18 - Dénouement

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Je n'entends plus un bruit. J'ouvre les yeux, les nuages défilent lentement dans le ciel, cachent les timides rayons du soleil. Je me tiens debout au milieu du trottoir, face à une maison en briques rouges mitoyenne des deux côtés. Je fronce les sourcils, tourne la tête à droite, avance dans cette direction jusqu'au bout de la rue, regarde le panneau : rue Lazare Carnot. Je suis revenu à Issy-Les-Moulineaux ? Je me passe les mains dans les cheveux, nerveux.

— Je suis rentré ? Mais... Quand ? Comment ?

Je me palpe ensuite le corps, je ne ressens pas de douleurs. Je relève mon pantalon jusqu'aux genoux, inspecte mes jambes, intactes, puis regarde mes bras, rien, aucune trace de blessures. Incroyable ! Ai-je rêvé ?

Des passants m'observent du coin de l’œil. Je file à la maison. En entrant, je me dirige vers le salon à la recherche d'un téléphone portable. Ma mère est assise sur le canapé. Je m'approche d'elle, me penche. Elle joue à Candy Crush.

— Maman ?

Elle ne répond pas, je passe une main devant son visage. Rien, pas de réaction. Je soupire, me dirige dans la cuisine, lève le regard sur l'horloge : 15:08. Je plaque les mains sur mes hanches, ça ne m'avance pas. Je me passe une main dans les cheveux, balaye la pièce à la recherche d'une tablette ou d'un smartphone. Je ne trouve rien.

Je sors et entends des bruits de pas et des petits rires à l'étage. Je grimpe l'escalier, une silhouette traverse d'une chambre à une autre. Je me frotte les yeux, avance doucement. Les rires s'intensifient, semblent se moquer de moi. J'entends des pas derrière moi, me retourne brusquement, juste le temps de revoir la silhouette passer. Les rires résonnent en écho contre les murs. Le couloir semble rétrécir, les murs taupe se rapprocher, mon rythme cardiaque augmente, j'accélère les foulées, puis cours. Je n'arrive pas à atteindre le bout, le couloir s'étend à chaque fois que j'avance. Je m'arrête, me prends la tête entre les mains, puis la silhouette repasse et se fige à dix mètres de moi. J'écarquille les yeux, c'est Anaïs dans sa robe bleue et son manteau blanc. Elle fredonne le refrain de la Reine des Neiges, ses cheveux blonds se dressent sur sa tête et dansent comme une flamme. Son sourire s'étire, ses dents s'allongent, deviennent pointues, ses yeux scintillent d'une lumière rouge, sa peau s'effrite. Non ! Je ferme les yeux, me plaque les mains sur les oreilles, et hurle.

Je sens des mains se poser sur mes épaules, je sursaute. J'ouvre de grands yeux, mon père est en face de moi.

— Papa ?

— Maxence ? Tu vas bien ? Tu es en nage ! Tu as encore fait un de tes cauchemars ?

— Quoi ? dis-je, d'un air confus.

— Tu viens de hurler dans le couloir, explique mon père.

L'inquiétude se lit sur son visage.

— Quel jour sommes-nous ?

— Le 3 janvier, pourqu..

— Quelle année ? coupé-je d'une voix nouée.

— Comment ? Je ne te suis pas...

— Le 3 janvier de quelle année ?! m'emporté-je.

— 2026... répond mon père, d'un air sceptique.

Je respire comme un athlète qui vient de courir le marathon. Je n'arrive pas à me calmer.

— Où est Anaïs ?

Mon père lève un sourcil. Ma mère nous rejoint. Ils se jettent un coup d'œil d'un regard interrogateur.

— Anaïs ! répété-je, en colère. Elle était dans le couloir à l'instant !

Ma mère fronce les sourcils, penche la tête de côté, le regard ahuri. Mon père retire ses mains de mes épaules, recule d'un pas et me dévisage comme si j'étais un extraterrestre.

