ajoute-t-elle, devant son air surpris.

— Oh ! Euh… bien sûr, finit-il par dire, un peu gêné par le côté inhabituel de la situation, toujours accaparé par ses pensées.

— C’est une très jolie ville, vous ne trouvez pas ? demande-t-elle en faisant signe à un serveur.

Après quelques minutes de conversation anodines sur la ville et son histoire, un silence s’est de nouveau installé. C’est à peine si Max a remarqué le serveur qui déposait leur commande.

— Vous êtes donc ici en touriste. Juste pour visiter la ville ? La région peut-être ? lui demande-t-il pour briser le silence qui s’est installé.

— Pas vraiment du tourisme, non plus. Mais j’en profite effectivement pour visiter Saint-Malo, répond-elle simplement.

— Je ne voudrais pas à mon tour vous paraître indiscret, répond-il gêné.

Après quelques secondes de silence, Max se rend compte qu’il a besoin de vider son sac. Il se sent frustré de ses échecs de ces derniers jours.

— En fait, il m’est arrivé quelque chose d’étrange il y a quelques semaines et j’avais espoir d’obtenir une explication aujourd’hui. D’où ma présence ici. Malheureusement, ça n’a rien donné, ajoute-t-il.

— J’en suis désolée. Tout cela me semble bien énigmatique. Vous éveillez ma curiosité.

— Je ne sais pas vraiment si je peux vous en dire plus. Vous allez me prendre pour un fou… Après tout, pourquoi pas, se ravise-t-il après quelques secondes.

— Je suis tout ouïe. J’adore les histoires. Surtout si elles sont mystérieuses, ajoute-t-elle en se rapprochant.

— Je ne sais pas vraiment par où commencer…

— Alors, commencez par le début ! C’est toujours plus simple, lance-t-elle en riant. Allez-y, je vous en prie, je suis impatiente d’en savoir plus. Et j’ai tout mon temps.

Max commence donc pas lui parler de sa randonnée en Haute-Savoie. Il préfère éviter de lui parler de ses malaises. Il se focalise sur cette histoire de volcan. Ses recherches qui ne donnent rien malgré ce que racontait la jeune fille au refuge.

— Elle était pourtant sincèrement alarmée par ce qu’elle annonçait à ses parents. J’aurais dû moi aussi prendre mon téléphone juste après pour en avoir le cœur net, mais j’essaie dans la mesure du possible de ne pas l’utiliser quand je fais des randonnées. Je ne le prends qu’en cas d’urgence.

— C’est ce que vous avez fait une fois de retour chez vous, si je comprends bien.

— Effectivement, mais c’était après mon second malaise, lâche-t-il soudainement.

— Un malaise ! Un second malaise. Vous me cachez des choses.

— En fait, ça n’a rien à voir. Enfin, je pense… En fait, je ne sais plus quoi penser. J’ai comme l’impression que tout est lié à ces deux malaises que j’ai eus. A l’aller et au retour. Comme si… commence-t-il.

— Continuez, je vous en prie.

— Vous allez vraiment me prendre pour un fou. Je…

— Je ne vous jugerai pas. Promis, dit-elle avec un sourire désarmant.

— C’était… En fait, c’était comme si… j’étais ailleurs.

— Ailleurs ?

— Enfin, non. J’étais bien au refuge. Comme prévu. Mais quand j’y suis retourné quelques jours plus tard, personne ne me reconnaissait. Je vous l’avais dit. Tout était normal, mais en même temps, avec le recul, j’ai l’impression que rien ne l’était… Je ne trouve pas les mots. Tout cela est insensé. Non, désolé, je préfère en rester là.

— Oh non ! Continuez. S’il vous plaît. Je ne vous jugerai pas. Promis. Vous êtes retourné à ce refuge, dites-vous. Continuez, je vous en prie. Tout cela est des plus intrigant.

Après quelques secondes d’hésitations, Max se décide à reprendre son récit. Il revient souvent en arrière. Incapable de raconter les choses dans l’ordre, tellement tout cela est confus. Ses souvenirs, ou ce qu’il prend pour des souvenirs se mêlent à ce trouble persistant de perdre pied avec la réalité. Comme ce pauvre homme, qu’il préfère ne pas mentionner. Il ne tient pas à s’associer davantage à lui.

— Voilà, je crois que je vous ai tout dit, conclut-il soudainement.

— Selon vous, que vous est-il arrivé ? demande-t-elle après un long silence.

— Je n’en sais rien. Absolument rien, en fait. Parfois, je me dis que j’ai tout rêvé. Que je vais me réveiller. Ou alors, qu’on m’a joué un tour.

— Comment savoir ? dit-elle simplement.

— A d’autres moments, c’est complètement différent. J’ai la certitude, au plus profond de moi, que tout est réel. Il faut que j’en aie le cœur net. Je ne peux pas rester avec cette impression de passer à côté de quelque chose.

Devant le silence de son interlocutrice, Max se sent comme obligé de continuer, mais il ne souhaite pas aller plus loin. Il se sent ridicule, face à cette femme dont il ne sait rien.

— Vous savez maintenant tout ce qui m’est arrivé, dit-il.

Elle reste immobile quelques secondes, en le regardant droit dans les yeux. Sans dire un mot.

— C’est étrange.

— Quoi donc ? Quelque chose de plus étrange encore ? demande-t-elle.

— Non. Je voulais dire. C’est étrange que je vous aie raconté tout ça alors qu’on ne se connaît pas. Je n’en ai parlé à personne pour l’instant. A aucune de mes connaissances. Et je viens de tout vous raconter alors que je ne connais même pas votre prénom, ajoute-t-il.

— C’est vrai que ce que vous venez de me raconter est pour le moins étrange.

— Vous n’en croyez pas un mot, n’est-ce pas ? A votre place, je réagirais probablement de la même façon.

— Absolument pas. Je ne remets pas en cause votre récit.

Elle continue à le regarder quelques secondes, avant de reprendre.

— Mon cher Max, cet excès de confiance envers une inconnue ne serait-il pas un signe d’imprudence ?

— Que voulez-vous dire par là ? … Mais, vous connaissez mon prénom ! se rend-il soudain compte en se raidissant sur sa chaise.

Les sourires et le regard engageants ont subitement disparu de son visage. C’est à peine s’il reconnaît la personne avec qui il parle depuis une bonne demi-heure.

— Imprudence. Insouciance. Prise de risque. Appelez cela comme vous voulez. Vous m’êtes très sympathique, Max. J’ai beaucoup apprécié notre conversation, mais croyez-vous raisonnable pour votre sécurité de vouloir persévérer dans cette direction ? Continuer à chercher à rencontrer des personnes comme Philippe Chauvet ou Francis Gauthier n’est pas la décision la plus sage à prendre ? Croyez-moi. Il y a des choses qu’il vaut mieux taire. Des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir.

— Mais… Comment… Vous…

Max est incapable de terminer la moindre phrase. Ni même la moindre pensée. Il est comme paralysé. Un frisson lui parcourt l’échine. S’il pouvait prendre du recul sur ce qu’il ressent en cet instant, le mot terreur lui viendrait aussitôt à l’esprit. Il regarde cette femme en face de lui. De nouveau souriante et le regard chaleureux. Elle reste assise, immobile. Son regard fixe. Elle se lève soudain, sans ajouter un mot et s’éloigne. Juste avant de franchir le seuil de la porte, elle s’arrête et se retourne.

— Soyez prudent Max, lui dit-elle simplement avant de sortir.

C’est elle ! Je la reconnais maintenant. La femme à l’écart des autres au petit-déjeuner au refuge…

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