MOIS J'ENTRAIS
On a failli se rentrer dedans. Elle sortait, moi j’entrais.
Pourtant, on le sait, on vit en société. On le sait, on n’est pas seuls dans un immeuble. Mais parfois, l’esprit prend des vacances. Il démissionne, il s’absente, il s’évapore. Pendant ce temps, nos corps errent, encombrants, encombrés, bêtement livrés à eux-mêmes.
Nos poches vides. Nos existences affamées. Nos égos comme de lourds manteaux, drapés autour de nous, protégeant on ne sait quoi. Du froid ? Du vide ? De la lucidité ?
Les portes se sont ouvertes et, d’un coup, mon cœur aussi.
Un mètre soixante-dix de grâce et de naturel. Pointure trente-six, pieds au-dessus du sol. Blondeur à mi-cou, terminant quelque part au bord du col de sa chemise. Elle avait l'air d'avoir été envoyée par un comité céleste chargé de briser la routine des halls d’immeuble. Une apparition.
On s’est fait peur. Réaction primaire. Mais peur de quoi ? Mystère. Après tout, que peut-il bien jaillir d’un ascenseur, sinon un parfum ? Tantôt suave et envoûtant, tantôt plus agricole. Ici, en l’occurrence, c’était l’odeur de l’inaccessible.
Nos corps étaient si proches qu’ils auraient pu se toucher. Une collision était envisageable. Si seulement. Mais le corps est un traître. Là où aurait pu naître une idylle, un big bang sentimental, il a préféré le repli stratégique.
— Oh, pardon, excusez-moi.
— Non, non, c’est moi, désolé… j’ai eu peur !
— Bonne journée !
— Oui, merci, vous aussi.
Une explosion de banalité. C'était soit la timidité, soit ce réflexe imbécile du « n’y pense même pas, elle est trop belle ». J’opte pour la seconde hypothèse.
Elle s’en est allée comme elle était venue : fulgurante, irréelle, et déjà effacée. Enfin, pas tout à fait. Six secondes suffisent parfois à tatouer une journée entière. La mienne s’apprêtait à être grise et insipide, mais voilà qu’elle avait pris une teinte nouvelle, à mi-chemin entre la frustration et la poésie.
Alors ? La reverrai-je ? Est-elle en couple avec la solitude ? Mariée aux vents d’une déception soudaine ? Ou bien éprise d’un amour qui l’attend quelque part, entre deux pages de ses lectures nocturnes ?
Je n’en savais rien.
Mais ce que je savais, c’est que j’allais écrire.
Écrire comme on rattrape un rêve échappé.
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