3 - Arrivé à destination 

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Entre les pauses pipi, l'arrêt à la sandwicherie de l'autoroute et quelques engueulades, nous voilà enfin arrivés. Je regarde l'écran de mon téléphone, 20h15, presque plus de batterie et je ne capte que la 3G. Je soupire, puis observe cette rue plongée dans le noir. Pas de réverbères, pas de lumière dans les habitations, pas d'individus marchant d'un pas rapide sur les trottoirs et pas de musique d'ambiance provenant des bars. Pas de doute, on a atterri dans un trou perdu.

Je lève les yeux au ciel, bien dégagé, les étoiles scintillent de mille feux. Le vent glacial fouette mon visage comme des lames de rasoir, et l'air marin me prend au nez comme un coup de Stérimar à haute dose. Je plisse les yeux, je ne vois rien à cent mètres. Des hululements me font frissonner. Vite, rentrons dans la maison. Je cherche mon père du regard. Mais qu'est-ce qu'il fout la tête plongée dans le sac à main de ma mère ? Il en ressort avec une clé. Qu'il se dépêche, je me les gèle.

— Ah ah, tes pointes de cheveux sont blanches ! ricane Anaïs en me pointant du doigt.

Je me passe vigoureusement une main dans les cheveux, grimace. Ce n'est ni de la neige, ni du givre, mais du sable. J'entends le bruit des vagues. Pendant que mes parents se débattent pour ouvrir la porte d'entrée, je m’éclipse dans le petit sentier situé à gauche de la maison. Je me mets sur la pointe des pieds et aperçois la mer par-dessus les haies. Je sens une main tirer sur ma doudoune.

— Hey, c'est chez quelqu'un ici. Reviens ! prévient Anaïs.

Effectivement, je distingue une maison en deuxième ligne. Je rebrousse chemin, et retourne auprès de mes parents. Ils ont enfin réussi à ouvrir !

Nous entrons dans une grande maison moderne au style épuré, aux murs peints en blanc et gris. La lumière des lustres se reflète sur le carrelage effet marbre gris clair. Anaïs court à l'étage. Je ne l'ai pas vue filer, elle est rapide, la chipie ! Je grimpe l'escalier, inspecte le palier qui dessert deux chambres, un bureau, une salle de bain et un WC. Comme je m'en doutais, elle a pris la plus grande chambre. Je me dirige vers la mienne, vide, puis réalise que les murs sont roses ! Ah non ! Je pars d'un pas lourd dans la chambre verte d'Anaïs. Je l'attrape par le bras et la tire vers l'autre pièce. Elle se débat et hurle. Ce tapage alerte mes parents. Ma mère monte les marches quatre à quatre. Mains sur les hanches, postée au milieu du palier, elle demande des explications. Nous parlons tous les deux en même temps. Ma mère met fin à cette cacophonie en choisissant les chambres pour nous. La verte pour Anaïs et la rose pour moi. Je rage, donne des coups de pied dans le garde-corps de l'escalier. Ma soeur a toujours le dernier mot. Pour me rassurer, ma mère m'assure que papa ira acheter de la peinture chez Leroy Merlin. Est-ce que ça existe au moins dans le coin ? Mon père arrive à son tour, bras chargés de sacs de couchage, chacun un. Les déménageurs livreront nos meubles demain.

J'ai déjà envie de partir. J'essaye de m'endormir, emmitouflé tout habillé dans cette couette sac poubelle. Difficile de fermer l'oeil dans cet espace plongé dans le noir, avec le bruit de grattement qui provient des combles, le vent qui claque les volets contre les fenêtres et la vue des araignées qui rampent sur le parquet stratifié. Je grelotte, le chauffage met une plombe à démarrer. À peine endormi que les rayons du soleil effleurent déjà mes paupières. J'entends le bip bip des radars de recul. Je me lève, me frotte les yeux, puis ouvre les volets. Je constate que les déménageurs sont arrivés. Déjà ? Je regarde mon téléphone, 8h40. La nuit a été courte. Je m'assieds dans un coin de la chambre, tête entre les mains. Je n'ai pas la force de faire quoi que ce soit, à part aller sur les réseaux. J'allume TiKTok, ça mouline grave, puis le message de perte de signal s'affiche. C'est bien ma veine... Je me recroqueville, le bruit du mobilier qui racle sur le parquet m'endort.

À mon réveil, tout est installé, rangé, bien agencé. Cool ! Mais j'aperçois mon père, lunettes rondes sur le bout de son nez, bras croisés, ma mère, mains sur les hanches et ma soeur qui ricane, tous les trois, devant l'entrée de ma chambre, plutôt contrariés que je n'aie rien glandé. Et alors ? Je n'ai pas demandé à venir ici !

Mon père souffle. Je fronce les sourcils, le dévisage méchamment, puis il soupire.

— Allez, viens.

— Où ça ? dis-je, grognon.

— Faire un tour à Brest. On va acheter ta peinture et voir ton lycée.

Je grimpe dans la voiture en claquant volontairement la portière. Je jette un coup d'oeil à mon père, il essuie la sueur sur son front ridé avec la paume de sa main, puis remet ses lunettes en place sur l'arête de son nez avec l'index. Je soupire et observe le paysage, plat, tantôt occupé de champs de blé, tantôt de forêts de châtaigniers. Rien à voir. Je prends mon téléphone, insère les airpods dans mes oreilles et allume Deezer, morceau de la route est longue de Jul en fond sonore.

