1. Trahison

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 Assise sur le flanc du volcan enneigé, Célia perçait les nuages d’un regard plein d’espoir. Cela ne suffit pas à provoquer le miracle tant attendu. Le soleil demeurait invisible derrière l'épais voile gris qui recouvrait le monde depuis que l'hiver nucléaire s'était installé une quinzaine d'années auparavant. Qui aurait imaginé, après la catastrophe, que le froid s’amplifierait à ce point, et surtout pendant si longtemps ? Quelques experts avaient bien envisagé cette théorie, mais ils étaient passés pour des fous et avaient rapidement été bannis des médias. Sur Internet, seuls quelques comptes complotistes leur avaient accordé du crédit.

 Les deux lacs qu’elle apercevait à l’ouest étaient figés dans leurs cratères respectifs. Étaient-ils entièrement gelés ou bien restait-il encore du liquide en profondeur ? Et l’océan, à quelques centaines de kilomètres de là ? La jeune femme ne cessait de se torturer l’esprit. Ce Nouveau Monde était difficile à accepter. Elle ne supportait plus ce silence permanent à l’extérieur, seulement troublé par le sifflement du vent. Elle aurait payé cher pour ne serait-ce qu’entendre le chant d’un oiseau, comme lorsqu’elle flânait, enfant, dans le vaste jardin de ses grands-parents.

 Le froid glacial la sortit de ses rêveries. Malgré une épaisse combinaison, elle avait commencé à greloter, transie par son immobilité. Dépitée face à cette nature qui ne vivait plus, elle décida de retourner s’enterrer, pour survivre. La jeune femme jeta un dernier regard à l’immense antenne qui la surplombait, vestige du passé toujours debout au sommet du volcan, avant de s’enfoncer dans le tunnel qui menait à l'établissement.

 Sitôt les portes massives de l’entrée refermées derrière elle, elle fut plongée dans le noir le plus total. Les zones du complexe les plus proches de l’extérieur de la montagne n’étaient pas desservies par l’électricité. Après plusieurs tâtonnements dans son sac, elle saisit enfin sa lampe torche, grâce à laquelle elle put sans encombre franchir les sas successifs, jusqu’à un hall, éclairé cette fois-ci. Elle rencontra deux militaires qui montaient la garde, fusil d’assaut en évidence. Avant de la reconnaitre, ils s’étaient raidis, les mains sur leur arme. Ils l’avaient finalement autorisée à poursuivre d’un signe de la tête. La nervosité était palpable chez eux, l’épuisement aussi.

 Elle prit à droite pour se diriger vers l’aile des habitations. À la première intersection, Célia fut percutée de plein fouet par une femme qui venait de débouler depuis un passage latéral. Le choc l’avait propulsée contre le mur, qui heureusement était près d’elle. Ce n’est qu’une fois sa lucidité recouvrée qu’elle reconnut sa mère, Nelly. Cheveux clairs quoique tirant sur le gris, celle-ci était essoufflée et quelque peu honteuse.

 — Célia, ma chérie ! Je suis désolée, il fallait que je te retrouve au plus vite.

 — Tu pourrais faire gaffe. Si j’avais été un militaire mal luné, t’aurais passé un sale quart d’heure.

 — Je sais, mais c’est très important.

 La femme marqua une pause, le temps de retrouver une respiration à peu près normale. Elle paraissait affectée :

 — À qui tu l’as dit ?

 — À qui j’ai dit quoi ?

 — Ta découverte ! N’en parle à personne, je t’en supplie.

 L’inquiétude obscurcissait les traits de Nelly. Son souffle demeurait saccadé. La mine coupable qu’affichait sa fille lui fit l’effet d’un coup de couteau en plein cœur.

 — Non… Non ! Ne me dis pas que c’est déjà fait !

 Face au silence de Célia, qui ne savait plus où se mettre, elle poursuivit :

 — À qui ?

 — À Surahki. Seulement lui.

 — Surahki ?

 — Oui, enfin Maxime.

 Cet ami de Célia se faisait appeler par son pseudo de jeu en réseau de l’époque. Pour s’en justifier, il se plaisait à dire que le Nouveau Monde était devenu comme les survival horror qu’il affectionnait tant, les zombies en moins.

 — Je sais que tu es proche de lui, ma chérie, mais c’est le fils d’un colonisateur et…

 Nelly marqua un temps d’arrêt, des larmes commençant à perler au coin de ses yeux.

 — Et il a dénoncé Maureen et Justine comme étant des conspiratrices. La pauvre Millie me l’a annoncé tout à l’heure. Elles sont introuvables !

