13 - Révélations

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Je prends mon vélo posé contre le mur de la maison, monte difficilement, m'élance. Je manque de tomber plusieurs fois. Les Korrigans ricanent, ils sont à cent mètres de moi. J'en frissonne. Après dix minutes à pédaler, je m’arrête, fixe ma cuisse gauche. Une tâche rouge s’est formée au centre du bandage blanc. Je crispe la mâchoire, serre les poignées du guidon et me remets en route. Je pédale douloureusement jusqu’à la pointe de Dinan. Les Korrigans sautent devant moi, leurs capes ondulent par les bourrasques de vent. Ils rient de manière cynique.

— Eh, doucement ! Vous allez trop vite !

Les Korrigans lâchent un râle diabolique. Je baisse la tête sur mon guidon, continue de pédaler en souffrance. L’orage ne gronde plus. Le vent souffle plus fort. Je viens d'arriver au « Château de Dinan », plus exactement un îlot rocheux sculpté par les vents marins et les attaques des vagues, à ne pas confondre avec le donjon du moyen-âge situé à Dinan. Me voilà à la pointe de la forteresse de pierre. Il fait sombre et le brouillard apparait sur les collines. Les Korrigans disparaissent tels des spectres dans l’épaisse brume.

J'entends le bruit des vagues. Je plisse les yeux et distingue quatre silhouettes, trois en vélos et une en trottinette arriver vers moi. Je descends de mon vélo, le laisse tomber à mes pieds pour rejoindre mes adversaires de jeu. Je constate que Lucas a un bras en écharpe, les cheveux en bataille, des cernes sous les yeux. Il porte un blouson noir.

Ji-Hyun porte une veste violette sur ses épaules. Un bandage est placé autour de sa taille. Quant à Colin, il a un épais pansement pour cacher son oreille gauche manquante et une main enveloppée dans un tissu vert clair. Des tâches de sang sont visibles sur le coton. Il porte un pull en maille épaisse vert foncé.

Enfin, Ulrich, le plus grand et imposant de nous cinq, ne présente aucune égratignure à part les jointures de sa main droite abîmée par le coup de poing. Il porte une veste en simili cuir noire. Ulrich me sourit de manière hautaine.

— Pas joli joli ta blessure à la cuisse.

— La ferme.

— J’t’ai pas loupé non plus au visage. Bel hématome.

Ji-Hyun alterne son regard entre Ulrich et moi. Elle frissonne d'angoisse. Ulrich crache au sol. Je m’approche de lui, poings serrés, lui donne un coup de poing dans la mâchoire. Du sang coule de la commissure de ses lèvres.

— Tu me lâches, oui ?

Ulrich s’essuie la bouche avec le dessus de sa main. Puis, il riposte par un coup de genou dans mon ventre. Je me plie en deux quelques secondes, puis lui donne un coup de coude dans le thorax. Nous nous jettons l’un sur l’autre, nous nous retrouvons au sol, meuble et graveleux, à nous battre.

— Arrêtez ! crie Ji-Hyun.

Ulrich attrape mes cheveux, les tire pour me mettre sur le dos. Il se place au-dessus de moi, lève son poing. J'agrippe le col de son t-shirt et me prépare à riposter.

À cet instant, un rire diabolique se fait entendre. Ulrich stoppe son geste, lève la tête. Je tourne la tête vers le même point. Je vois deux pieds velus avec de grands ongles noirs dans les herbes hautes.

— Oh, putain ! s'écrie Ulrich.

Il se relève précipitamment. Je l'imite. Deux points lumineux clignotent, puis s’évanouissent dans la brume. Le rire diabolique s’estompe. Ulrich se tourne vers Colin et Lucas. Tandis que Ji-Hyun s’approche de moi, timide.

— Ça va ?

— Oui, ça peut aller...

— Évite de céder aux provocations d’Ulrich. Ce serait dommage d’abimer ton beau visage.

