11 - Explications insensées

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En voiture avec mon père, après quelques minutes d'hésitation, je me lance.

— Papa...

— Oui, fils ?

— En ce moment, je joue à un jeu vidéo... mortel...

— Comme d'habitude. Call of Duty ? Battlefield ? Ou un autre truc du genre ?

— Ce jeu est vraiment... différent... Quand on se blesse mutuellement, et ben... c'est réel.

— Les jeux sont hypers réalistes de nos jours. Rien à voir avec les années 90, ah ah.

— Papa... On a des blessures dans la vraie vie. J'ai reçu une balle dans la cuisse et ça n'arrête pas de saigner.

Mon père serre le volant, jette un rapide coup d'œil sur ma jambe, fronce les sourcils et se concentre sur la route. Il replace ses lunettes sur son nez.

— Je... Je ne comprends pas où tu veux en venir. Tu te fais harceler à l'école, c'est ça ?

— Non ! Écoute-moi, je sais que ça a l'air dingue, mais le jeu nous blesse pour de vrai.

— C'est assez flou comme concept et... mais qu'est-ce que tu fais ?!

Je déboucle ma ceinture, lève les fesses pour retirer mon pantalon. Mon père alterne le regard entre la route et moi, commence à zigzaguer. Il s'arrête en urgence sur le bas-côté, les pneus crissent dans une volute de fumée sur le bitume. J'ouvre la portière et sors précipitamment de la voiture.

— Regarde ! m'écrié-je en montrant ma cuisse. C'est en sang ! Ça pisse le sang !

Sous le regard incrédule de mon père, je retire mon bandage, qui colle à moitié sur ma plaie.

— J'ai beau désinfecter et nettoyer ma blessure, ça ne guérit pas !

— Écoute Maxence, tente de me calmer mon père en levant les mains en signe d'apaisement. Je ne comprends pas ce que tu me racontes, mais on va trouver une solution, ensemble. D'accord ?

— Mais merde ! hurlé-je. J'te dis que je suis blessé ! Jin m'a dit de suturer la plaie, mais je sais pas faire ça !

— Calme-toi, Maxence.

Je me prends la tête entre les mains, désespéré. Il ne voit rien, ne comprend rien. Je hurle en sautant sur place comme un gosse en colère. En relevant la tête, je distingue une silhouette grisâtre et brumeuse à quelques mètres de la voiture, en plein milieu de la chaussée. Je me fige sur place. Cet être à la peau grise, rachitique et élancé, au visage ridé et boutonneux, à la chevelure qui danse telle une flamme sur la mèche d'une bougie, m´observe. Son sourire s'étire, dévoile des dents jaunes et pointues, laisse échapper un son cynique. Ses yeux rouge rubis scintillent, leur éclat me fait frissonner. Je tremble comme une feuille, lève avec difficulté le bras et le pointe du doigt.

— Papa regarde !

Mon père suit la direction, plisse les yeux et plaque ses mains sur ses hanches.

— Qu'est-ce que je dois voir exactement ?

— Le lutin ! Là !

Mon père soupire, dépité. Il retire ses lunettes, se frotte les yeux, puis agrippe l'arête de son nez avec l'index et le pouce. Il se tourne vers moi, fronce les sourcils en me voyant paniquer. L'être empeste une odeur iodée et présente une vision macabre. Il fait un pas vers moi, je recule, la sueur dégouline sur mes tempes. Il libère un rire de hyène qui me brûle les tympans. Je me plaque les mains sur les oreilles, me plie en deux et hurle d'effroi. Mon père court vers moi et m'agrippe par les épaules. Le Korrigan, ou je ne sais quoi, disparait dans une brume couleur de jais et d'éclairs rouges tournoyants.

— Hey, hey, ça suffit ! J'vais t'aider. Je vais te prendre un rendez-vous dans un centre de désintoxication et je vais t'accompagner.

— Quoi ?! Mais je ne me drogue pas !

— Maxence, tous les... gens sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants disent la même chose.

— Je suis pas comme eux !

Mon père m'observe de la tête aux pieds. Je n'ai pas fière allure, en caleçon rouge à pois verts, au bord de la route. Vu son air de pitié, il me prend pour un fou. Je peste, puis remets mon pantalon et grimpe dans la voiture, claque la portière. Mon père soupire en levant les yeux au ciel, retourne derrière le volant et démarre.

— Dès demain, j'appelle l'hôpital pour une prise en charge.

— Ça va, c'est bon.

— Maxence... Depuis combien de temps tu touches à la cocaïne ?

— Arrête ! Jamais ! J'ai jamais touché à cette merde !

— Ton discours est insensé, incompréhensible et décousu. Qui plus est, tu es en sueur, tu as des cernes sous les yeux, tu sembles fatigué. Ce sont des symptômes propres aux drogués...

— Papa ! Stop ! Ça suffit ! Oublie ce que j'ai dit, okay ?

— D'accord, d'accord, dit-il en levant les bras.

Je croise les bras, m'enfonce dans le fond de mon siège, renfrogné. J'observe les arbres défiler, ils semblent frétiller, se moquer de la situation. Je perds mon temps à discuter avec mes parents.

Arrivés à la maison, je file directement dans ma chambre, en ignorant volontairement les appels de ma soeur et de ma mère. J'en ai ras-le-bol de cette famille. Je ferme la porte, m'installe à mon bureau et fixe l'écran. Il ne s'est même pas mis en veille de toute la journée. Je passe une tête sous le meuble, les câbles sont toujours débranchés. Quel merdier. Je me redresse, soupire un bon coup et pianote sur le clavier. J'attends que le jeu reprenne et que les autres reviennent derrière leurs écrans. Ah, un son de biniou, le fond noir se disloque en confettis et revoilà le tableau des scores. Je mets mon casque sur la tête, allume le micro.

— Ah Maxence, j'ai une annonce à te faire, déclare Ulrich.

Je soupire, nerveux.

— On s'est mis d'accord au bahut.

— Sur quoi ?

— On va t'éliminer en premier !

— Quoi ?! Mais pourquoi ?

— Pour venger la mort d'Houssen !

— Mais t'es bouché ma parole ! hurlé-je, voix enrouée par la peur. Je ne savais pas ! Je te l'ai dit, je croyais que c'était un jeu !

— Bonne chance, sifflote Ulrich.

— Arrête tes conneries !

Je me frotte les yeux, puis me prends la tête entre les mains, coudes posés sur le bureau. Il n'en démord pas ce gars. Il veut ma peau, mais aussi gagner. Il est vraiment dérangé. Je fixe l'écran, observe mon avatar caché dans la botte de foin. Rester dans cette planque et attendre.

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