 Célia demeura interdite. Justine et Maureen étaient comme deux petites sœurs pour elle. Elle songea à Millie, leur mère, qui devait être dévastée. Elle réalisa les conséquences de ce qu'elle venait d'apprendre. Premièrement, elle ne reverrait sans doute plus jamais ses deux amies qui avaient sûrement été bannies à l’extérieur du complexe. Deuxièmement…

 Elle tourna le dos à son interlocutrice et partit en courant. Derrière elle, Nelly lui demanda où elle comptait aller. « Demander à Surahki de se taire, s’il est pas trop tard, sinon on sera bannies nous aussi ! »

 Les recherches scientifiques menées par Célia, bien aidée par les deux filles, étaient strictement interdites. Tous les efforts fournis au sein du complexe devaient servir le complexe, ou plutôt les militaires qui le dirigeaient... Comme elle ne supportait ni leurs méthodes autoritaires ni leurs projets de colonisation spatiale, elle avait décidé d’agir en toute discrétion.

 Arrivée devant le studio de Maxime, alias Surahki, la jeune femme hésita. Et s’il avait déjà tout révélé à son père ? Elle entra sans même frapper. Surahki était allongé sur son lit, des écouteurs sur les oreilles. Un véritable luxe vu le peu d’objets électroniques qui avaient résisté au froid. De plus, l’énergie pour les faire fonctionner était le bien le plus précieux sur Terre. Le jeune homme tenait ce privilège de par son ascendance. Être le fils d’un membre éminent des colonisateurs offrait bien des avantages… Cependant, même pour eux, il fallait jouer la carte des économies. Il devait ainsi écouter sa musique avec un volume très bas pour ne pas gaspiller d’électricité. C’est pourquoi il entendit Célia entrer. Voyant le visage rouge de colère de son amie, il recula contre la tête de lit et avoua piteusement :

 — Célia, m’en veux pas ! J’étais obligé de lui dire ! C’est pour notre bien !

 — Non, mais t’es sérieux ? Tu peux m’expliquer en quoi c’est pour mon bien que deux gamines se retrouvent condamnées à crever dans le froid ?

 Surahki ne parvint pas à masquer son soulagement. Célia fut décontenancée. Puis elle comprit…

 — Ne me dis pas que… En fait t’as pas dénoncé Maureen et Justine ? Mais alors… Ce que tu as dit à ton père…

 Célia suffoquait tant elle redoutait la réponse. Elle poursuivit tout de même :

 — Tu lui as dit ce que j’ai réussi à faire ?

 Le silence de son interlocuteur eut valeur d’aveu. La colère avait fait place à la stupeur.

 — Célia... Je te le répète, c’était pour notre bien. Et si ça peut te consoler, j’y suis pour rien pour les deux petites, tu viens de m’apprendre qu’elles allaient être bannies ! Je sais même pas pourquoi. J’ai dit à personne qu’elles t’aidaient !

 — Ferme-la avec ce que tu penses être « Notre bien » ! T’es au courant que moi et ma mère on va aussi être foutues dehors pour recherches clandestines ? Ton père est un grand parano ! Il a toujours cru qu’on était contre lui alors que non ! On s’en fout de ses délires de colonisation ! On veut juste réussir à vivre dans de meilleures conditions ici dans le volcan, pas sur la Lune ou sur Mars comme ces timbrés le voudraient !

 Célia fulminait. Elle vociférait en faisant les cent pas, les poings serrés.

 — Oui, il le croit encore, malgré ce que je lui répète sans cesse. Mais t’inquiète pas, il ne vous bannira pas. Il a trop besoin de toi. Ce que t’as découvert, c’est ce qui leur permettra de réaliser leur projet ! Et je ferai en sorte que vous soyez avec nous dans les premiers convois !

 — Va te faire foutre Maxime. Je préfèrerais crever seule en enfer plutôt qu’aller au paradis avec toi. Tu m’as trahie, merde ! Pourquoi tu m’as pas demandé ce que j’en pensais avant de tout lui révéler ? J’ai trouvé le moyen de nous faire vivre à tous une vie meilleure, putain ! Je refuse que ça serve les ambitions foireuses et démesurées d’une bande de privilégiés ayant perdu la tête !

 L’esprit de la jeune fille était en ébullition. Elle avait trouvé un moyen relativement simple et rapide de produire de l’énergie en grande quantité, à partir du froid qui évidemment était une ressource infinie. C’était la seule solution pour sortir de la précarité l’ensemble des survivants. Pourtant, les dirigeants voulaient que cette découverte serve plutôt à s'envoler vers une autre planète, rien que ça.

 Célia se demanda comment réagir. Passer un marché avec les colonisateurs ? Elle pourrait jouer la carte de l’échange de bons procédés : on mettrait d’abord sa technique au profit des résidents, et ensuite seulement à la disposition des colonisateurs pour leur projet. C’était risqué, car ils n’étaient pas du genre patient, ni à faire des concessions, mais le pire serait évité. Autre solution : aller récupérer ses notes de recherche, les dissimuler et faire croire que ce n’était qu’une blague faite à Surahki. En attendant, personne ne profiterait de cette nouvelle source d’énergie…

 Célia, en entendant du bruit dans le couloir, réalisa qu’elle n’avait pas fermé la porte. Elle reconnut le bruit des pas lourds et cadencés des miliciens. Venaient-ils pour elle ? Il lui fallait se décider, et vite…

__________

Ici, les lecteurs de Votre Récit ont décidé que Célia cacherait ses notes de recherche et nierait l’existence de sa découverte.

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