— Pardon, mais... qui est Anaïs ?

— Vous me faites marcher ? dis-je en ricanant nerveusement.

— Non, nous... nous ne savons pas de qui tu parles... bredouille ma mère.

— Anaïs, bordel ! Ma petite sœur Anaïs ! Votre fille !

Ma mère se plaque les mains sur la bouche, ses yeux brillent, au bord des larmes.

— Ta... sœur, Charlotte, est morte il y a deux ans...

Je déglutis avec difficulté, manque de m'étrangler en avalant ma salive de travers.

— Qu... quoi ? balbutié-je.

Mon père repositionne ses lunettes sur son nez, puis pose une main chaleureuse sur mon épaule. Il me prend le bras et me guide vers le salon. Je jette des coups d'œil à ma mère, elle continue de sangloter. Je suis totalement perdu. Qu'est-ce qui se passe bon sang ?

— Maxence...

Je n'écoute pas mon père, fonce vers le calendrier posé sur le buffet. Anaïs barrait toujours les dates au stylo à bille vert. Là, elles sont rayées en rouge. J'écarquille les yeux en voyant celle d'aujourd'hui.

Je lâche ce bout de carton, il tombe à mes pieds. Je me prends la tête entre les mains, j'y comprends rien. Mon père m'attrape par les épaules. Je me laisse mener jusqu'au canapé, sans broncher. Nous nous asseyons, j'écoute ses explications.

— Maxence... Le 3 janvier 2024, toi et Charlotte jouiez sur les rochers de la pointe de Dinan... Le lendemain de notre emménagement...

— Trois... répété-je machinalement. Le triskèle... Que s'est-il passé ?

— La mer était agitée ce jour-là... Nous vous avons perdu de vue... Vous vous êtes aventurés trop loin. Charlotte a glissé et a été emportée par les vagues... au rocher en forme d'arc, appellé le "Château de Dinan".

— Non... C'est impossible...

— Tu as été ébranlé, tu ne t'es jamais remis de sa mort. Tu t'es toujours senti responsable. Mais c'était un accident... sanglote mon père.

— Mais... je... et où est sa... tombe ?

— Son corps a éte retrouvé à l'usine d'eau potable de Poraon.

— Quand ?

— Le 20 octobre 2024.

Comme un coup reçu en pleine face, je tangue, abasourdi par le choc de cette date. Le 12 avril, c'est le jour du lancement du nouveau jeu, DEN WAR, le jour de la mort d'Houssen...

— Ça correspond à... aux Korrigans... aux...

— Maxence ! s'écrie mon père.

Il m'attrape par les épaules, me secoue vigoureusement d'avant en arrière, puis me prend le visage et me regarde droit dans les yeux.

— Maxence... Arrête avec cette histoire. C'est terminé. D'accord ? Ta soeur est morte. Ce n'est pas la Reine des Korrigans, ni la fée de je ne sais quoi. Elle est morte, à cause d'un accident. Tu saisis ?

— Ils l'ont ramenée... dis-je d'une voix éteinte, presque imperceptible. Elle m'appellait, j'en suis sûr. C'est grâce à ses appels que je l'ai retrouvée à l'usine !

— Maxence, oui, c'est toi qui a retrouvé son corps, coincé au fond du bassin... Nous ne savons toujours pas comment tu t'y es pris, ni comment tu l'as su... mais toujours est-il que c'est toi qui as remonté son corps à la surface.

— Mais... Et l'enlèvement d'Anaïs ? m'écrié-je. Les disparitions ?!

Mes parents se regardent, visiblement ennuyés. Ils ne savent pas comment réagir. Ça m'agace, j'arrache des mains de mon père son téléphone portable, navigue sur Google et le fil d'actualités. Je cherche, défile les titres, remonte jusqu'en 2024, mais je ne trouve rien. Rien qui parle de disparitions ou de morts. Je serre le smartphone entre mes mains, puis le balance contre le mur du salon. L'objet s'ouvre en deux, percute le vase sur la commode, puis tombe sur le carrelage et se brise. Ma mère éclate en sanglots. Mon père soupire, se frotte les yeux, exténué.