Je me plaque une main derrière la tête, déstabilisé par ses propos.

— Ah... ok. Merci.

Ji-Hyun sourit en se cachant derrière sa main droite, gênée. Je me passe une main dans les cheveux en souriant timidement. Je sens le regard perçant d'Ulrich sur nous.

— Hey, vous deux ! Venez là qu’on discute !

Je fronce les sourcils, jette un œil à Ji-Hyun, puis nous rejoignons le groupe.

— C’est ici le Château de Dinan ? demande Ulrich à Colin.

— Les Korrigans nous ont conduit jusque-là en tout cas...

Je sors mon téléphone de la poche, regarde l'écran et ouvre Google Maps.

— Oui, nous sommes bien arrivés à la pointe de Dinan d’après le GPS...

— Mais où est le château ? demande Ji-Hyun.

Colin tape dans la barre de recherche : Château de Dinan, presqu’île du Crozon. Il clique sur un lien.

— Ce n’est pas un château, mais le nom donné à cet énorme rocher.

Il pointe du doigt le lieu. Tous tournent la tête vers la masse en question.

— Ce rocher est relié à la pointe par une arche creusée par la mer, continue Colin. C’est marée basse. On la voit bien.

— Les Korrigans se cachent dans ces rochers, précise Ulrich.

Ji-Hyun se frotte les bras, tremblante.

— Ce n’est pas très rassurant...

— Qu’est-ce qu’on fait ? demande Lucas.

Je hausse les épaules, les autres se regardent, interrogateurs, puis Colin sort des pâtisseries de son sac à dos, des kouign-amann individuels.

— Tenez, ça va vous faire du bien. On ne peut pas réfléchir le ventre vide.

Chacun en prend un et le mange avec entrain, affamé. Je ressens une sensation de tournis. Sûrement à cause du coup reçu à la mâchoire.

Soudain, un rire à glacer le sang jaillit de la brume. Nous jetons des regards partout autour de nous, puis nous fixons deux points rouges lumineux apparus dans les broussailles. Colin éclaire les environs avec la lampe-torche de son téléphone, mais il s’éteint soudainement.

— Mon smartphone ne fonctionne plus !

Les autres regardent alors leur téléphone.

— Le mien non plus, confirme Lucas.

— Plus de connexion, plus de réseau... ajoute Ji-Hyun.

— Et plus moyen d’éclairer, nous sommes plongés dans les ténèbres... dis-je.

— C’est quoi ce bordel ? s'énerve Ulrich.

Nous voyons des yeux. Le rire provient de là. Le petit être sort de sa cachette, dévoilant son vrai visage, en grognant comme une hyène.

— Quelle horreur ! s'écrie Ji-Hyun.

— Il est revenu. S'il nous dévisage comme ça, c'est pas bon signe, panique Colin. Il faut fuir !

— Fuir ? dis-je. Mais nous sommes ici pour les combattre ! C'est le jeu !

Nous nous retournons, mais découvrons que nous sommes encerclés par une multitude de points rouges lumineux. Les êtres sortent de leur cachette un par un en rigolant. Certains apparaissent des broussailles, d’autres de terre, des rochers et encore d’autres de flaques d’eau. Nous restons groupés et nous nous collons dos à dos.

— Oh misère ! tremble Lucas. Y en a une centaine !

— Vous avez de quoi les occuper ? demande Ulrich.

— Non, rien. Pas de blé, pas de sel... répond Colin.

— C’est la merde, dis-je.

— Essayons avec du sable ! propose Ji-Hyun.

Nous nous regardons, puis nous nous activons pour prendre des poignées de sable déposé par le vent sur les chemins escarpés. Ensuite, nous le jetons en direction des Korrigans. Ça fonctionne, ils se mettent à compter les grains un par un, mais pas assez longtemps pour que nous puissions fuir.

— Ils sont trop nombreux ! panique Colin. Ils comptent trop vite !

