Tête de mule

de Image de profil de J. AtarashiJ. Atarashi

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Bon, comme dirait l'autre je vais me la jouer feignasse ... mais pas parce que j'ai la flemme !
"Fille", c'est l'héroïne de mon roman "La Chair et l'Acier. En cette journée internationale des filles, je me devais de lui rendre hommage en publiant un extrait du dit roman :-)

— Fille, il suffit pour aujourd’hui. La nuit va tomber, laisse donc ce pauvre arbre.

Sans interrompre pour autant ses efforts, la jeune fille réclame encore quelques instants. Dès qu’il fera nuit noire, elle rentrera, lui assure-t-elle.

Emmitouflé dans son épais manteau, Tabor s’assied sur son banc. Il fait froid, la nuit promet d’être glaciale. Fille n’est vêtue que d’une tunique mais sous l’effort, son corps dégouline de sueur. Elle frappe l’arbre avec son épée de bois sans jamais faiblir, enchaînant les passes et les bottes. Elle en a usé plus d’une durant ces deux dernières révolutions. Autour de la petite ferme, une vingtaine d’arbres portent les cicatrices de ses multiples assauts.

En l’espace d’à peine vingt lunes, l'enfant a bien grandi. C’est maintenant une jeune adolescente farouche et âpre à la tâche. Au plus grand regret de Tabor, elle néglige l’étude et quand elle n’est pas occupée aux tâches du petit domaine, passe le plus clair de son temps à s’entraîner. C’est devenu une redoutable archère et si sa force physique ne lui permet pas de rivaliser en portée avec les meilleurs, elle compense grandement en précision. En outre, elle a mis au point un arc bien étrange, à deux courbures inversées. Elle prétend que lorsqu’elle pourra pleinement l’exploiter, elle ne craindra plus personne. Tabor n’en a jamais vu de pareil, il a par ailleurs lui-même du mal à le bander. Fille est maintenant presqu’une femme. Même si sa petite taille et son gabarit modéré pourraient laisser planer quelque doute, ses formes ont tôt fait de le lever. Il observe sa musculature fine et déliée jouer sous la peau bronzée et lui intime une dernière fois l’ordre de rentrer, ce à quoi elle obtempère. Le repas du soir est sobre, du pain et un riche bouillon qui mijote depuis la fin de l’après-midi. Le fumet les ravit tous deux et ils font vite honneur au chaud breuvage.

— Père … hier au village, j’ai vu Rodolf, le forgeron.

— Fille, tu ne vas pas revenir avec ça !

Elle fixe son bol vide.

— Si vous refusez de m’enseigner, je chercherai moi-même un autre Maître d’armes.

Il sourit, amer et l’entraîne au dehors.

— Prends ton épée de bois !

Le contraste avec la douce chaleur de l’âtre, à l’intérieur, est saisissant. La nuit est tombée, la température glaciale lui coupe un instant le souffle. Il tire la jeune fille par le bras, sans aucun ménagement.

— Mets-toi en garde, je reviens. Assure ta position, tes jambes doivent être fermes. Puis ne bouge plus d’un pouce.

Il la prend maintenant par les épaules, jauge sa position, évalue sa stabilité.

— Es-tu prête ? Je veux que tu fasses bloc avec ton épée.

Elle opine de la tête d’un mouvement saccadé, elle a si froid qu’elle n’ose ouvrir la bouche pour parler. Face à elle, Tabor pose une main au milieu de la lame factice et d’un regard, lui fait savoir que l’attaque est imminente. Il referme sa poigne d’acier et en l’espace d’un clin d’oeil, exerce vers lui une traction qu’il inverse en un éclair en une formidable poussée. Fille est projetée en arrière et tombe à la renverse dans la neige.

— Tu vois, tu n’es pas prête, maugrée-t-il. Allez viens, on rentre.

Mais lorsqu’après avoir ouvert la porte de la chaumière, il se retourne, elle est déjà debout. Et en garde. Il soupire. Attrape la « lame ». Exécute la manoeuvre inverse en poussant d’abord puis en l’attirant à lui. Cette fois, Fille s’étale de tout son long à plat ventre dans la neige. Quand elle se relève, toute enfarinée de blancs flocons, il éclate de rire et revient une fois encore vers la maison. La voix dans son dos tremble, il ne sait si c’est de froid ou de colère.

— Recommence, chevrote-t-elle.

Et il recommence. L’infime tension qu’il perçoit dans la fausse lame lui indique qu’elle s’attend à la première manoeuvre. Simple alternance. Aussi réitère-t-il la deuxième. Une fois de plus elle mange la neige. Mais elle se relève et le défie du regard. Ses yeux brillent d'une détermination farouche quand elle lance :

— Encore.

— Fille, tu vas prendre froid. Tu as de la neige jusque dans les cheveux.

— Encore.

Cette fois, c’est vers l’arrière qu’elle est projetée. Elle n’a aucune chance face à lui qui doit peser deux fois son poids. Sa tête heurte lourdement le sol, le choc n’est que partiellement amorti par la poudre blanche. Elle reste un instant groggy. Se relève. Se remet en garde. Il soupire.

— J’en ai assez. Et toi tu sais maintenant que tu n’es pas prête.

Il rentre, ôte son manteau et vient se réchauffer à l’âtre. Stupide gamine fulmine-t-il. Elle va bien finir par rentrer.

***

Il tourne en rond comme un lion en cage. Il faut qu’elle rentre d’elle même. Mais si … ? Elle est bien capable de rester là jusqu’à s’effondrer, cette gamine est têtue comme une mule. N’y tenant plus, il sort à nouveau. Fille est toujours là, en garde, grelottante. Elle est couverte de neige et de glace, ses lèvres ont déjà bleui. Quand il lui prend doucement l’épée des mains, elle est incapable de la retenir et il doit soutenir la jeune fille pour la faire rentrer. Il l’attire vers l’âtre, lui passe une couverture sur les épaules et la frictionne tant qu’il peut. Ses doigts et ses pieds sont déjà bleus eux aussi, il était temps.

— On commence demain. Tu prendras ta première leçon avant le petit déjeuner.

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Table des matières

En réponse au défi

Girl Power !

Lancé par J. Atarashi

Ce mardi 11 octobre, c'est la journée internationale de la fille !

Cette journée spéciale vise à attirer l'attention sur les défis des filles et jeunes filles qui à travers le monde, luttent tous les jours pour avoir accès à l'éducation ou pour voir leurs droits respectés. Mais de l'adversité naissent l'ingéniosité, la créativité, la résilience et la ténacité, et c'est ça que j'aimerais mettre en avant.

Je vous propose donc de mettre une ou des filles à l'honneur dans un récit, une nouvelle, un texte ou un poème. N'importe quelle fille : petites filles, grandes filles, jeunes filles, adolescentes (il y a 600 millions d'adolecentes de par le monde !) ou tout simplement "une fille", une copine, une héroïne, voire pourquoi pas votre fille !

Ceux qui me connaissent savent à quel point ça me tient à coeur, puisque l'héroïne de mon roman "La Chair et l'Acier" porte pour seul et unique prénom ... "Fille".

Tous les genres sont autorisés, poésie, humour, feel good, action, horreur, essai, délire ... tout !

Il va sans dire que je suis impatiente de lire le fruit de votre imagination, je me ferai un plaisir de distribuer les prix :-)


Commentaires & Discussions

Tête de muleChapitre14 messages | 1 an

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