Je crispe la mâchoire, file dans l'entrée, chope mon sweat zippé sur le portemanteau, constate que mon téléphone est dans ma poche, mon Pass Navigo, puis pique de l'argent dans le portefeuille de ma mère. Elle laisse son sac à main au sol, ce n'est pas malin. Je sors en claquant la porte. Je marche jusqu’à la station de métro ligne 12 MAIRIE D’ISSY.

J'allume mon portable, appelle Houssen. Il décroche ! J'en tremble.

— Hou...Houssen ?

— Yep.

— C'est bien toi ?

— Oh frère. Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Tu te souviens du jeu en ligne, War...

— Oh je t'arrête tout de suite ! coupe Houssen. Hors de question de parler de ça ! Je suis enfin sorti de pyschiatrie, je ne compte pas y retourner.

— Okay, ´scuse. Heu... Et Anaïs... ça te dit quelque chose ?

— Ouais j'men souviens. C'est le nom que tu avais donné à la voix féminine du jeu.

— Pourquoi ?

— J'en sais rien ! Bon, j'te laisse, je dois bosser sur mes partiels. S'lut.

Je m'arrête en pleine rue, devant la bouche d'entrée de la station de métro. Il est en vie... Je frotte mes yeux avec la paume de ma main. Je souffle, soulagé, puis défile les noms dans mes contacts. Je lis "Ulrich", "Colin", "Lucas" et "Ji-Hyun"... Je l'appelle. Elle ne souhaite pas parler au téléphone, mais me donne rendez-vous à la fontaine Saint-Michel.

Je dévale les escaliers vers le souterrain, passe le portique, arpente les couloirs, puis monte dans le métro à quai. Je m'installe sur un strapontin libre. La sonnerie de fermeture des portes retentit, puis il démarre. En attendant, je cherche la signification du prénom Anaïs sur internet. Une fille gracieuse, ambitieuse et déterminée. Rien de bien probant.

J'avance dans les résultats de recherche et je découvre le parfum « Anaïs Anaïs » de Cacharel. Comme un éclair de lucidité, cette odeur aux mélanges de Jacinthe, de Bergamote et de cerise me revient en mémoire. Je ferme les yeux, la sens. Charlotte adorait ce parfum. Son odeur si douce ne m'a jamais quitté depuis le jour de... sa mort. Elle m'a envoûtée pour m'attirer vers le jeu, pour me guider à l'usine, pour la sauver... Sans ça, elle n'aurait jamais pu reposer. Mes larmes se mettent à couler. J'ouvre les yeux, embués. Je regarde par la fenêtre et distingue les lettres de la station : MONTPARNASSE-BIENVENUE. Je me redresse, c'est ici que je dois descendre. La sonnerie retentit. Je me lève, me précipite dehors sur le quai. Je passe de justesse les portes du métro.

Je range mon téléphone dans la poche de mon sweat, essuie mes yeux avec les revers de ma manche, puis marche dans les couloirs en direction de la ligne de métro 4 vers PORTE DE CLIGNANCOURT. Je jette un coup d'œil au temps d’attente affiché : 1 MIN 16. Je suis nerveux, ne tiens pas en place. Le métro arrive, je monte. Il est bien rempli, je reste debout, attrape la barre centrale. J'observe les noms des arrêts défiler, écoute les notes de musique de la guitare grésillante du chanteur. Je soupire, voilà la station SAINT-MICHEL. Je descends. Au passage, je donne quelques pièces au musicien.