Les Korrigans commencent à sautiller sur place en grognant. Derrière eux, d’autres yeux rouges apparaissent.

— Ohlala ils se multiplient ou quoi ? tremble Lucas.

— Nous sommes encerclés ! dis-je.

Lucas, Ulrich, Colin, Ji-Hyun et moi restons collés les uns aux autres, nous nous prenons les mains.

Soudain, une bourrasque de vent arrive devant nous. Je lève une main devant mon visage pour me protéger du vent. Une lumière verte tournoie, puis une femme Korrigan aux magnifiques yeux verts apparait. Elle flotte dans les airs. Elle porte une robe noire et blanche comme tissée par les plus talentueuses araignées de la région. Son visage est recouvert par une capeline verdâtre.

— Je suis Elfie, la reine des Korrigans, lance-t-elle.

— Je... je reconnais votre voix... C’est vous qui nous parliez dans le jeu vidéo... N’est-ce pas ?

— C’est bien moi.

— Vous avez utilisé votre magie contre nous. Pourquoi ?

— Vous n’êtes que de misérables individus.

— C’était juste un jeu en ligne, grogne Ulrich.

— Vous vous êtes tous trompés.

— Pardon ?

— Vous avez cru jouer à WAR P KOR, alors qu’il fallait lire MAR P KOR.

— Le « W » était à l’envers ? dis-je. Qu’est-ce que ça signifie ?

La créature relève la tête de manière majestueuse, son chapeau s'évapore en une myriade de couleurs. Ses cheveux brillent comme les blés et virevoltent telle une flamme au grè des tourbillons venteux. J'écarquille les yeux, je suis bouche bée, plus aucun son ne sort de ma bouche. C'est Charlotte !

— MAR est un mot breton qui signifie dans ce contexte, « respect », continue-t-elle sans se soucier de ma réaction.

Elle agite ses bras devant elle en un ballet désordonné. Des lettres lumineuses vertes se matérialisent dans l’air. Nous voyons tous ces mots.

— MAR P KOR pour MAR PLIJ KORRIGANS.

La reine ferme le poing pour effacer les mots. La traduction en français apparait en lettres lumineuses rouges.

— VEUILLEZ RESPECTER LES KORRIGANS. S’il vous plait.

Avec les autres, nous nous regardons, confus.

— C'est quoi ce délire ? s'emporte Ulrich. Et puis pourquoi t'es là, Charlotte ? Qu'est-ce que ça signifie ?

— Je vous ai joué un tour, rassemblé et guidé dans mon antre, explique-t-elle d'une voix grinçante, tout en flottant dans les airs, enveloppée d'un halo vert pomme. Je suis la Reine des Korrigans et vous allez subir mon courroux ! s'exclame-t-elle en pointant son doigt vers nous.

Je grimace. Et dire que j'en pinçais pour elle.

— Mais... nous avons bien lu le mot War, dis-je.

— Non, rectifie Colin.

— Quoi ?

— Un symbole breton, le Triskell, était présent derrière la première lettre.

— En effet... ajoute Lucas.

— Avec un effet d’optique, nous avons cru voir la lettre W et non la lettre M. Nous nous sommes trompés.

— Il ne fallait pas toucher aux Korrigans.

— Et encore moins les tuer... ajoute Ji-Hyun.

— Nous devions les éviter, les laisser tranquilles, explique Colin. En nous précipitant sur le jeu, manquant de patience, nous n’avons pas pris le temps de lire, ni de comprendre le but du jeu.

— Nous avons tous échoué, s'attriste Lucas.

— Que fallait-il faire ? dis-je.

— Nettoyer l’eau, répond Charlotte.

— Hein ?! lançons en cœur Ulrich, Lucas, Ji-Hyun et moi.

— Les hommes polluent leur terre, leur air et leur mer, s'exclame Colin. Le Triskell est un symbole celtique à trois branches qui représentent le Ciel, la Terre et l’Eau.