Mon père m'arrache des mains mon téléphone. Je retire mes écouteurs.

— Hey ! Qu'est-ce que tu fous ?

— Au lieu de t'enfermer dans ta bulle, on pourrait discuter, non ?

— Tu me fais quoi ? Un remake de la Famille Tenenbaum ?

— Je veux seulement discuter. Dis-moi ce qui te tracasse.

Je dévisage le profil de mon père, ses yeux plissés derrière ses lunettes à monture ronde et noire, son nez droit, sa mâchoire carrée, sa barbe de trois jours et ses cheveux blonds épais mélangés à des mèches blanches.

— Mais c'est simple ! Je veux quitter cet endroit pourri et retourner à Paris !

— On en a déjà discuté, Maxence...

— J'en ai rien à branler de tes histoires de boulot ! J'veux me casser à Paris, point barre. J'ai tous mes potes là-bas !

— Ce n'est que pour deux ans et...

— C'est trop long ! Et je parie que tu ne sais pas, en réalité, combien de temps va durer ta mission.

— Si. Deux ans.

— Menteur.

— Maxence... Fais un effort, bon sang !

— Jamais ! Ma vie est fichue.

— Tu te feras de nouveaux amis. Tiens regarde, nous voilà arrivés à ton lycée, l'établissement Fénélon.

Je jette un oeil à l'heure du tableau de bord, 10h23. Quoi ? On a mis 50 minutes pour venir jusqu'ici ? Je vais me taper 2 heures de trajet par jour pour me rendre à l'école ? Oh putain, j'veux déguerpir. Je colle mon front contre la vitre de la portière et lève les yeux vers cet édifice néogothique aux allures de Poudlard brestois. Je me tourne vers mon père.

— Tu t'es paumé ?

— Non, c'est bien ici, le lycée professionnel Fénélon qui offre un cadre de travail remarquable grâce à son château de Ker Stears du XIXe siècle et son parc arboré surplombant la rade de Brest.

— Super, t'as bien retenu le descriptif de la brochure, dis-je, narquois.

— C'est sympa, non ?

— Pour les vampires et les sorciers ?

— Maxence, arrête de faire ta mauvaise tête et de tout dénigrer ! Cet établissement est labellisé « lycée des métiers ».

— Vas-y, enfonce le clou.

— Mais de quoi tu te plains encore ?

— Vous m'avez assez reproché d'avoir loupé mes années de collège et de me retrouver dans un lycée pro plutôt qu'un général. Vous avez tous fait de brillantes carrières dans la famille, même mes cousins, et moi je suis le raté de la bande.

— Maxence, on est... C'est...

— Tu vois ! T'arrives même pas à prononcer le mot « fier » !

Je sors de la voiture, claque la porte et marche d'un pas rapide vers l'entrée de ce bâtiment qui me surplombe.

Je passe la grande porte en bois sculpté. J'observe l'imposant escalier sculpté, ainsi que le vitrail qui se trouve tout autour. J'avance dans le couloir, tombe nez à nez avec une fille aux cheveux châtains, vêtue d'un uniforme bleu marine d'hôtellière. Son doux parfum de framboise m'enivre.

— Salut, lance-t-elle en m'offrant un magnifique sourire.

— Euh... salut, dis-je en me passant une main dans les cheveux.

— T'es nouveau ?

— Ouais...

— J'ai un faible pour les blonds aux yeux bleus et au visage harmonieux.

Mes joues me brûlent, je ne sais pas où me mettre.

— Comment t'appelles-tu ?

— Maxence.

— Et ton nom de famille ?

— Moreau.

— Ah, Parisien alors ?

— Euh, comment as-tu deviné ?

— C'est un nom de famille très répandu en région parisienne qui s'apparente au prénom latin Maurellus.

— Et toi, tu t'appelles Hermione ? dis-je sarcastique.

— Non, moi c'est Charlotte Gueguen.

D'accord, ma blague a foiré, elle ne rit pas du tout. Aucun humour.

— T'es dans quelle spécialité ? demande-t-elle.

— Hôtellerie restauration.

— Ah, comme moi ! On se voit lundi alors.

Je souris, elle s'éclipse sans un bruit, telle une ballerine. Je sors du bâtiment et croise mon père dans l'allée.

— Ah, Maxence, t'es là !

— Non, je suis mort.

Mon père souffle, puis nous quittons cet endroit, direction Leroy Merlin. Je traine les pieds, et hurle intérieurement. Je veux rentrer chez moi !

Il passe le week-end à repeindre ma chambre en blanc. Quant à moi, je reste vissé sur ma chaise, devant mon PC, casque de Gamer sur les oreilles, je commence une partie en ligne avec mes potes de Paris. Mais au bout de trente-cinq minutes de jeu à peine, tout s'éteint. Je regarde l'écran noir, plus de Wi-Fi. Je retire mon casque, le jette contre le clavier, puis prends mon téléphone, pas de réseau. Je gueule dans toute la baraque. Je suis définitivement déconnecté de toute vie sociale.

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