Je sors sur la place Saint-Michel. Je me faufile dans la foule de touristes pour aller m’adosser contre l'une des barrières noires, dos au boulevard Saint Michel et face à la fontaine. Je croise les bras, guette l'arrivée de Ji-Hyun. Je regarde partout autour de moi, nerveux et inquiet.

Soudain, une femme, ridée, petite et trapue avec un long manteau kaki en lambeaux et des mitaines noires aux mains, cheveux roux longs hirsutes, s’approche de moi. Elle m'offre un sourire édenté. Je sursaute.

— T’aurais une p’tite pièce à me donner ?

— Euh... Attendez...

Je fouille dans les poches de mon sweat, sors le portemonnaie de ma mère, constate qu'elle n'a pas beaucoup de monnaie, même pas un billet. Je soupire, prends la pièce de deux euros et lui donne.

— Je n’ai que ça...

— Merci !

La femme s’éloigne en sautillant vers la fontaine. Je la regarde. Elle ricane, puis jette la pièce dans l’eau.

— Hey ! crié-je.

Je me dirige vers elle.

— Pourquoi vous avez fait ça ?

— Pour que tu retrouves ta copine. C’est ta récompense. Hi hi.

— Par... pardon ? Comment vous...

— « Live Ispisial echu », dit-elle avec un large sourire.

— Quoi ?

Les yeux de la femme se mettent à briller d’un éclat vert émeraude. Je recule d’un pas, me frotte les yeux. En les ouvrant, elle n’est plus là. Je regarde partout, affolé, puis me calme.

— Elle a disparu ? Que voulait-elle dire ? ...

— Niveau spécial terminé.

Je me tourne brusquement en entendant la voix de Ji-Hyun. Elle se tient devant moi, mains derrière son dos. Elle porte un jean, une parka noire à capuche et un bonnet blanc.

— Ji-Hyun ! Je suis content de te voir !

— Moi aussi... Tu peux m’appeler Jin tu sais.

— D’accord.

— Je me rappelle de tout, dit-elle avec un sourire timide.

— Alors, c'est vrai ? Je ne suis pas fou ?

— Non. Tu viens de recroiser la reine d'ailleurs.

— La SDF, c’était... elle ? Charlotte ?

— Oui, ta sœur, que tu surnommais Anaïs, comme son parfum.

— Comment sais-tu ça ?

— Elle m'a tout expliqué. Tu l'as sauvée, Maxence. Maintenant, elle repose en paix, avec le roi des Korrigans. Nous avons nettoyé les eaux, elle peut vivre dans les fontaines maintenant.

— C'est... irrationnel.

— La vie l'est-elle vraiment ?

Je souris timidement. Je suis content de l'avoir rencontrée.

— Ta sœur nous a rapprochés.

— Pardon ?

— C’est notre récompense pour avoir résolu le défi.

— Et pour les autres ?

— Je pense qu’ils ont eu une récompense eux aussi...

— Nous les croiserons un jour ?

— Peut-être, vu que nos pères travaillent ensemble. Mais je ne tiens pas à revoir Ulrich...

Je ricane, puis Jin s’agrippe à mon bras.

— Nous devons garder cette histoire pour nous. Les adultes ne comprennent pas.

— C'est clair qu'on doit garder tout ça secret. Mais j'y pense... Et tous les autres joueurs ?

— Les 25 ?

— Sans doute des PNJ.

— Je vois... Oublierons-nous cette aventure quand nous serons adultes ?

— C'est probable.

Nous regardons en silence et en souriant discrètement.

Soudain, nous entendons un rire de hyène diabolique en provenance de la fontaine. Nos yeux s'écarquillent, nous la fixons, puis apercevons deux points rouges lumineux sous la cascade du rocher où se trouve la statue de Saint Michel terrassant le démon dans la niche centrale. Nous nous jetons un œil interrogateur, puis fuyons en direction de la Cathédrale Notre-Dame.

Nous courons au loin, main dans la main, avec en fond sonore le chant des Korrigans.


*** Fin ***

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