— L’usine d’eau potable ne fonctionne plus correctement, intervient Ji-Hyun. Nos parents ont été envoyés pour résoudre le problème. Mais, la source du problème est mystique.

— C’était donc à nous d’agir, en intervenant à travers le jeu, dis-je.

— Comprendre le maléfice et le vaincre... explique Ji-Hyun.

— Nous étions tous à côté de la plaque...

— Qui scrute les titres de jeu à ce point ? demande Ulrich.

— Fallait lire les notifications en entier.

— Le titre prête à confusion, lance Lucas. Sérieux, WAR P KOR, en le lisant à la française ça fait « War Pécore ».

Je souris jaune malgré moi, les autres s’y mettent aussi.

— C’est pas faux, dit Colin.

— Et DEN WAR alors ? Ça signifie quoi ? demandé-je.

La reine des Korrigans, ou Charlotte, disparait, puis réapparaît brusquement devant moi. Nos nez se touchent presque. Elle me fixe droit dans les yeux. Ses cheveux ondulent dans les brises du vent, ses yeux verts scintillent. Elle a les poings serrés, les sourcils froncés. Je recule d’un pas.

— « DEN » signifie « HOMME » en breton. Donc Guerre des Hommes.

— Putain de merde, laché-je.

La reine recule, ouvre les bras, puis elle et tous les Korrigans se mettent à hurler d'une voix stridente. Nous nous plaquons les mains sur les oreilles.

— Nous sommes en colère ! s'écrie Charlotte. Vous osez profaner nos terres et vous vous moquez de notre peuple ! Vous allez nous le payer !

Elle lève les mains, et d’un geste, nous vise. Par la puissance de la magie, nous sommes projetés dans les airs et atterrissons chacun dans un coin différent de la falaise. Je tombe sous l’arche de l’énorme rocher. Les autres sont envoyés sur des rochers encerclés par les vagues. Ils entourent et surplombent le château de Dinan avec une vue directe sur moi. Mes quatre partenaires de jeu sont surveillés par des Korrigans qui tiennent des bâtons pointus dans leurs mains. Ji-Hyun se met à pleurer.

— Qu’est-ce qui va nous arriver ? tremble-t-elle.

Lucas vacille sur les rochers, à cause de son bras blessé, il est déséquilibré. Il essaye tout de même de trouver une position stable.

— J’ai le vertige.

— Votre compagnon, ici présent dans le château, a gagné le plus de points à notre jeu, s'exclame la Reine.

— Autrement dit, c’est Maxence qui a tué le plus de Korrigans, ajoute Ulrich.

Je m'assieds sur le sable, me prends la tête entre les mains. Les Korrigans autour de moi viennent me piquer les jambes, les cuisses et les côtes avec le bout de leur lance. Je me relève d'un bond.

— Aïe ! Allez-vous en ! dis-je en agitant les mains.

Les Korrigans tournent autour de moi, avec un grand sourire. Ils chantonnent

Debout ! Debout ! Reste debout !

Je les regarde tourner autour de moi. Je m’agrippe la cuisse gauche. Le sang suinte entre mes doigts. La reine des Korrigans flotte dans les airs, ses yeux verts lumineux se reflètent sur la surface des vagues.

— Guerre. Pollution. Ingratitude.

— Qu... Qu’est-ce que ça signifie ? demande Ji-Hyun.

— Encore trois informations, remarque Colin. Tout est par trois. Le Triskell, la croix Celte, l’Hermine... à chaque fois... trois branches.

— Vous n’êtes que de misérables créatures, grogne la Reine de sa voix rauque. Toujours à vous plaindre, mais personne pour agir. Vous critiquez vos aînés pour leur inaction, mais vous ne proposez aucune solution. Vous vous cachez derrière vos écrans pour dénoncer, pestiférer, maugréer. À la lumière du jour, vous redevenez des êtres dépourvus de sens.

