13. Le Pian Kkoch sur le dos (partie 3)

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La jeune femme fit alors tomber sa veste au sol. Puis, son t-shirt passa par-dessus sa tête. Enfin, elle dégrafa son soutien-gorge tout en se retournant. Jayu découvrit alors un dos nu, recouvert d’un immense tatouage aux tons brutaux de rouge et de noirs. Hyuna laissa glisser ses cheveux, les ramenant devant ses épaules, pour mieux dévoiler son secret de pigments. Sur un fond de ténèbres, la tige d’une plante suivait le tracé de sa colonne vertébrale, du creux de ses reins jusqu’au cœur de ses deux omoplates. Aucune feuille n’était portée par cet axe central. Une fleur, aux nombreux pétales, explosait en gerbes rouge écarlate sur le haut de son dos. Il semblait y avoir plusieurs fleurs en une, des petites sœurs réunies toutes ensemble dans un grand bouquet et fixées sur une unique tige. Chacune de ses petites fleurs possédait quatre pétales en forme de languettes malicieuses, et du cœur de ces langues sortait de très longues et graciles étamines rouges innombrables. L’impression qu’il en avait : celle d’un insecte végétal s’écarquillant grâce à ses dizaines d’antennes recourbées, ses cils de Geisha.

— Un pian kkoch, énonça Haïja au sujet du tatouage.

— Si tu veux l’appeler comme ça, dit Hyuna. Ma mère l’appelait la fleur d’équinoxe.

La tatoueuse s’approcha du dos de la jeune femme et posa une main sur la grande fleur. Elle expliquait, sa voix plus grave que jamais :

— Cette fleur a tellement de noms que parfois on la désigne sous l’appellation : fleur aux 600 noms. La fleur du renard, la fleur des spectres, la fleur orpheline, la fleur de l’enfer…

Jayu écoutait la dame attentivement. Il ne connaissait rien en fleur. Pour dire vrai, il ne connaissait pas grand-chose en grand-chose. Mais il n’avait pas pu passer à côté de la floraison des pian kkochs. Ils avaient l’habitude de fleurir au début de l’automne. Comme lorsque la neige recouvre de blanc les maisons, en saison, les pian kkochs peignent les jardins en rouge. C’était à la fois magnifique et effrayant, parce que ces fleurs avaient l’allure fascinante de lépidoptères en sang.

— Que veux-tu que je fasse, Hyuna ?

— Recouvre-le.

Elle avait demandé ce service en se tordant le cou pour mieux saisir le regard de la tatoueuse.

— Recouvre-le, s’il te plait.

La main de l’aïeule parcourut encore la surface de la peau nue, comme pour chercher quelque chose à l’intérieur de ce bouquet, comme pour cueillir le végétal.

— Si tu ne veux pas transgresser les règles pour moi, je comprendrais.

— Je vais le faire. Mais il faut que tu aies conscience que recouvrir ce travail de maître…

Elle ricana et Jayu comprit aussitôt qu’elle avait elle-même semé cette fleur, à une époque où Hyuna n’était qu’une petite fille.

— … va me prendre du temps. Et ne me dis pas que tu n’en manques pas. Il serait bon que tu partes rapidement.

— Je veux que tu le recouvres, pas que tu fasses un chef-d’œuvre. Fais au plus rapide.

— Tsss. J’ai déjà transgressé le code ; j’ai déjà provoqué des gangs ; j’ai même foiré un mariage, mais raté un tatouage, jamais. Je ne vais pas commencer aujourd’hui. Allonge-toi, belle plante.

Jayu alla prendre une chaise et s’assit à côté de la jeune femme. Ils en auraient pour un moment apparemment, il but une gorgée de son coca. Il s’était rapproché de Hyuna, pour pouvoir la regarder pendant la séance. Il voulait voir son dos. En s’installant sur la table, elle remit plusieurs fois en place ses cheveux. Elle posa sa tête, qu’elle tourna dans sa direction. Elle lui sourit, comme pour lui faire comprendre qu’elle était heureuse qu’il soit là, avec elle. Pendant ce temps, Haïja préparait ses couleurs. De l’autre bout de la pièce, elle questionna :

— En fait, tu veux un motif particulier ?

— Je ne, je n’ai pas l’habitude d’avoir le choix… C’est étrange. Je n’aimais pas ce tatouage. Ce n’est pas contre toi, Haïja, c’est du beau travail, mais ce qu’il représente m’a toujours donné envie de m’écorcher le dos moi-même.

— Il signifie quoi ? demanda Jayu.

— C’est le totem du gang, expliqua Hyuna.

— Je sais, mais pourquoi cette fleur ?

— Hum.

Hyuna ferma les yeux, sembla rassembler les morceaux de sa réponse. Lorsqu’elle les rouvrit enfin, elle plongea ses iris jaunes dans ses yeux à lui. Contrairement à ce qu’il avait fait avec Haïja, il ne détourna pas le regard. Avec Hyuna, il ne s’en sentait pas obligé, rien ne l’écrasait et le trouble qu’il ressentait, ne l’incitait pas à fuir, bien au contraire. Il écouta la suite avec la plus grande attention.

— Il y a une légende chinoise au sujet de cette fleur, elle s’appelle « Mânju et Saka ». Un jour, une déesse fit naitre deux elfes pour veiller sur la fleur d’équinoxe : Mânju et Saka. L’un d’eux veillait sur les feuilles, l’autre veillait sur la fleur. La déesse leur avait interdit de se rencontrer, mais les deux elfes désobéirent et tombèrent très amoureux l’un de l’autre. Lorsque la déesse découvrit que Mânju et Saka avaient désobéi à ses règles, elle se mit très en colère et sa punition fut de les séparer pour toujours. Elle leur jeta une malédiction et depuis, les fleurs se fanent lorsque les feuilles de la tige poussent, et inversement, les feuilles tombent lorsque la fleur s’ouvre. Le pian kkoch est un symbole de séparation, contrainte et définitive. Dans notre gang, lorsqu’on intègre le clan la fleur de pian kkoch représente nos vies passées que nous abandonnons. La fleur a fleuri, les feuilles sont tombées.

— C’est une belle légende, intervint la tatoueuse qui revenait avec son matériel, mais ça ne me dit toujours pas ce que je dois mettre comme décors pour recouvrir celui-ci. Si je peux me permettre un conseil, je pense qu’une autre fleur reste la solution la plus simple. Un hibiscus ? Un zinnia ?

— Un lys orange, trancha Hyuna.

Jayu ayant la tatoueuse dans sa ligne de mire, il avait peu de chances de rater l’expression de cette dernière et apparemment la proposition de Hyuna ne l’enchantait pas.

— Tu connais la signification des fleurs, Hyuna ?

— Je connais celle du pian kkoch… et de quelques autres, c’est vrai.

— Tu m’as juré que Baehyun, c’était du passé, reprocha l’aïeule.

— J’ai dit que je faisais sans doute partie de son passé, pas qu’il faisait partie du mien.

La tatoueuse aux cheveux gris haussa les épaules. Elle prit un feutre noir pour marquer ses repères. Jayu était perplexe. Il n’était pas certain de comprendre. Même s’il avait un peu peur de se montrer indiscret, il osa :

— Ça veut dire quoi le lys orange ?

Le visage de Hyuna confirma l’intuition qu’il avait eue plus tôt : la colère lui saillait à la perfection.

— Fleur de vengeance, annonça-t-elle. Le lys orange est la fleur de la vengeance.

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