— Les gars... appelle Lucas. Je fatigue sur ce bout de rocher...

Il chancelle.

— Cette créature nous fait la morale maintenant ?! s'emporte Ulrich. On aura tout vu !

— Piètres individus, vous continuez à vous moquer ? grommelle la Reine.

— Ne la provoque pas ! dis-je.

— Osez regarder en face vos défauts ! Osez les admettre ! Osez les surpasser !

Ji-Hyun tombe à genoux, serre ses bras contre elle.

— Qu’est-ce qu’elle veut ?

— Je vais lui demander... lance Colin. Hum, hum… Reine des Korrigans, nous avons réveillé votre colère. Que pouvons-nous faire pour nous racheter ?

— Admettez vos erreurs, répond-elle.

— Quoi ? demandé-je.

— Nous critiquons le manque de considération des adultes dans la lutte contre le climat, alors que nous polluons nous-mêmes… s'exclame Ulrich. J’ai jeté, un jour mon vieux téléphone portable dans le Bois de Boulogne… En fait... mon tel est tombé de ma poche, dans une flaque d’eau... un cycliste a roulé dessus et l’a bousillé... En colère, je n’ai pas pris la peine de le ramasser...

Ji-Hyun baisse la tête.

— Moi, j’ai laissé s’envoler des emballages de biscuits. Ils sont tombés dans la Fontaine St Michel…

— Moi, j'ai jeté mes mégots de cigarette dans le canal St Martin... explique Lucas.

— Moi, je me suis débarrassé de restes de nourriture dans la fontaine du parc du Luxembourg... ajoute Colin.

— Et toi, Maxence ? demande Ulrich.

— Un soir, après une virée entre potes... J’étais bourré et malade... j’ai vidé une bouteille de vodka dans la fontaine du Trocadéro...

Colin fronce les sourcils.

— Y a un point commun dans nos histoires... Toutes nos actions se sont passées auprès de points d’eau...

— Et alors ?

Colin panique, respire fortement, lève des yeux anxieux vers moi.

— Quoi ? Tu fais flipper là !

— Les... les Korrigans ne vivent pas seulement dans les grottes... Ils hantent aussi les sources et les fontaines...

— Merde, ça veut dire que... nous...

Colin hoche la tête

— Oui... nous avons souillé leur habitat...

La reine des Korrigans se met à hurler, les Korrigans sautent tous sur place en ricanant. La terre tremble, les roches vibrent et se soulèvent. Nous tombons à genoux, posons les mains au sol pour nous retenir.

— Nous les avons dérangés... ajoute Colin.

L’une des roches se soulève sous les pieds de Lucas. Il est projeté en arrière, tombe du haut de la falaise directement dans la mer tumultueuse. Ji-Hyun, en pleurs, se met à hurler. Ulrich est hébété. Colin ouvre de grands yeux, apeuré. Je me plaque les mains sur la tête. Lucas sombre dans la mer déchaînée. Nooon !

La reine Charlotte éclate d’un rire diabolique. Les Korrigans crissent des dents. Nous nous plaquons les mains sur les oreilles. Les Korrigans autour de Ji-Hyun jettent des déchets plastiques sur elle. Les morceaux lui coupent la peau. Elle se débat, chasse les débris comme si elle repoussait un essaim d’abeilles. De multiples coupures apparaissent sur ses bras, ses jambes et son visage. Du sang coule de ces éraflures.

— Ça suffit ! hurle Ji-Hyun. Arrêtez ça ! Vous me faites mal ! Je suis désolée ! Pitié, je suis désolée !

Les Korrigans continuent de sauter et de jeter des déchets sur Ji-Hyun. Elle hurle de douleur, crie « désolée » en coréen.

Concernant Colin, ses pieds s’enfoncent dans un amas de déchets organiques. Nous voyons des arêtes de poisson, des carcasses de poulet, des légumes moisis. Un air de dégoût se lit sur son visage.

— Ah quelle horreur !

Colin tire ses pieds pour se dégager, en vain. Les arêtes et les os pointus lui entaillent les pieds, les chevilles et les mollets. Le sang de Colin se déverse sur les détritus. Il gémit de douleur, hurle en anglais.

En voyant Ji-Hyun et Colin se contorsionner de douleur, je baisse la tête sur mes pieds. Les vagues s’échouent sur mes jambes, ensuite je lève la tête vers le haut de l’arche. Je retrousse mes manches jusqu’aux coudes et commence à grimper sur la paroi rocheuse.

— Tenez bon ! hurlé-je. J’arrive !

Je grimpe, mais soudain des Korrigans débarquent en face, collés à la paroi comme des balanes, tête tournée vers moi. Ils avancent en ricanant, glissent sur la roche sans effort, leurs yeux rouges me fixent.

— C’est pas vrai, laissez-moi passer !

Le Korrigan en face de moi rit comme une hyène déchaînée. Il lève ses mains, montre ses griffes pointues à la lueur de la lune, puis les abat sur mes avant-bras. Il enfonce ses griffes dans ma chair. Je hurle de douleur, puis regarde mes bras en sang. Ensuite, je jette un coup d'œil en bas, aperçois d'autres Korrigans m’observer.

— Je suis coincé au milieu de cette paroi...

Le Korrigan tire ses mains vers lui. Les griffes déchiquettent les chairs de mes membres. La douleur est trop intense pour résister, je lâche prise, tombe du rocher. Ma chute est amortie par l’eau de mer et la vase. Je m'agrippe les bras, tremblant.

— C’est pas vrai, c’est un cauchemar...

Le sang se faufile entre mes doigts. Ji-Hyun stoppe ses gestes, me fixe. Colin se penche en avant, se retient sur ses genoux.

— Nous sommes mal barrés...

Quant à Ulrich, il domine la scène, pieds ancrés dans une flaque d’hydrocarbure. Il reste bien droit, ne bouge pas, fait un rictus de dégoût en nous regardant. Il nous voit encore comme ses adversaires. La reine des Korrigans observe nos actions et nos émotions. J'ai encore du mal à digérer que je me suis fais avoir par Charlotte. Elle sifflotte une mélodie tout droit sortie des chants celtes.

— Oh fée de l’île de Loc’h viens à moi ! chantonne-t-elle.

La mer se calme. La fée fend la brume pour se présenter devant nous. La Reine des Korrigans fait un signe de tête à la fée, qui fait apparaître un trésor sur la plus haute roche de la pointe de Dinan. Ulrich se trouve à quelques mètres.

— La fée de Loc’h est dotée de pouvoirs merveilleux. Ce trésor contient tout ce dont vous avez besoin jusqu’au restant de vos jours. Trente d’entre vous avez atteint le niveau spécial. Vous seuls êtes parvenus à atteindre l’épreuve finale du jeu. Qui de vous quatre s’emparera du trésor ?

Ulrich est subjugué par la beauté de la fée, une femme au teint de porcelaine, aux yeux azur, à la silhouette élancée et aux cheveux roux flamboyants, vêtue d'une robe couleur or. Il s’avance à pas feutrés vers le trésor, sous le regard incrédule de Colin et de Ji-Hyun.

— Attends ! crié-je.

Ulrich stoppe net. Il m'écoute sans quitter des yeux la magnifique fée.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— C’est peut-être un piège !

Il sourit en coin.

— Tu dis ça pour t’emparer du trésor, hein ?

— Non ! Nous n’avons rien fait comme il faut jusqu’à présent ! Pourquoi ce serait différent maintenant ?

— C’est toi le plus éloigné de nous quatre.

— Je m’en fous de ça !

— Vraiment ? Tu veux nous empêcher d’approcher du trésor pour que tu puisses avoir le temps de venir nous rejoindre n’est-ce pas ?

— Que... Non ! Je veux juste aider Ji-Hyun et…

Ulrich m'observe, sourire cynique.

— T’es coincé sous cette arche. Quand la marée sera haute, tu te noieras. Tu es pris au piège.

Je regarde autour de moi, paniqué.

— Laisse tomber. Tu as perdu. Admets-le. J’ai gagné la partie.

— Il a peut-être raison... tente Colin à l'adresse d'Ulrich. Réfléchis...

— Vous êtes juste jaloux !

— Ulrich, non ! Tu es envoûté par la fée !

— J’ai gagné, s'esclaffe Ulrich. Ah ah !

Le trésor brille de mille feux. Les pierreries éblouissent Ulrich. Il est attiré comme un aimant vers le coffre. La fée le guide en faisant des gestes de la main et chantonne avec une douce voix mélancolique. Ulrich s’approche du trésor sous le regard de Colin, Ji-Hyun et moi. Au moment où Ulrich touche le coffre, celui-ci se transforme en boue collante. Sa main se retrouve engluée dans une masse noire visqueuse.

— Mais ?! Qu’est-ce que... ?! Qu’est-ce que ça veut dire ?!

La fée dévoile sa véritable apparence. Une sorcière au regard belliqueux, au nez crochu rehaussé d'une verrue. Ulrich se met à hurler de peur. La sorcière le transforme en une hideuse grenouille verte, puis avec sa puissante magie, elle ouvre un portail menant à son repère. Elle emporte avec elle la grenouille Ulrich vers l’île de Loc’h dans un étang saumâtre aux bords marécageux situé au milieu d’une ferme. Ensuite, le portail se referme.

Nous sommes bouche bée, tremblons comme des feuilles.

— Créatures abjectes, vénales et cupides ! s'exclame la Reine. Vous avez encore échoué ! Vous méritez votre châtiment !

Des algues vertes visqueuses entourent mes jambes. J'essaye de me libérer en bougeant à droite à gauche.

— Je suis coincé ! dis-je. Impossible de bouger les pieds !

À chaque tentative, les algues resserrent leur étreinte sur mes jambes. Ji-Hyun scrute l’horizon.

— Maxence ! Tu dois dégager vite d´ici ! D'énormes vagues foncent sur toi !

Je tourne la tête brusquement vers l’endroit pointé par Ji-Hyun.

— Oh, merde, ça se complique !

Je gigote, essaye de me débarrasser de ces algues. Trop tard, une vague vient me frapper de plein fouet. La mer m'arrive désormais au niveau du thorax. Je tousse, recrache de l’eau. Mes pieds sont toujours maintenus par les algues vertes. Je bats des bras dans l’eau. Du sang s'échappe et se déverse. Je regarde Ji-Hyun. Elle se plaque les mains devant la bouche.

— Oh non, non... c’est horrible.

Elle se met à pleurer, puis un Korrigan lui envoie un objet long et pointu dans la poitrine. L’objet la transperce. Du sang gicle.

— Nooon ! À quoi vous jouez bon sang ? Arrêtez ce carnage !

— Tu oses parler de carnage, alors que tu as massacré nos semblables ? intervient Charlotte.

— Mais c’est...

— Un jeu, oui. Un jeu.

La Reine rit aux éclats. Tandis que le corps en sang de Ji-Hyun tombe dans l’eau, puis sombre dans les profondeurs de l’océan. Des larmes de peur coulent sur mes joues. Colin s’enfonce dans le sol. C’est trop tard. Il est enseveli, disparait sous la terre et les roches. Je panique, sanglote.

— Pourquoi ? Pourquoi j’ai joué à ce jeu, Houssen et les autres sont...

L’eau atteint ma bouche, je me débats pour essayer de respirer. Je bois la tasse plusieurs fois, puis la mer recouvre entièrement ma tête. J'entends les rires stridents et sinistres des Korrigans et de la Reine, et enfin... plus rien.

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