Chapitre 2

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 Je suivais la même routine qu'Ezeroth depuis maintenant une semaine. Je ne m’en plaignais pas, je savais que j’étais privilégié -Pas tout le monde ne pouvait se permettre d'avoir trois repas par jours et un lieu chaud où dormir-. Enfin, si on peut appeler privilège de vivre oisivement en sachant sa fin proche pour un acte aussi inutile que barbare

 J'avais commencé à prendre les responsabilités échues au servant d'un dieu : servir à table, l'accompagner et entretenir sa chambre. Rien de bien compliqué, ni même d'éprouvant, mais d'assez humiliant. Je ne me rebellais pas, ç'aurait été un acte vain et dangereux. Toutefois, l'idée de m'échapper ne me quittait pas. Je cherchais souvent le moyen de sortir de ce maudit palais. Mais je ne faisais rien, terrifié par les conséquences. Devais-je simplement accepter que ma vie allait se terminer bientôt ? Non ! Mais que pouvais-je faire d'autre ? M'échapper et finir par mourir ? Pour les gardes, je savais que j'avais une chance de les leurrer, trouver un moyen de les contourner. Mais cette marque sur mon cou... Comment m'en débarrasser ?

 Pour autant, je ne rendais pas les armes et continuais à réfléchir à un plan. Mais l'idée de me mutiler la nuque pour la retirer était la seule que j'avais de plausible. Et il était hors de question que je le fasse-de plus, j'ignorais si cela marcherait-. Il fallait que je trouve quelqu'un pour m'aider à comprendre son fonctionnement et possiblement trouver le moyen de l’enlever.

 Prisonnier, je pleurais souvent seul. Je tentais de me rappeler le réconfort des bras de ma mère, sa voix douce comme le miel, ses boucles dorées qui sentaient la vanille.

 Ainsi, des flots de souvenirs défilaient en moi.

 Les matins où mon père me conduisait près des rives fertiles bordant notre village afin de pêcher. Les zénith où ma mère attendait notre retour avec le sourire que je lui connaissais bien. Les soirs où je me couchais près d’eux et que je ressentais leur chaleur.

 La nuit qui m'arracha à eux.

 Entre deux sanglots, je les appelais. J'aurais tant aimé qu’ils m’entendent et viennent me dérober à cet endroit sordide.

 Mais ils n’y pouvaient rien, ils n’étaient plus là.

 La Corriana annuelle approchait à grand pas. Des jeux divins où chaque territoire s’affrontaient au travers de champions -eux-même qualifiés lors d'affrontement internes-. Les affrontements préliminaires dans Kordan allaient commencer. Celui ou celle qui en sortirait vivant et apte à combattre aurait la chance de représenter Ezeroth lors des jeux de la Corriana. Cet événement était capital. Une victoire signifiait l'expansion du territoire aux dépens des autres. Gagner était donc crucial pour devenir plus puissant et influent.

 Une fête fut organisée dans le manoir d’un des contributeurs potentiels de notre territoire. J’étais heureux à l’idée de pouvoir quitter le palais, ne serait-ce que le temps d'une soirée. Mais une fois arrivé, je déchantais. La salle était noire de monde. Tous des riches haut placés cherchant à impressionner Ezeroth et ses contributeurs. Rapidement, j'étouffais au milieu de cette foule.

 Ayant envie d'une bouffée d'air frais, je m'aventurais dehors pour contempler la vue depuis les marches de l'entrée. Ezeroth m’​​​​​​​avait demandé à le laisser seul. Sous la lumière pâle de la lune, les jardins semblaient immergés dans des eaux tranquilles, rappelant les nuits passées avec mon père au bord du lac qui bordait notre village. Nos visites étaient rares, car nous craignions les dangers qui nous guettaient, mais à chaque fois, nous avions l'impression de pénétrer dans un royaume enchanté. Côte à côte, sur l'herbe humide, nous contemplions en silence le scintillement des étoiles et le ciel se parant d'un doux voile violet.

 Un son étrange me sortit de ma rêverie. Quelqu'un tentait d'étouffer des sanglots.

 Hésitant entre partir ou rester, j’étais resté immobile. Mais la curiosité l'emporta. J'avançais sur la pointe des pieds, attiré par ces douloureux sons. Là, entre deux sculptures qui ornaient l'entrée des jardins, Ezeroth était assis, recroquevillé en position fœtale, des larmes coulant sur ses joues ambrées. Je demeurais dans la pénombre, accoudé à l'une des poutres du perron, observant silencieusement. Incertain de ce que je devais faire, je le contemplais sans bouger. Ses cheveux lisses flottaient dans le vent, balayant son visage. Dans la nuit, ses yeux humides brillaient intensément alors qu'il fixait un point à l'horizon.

 Pourquoi pleurait-il ? Il n'avait pas de quoi ce plaindre ! Il était un prince et, pour beaucoup, un demi-dieu.

 Dans un moment d’inattention, je trébuchai, évitant de peu de chuter dans les escaliers. Mes mains heurtèrent violemment le sol.

 Je me faufilai aussitôt derrière la poutre, mon cœur battant la chamade, incertain d'avoir été repéré. Je n'eus qu'un bref instant pour le voir se retourner. Je repris mon souffle et regagnai l'immense manoir, évitant soigneusement tout regard vers Ezeroth.

 Le reste de la soirée fut un incessant brouhaha de rire, de prises de parole et de discussions incessantes. J'étais resté à l'écart, assis dans un couloir, prêt de la salle de réception, à regarder le ciel à travers une vitre. Nos visites près du lac me paraissaient si lointaines. Nous furent retourné au palais lorsque la lune s'était complètement élevée dans le ciel.

 Dans la fraîcheur du matin, je restai figé sur ma paillasse, mon petit déjeuner intact devant moi. Je repensais à ma chute, à la manière ridicule dont je m’étais roulé sur le sol pour échapper à sa vue. D’ailleurs, la peur qu’il m’ait remarqué ne m’avais pas quittée, elle m'avait travaillé toute la nuit. Puis, je me remémorais son visage, les larmes ruisselant sur ses joues rosées, et mon cœur se serra. De l'empathie ? Je chassai cette pensée et décidai finalement de manger. Ensuite, il faudrait me rendre à la salle réservée aux cours. Mais on me prévint qu’Ezeroth restait introuvable et qu’en conséquence le cours était annulé.

 Surpris mais aussi rassuré de ne pas être obligé de le voir à cet instant, je partis dans les jardins pour me poser près d’un chêne. Je ne me rendais plus sous le sol pleureur, car j'avais fini par comprendre qu'elle ne reviendrait pas, et sa présence me rappeler douloureusement Jeanice..

 J'aimais observer la nature. Même si certains insectes me faisaient peur, je trouvais toute cette vie passionnante. L'observer m'apaisait. Lentement, je fermais les yeux. Je sombrais dans un cauchemar que je ne connaissais que trop bien pour l'avoir déjà vécu.

 J'étais dans les petits escaliers en bois, assis sur les plus hautes marches, regardant l'attroupement qui s'était formé dans notre entrée. Ma mère restait en retrait, tandis que mon père se tenait aux côtés du chef de notre village, un vieillard boîtant qui se tenait sur une canne. Face à eux, plusieurs hommes.

— Ils ont dû croiser des démons sur le chemin du retour et prendre du retard, dit l'un.

— Aucun signal de détresse n'a été envoyé, fit remarquer un autre.

— Peut-être se sont-ils perdus en fuyant. Ou leur poudre n'a pas fonctionné, pour une raison quelconque, ajouta mon père.

— Ils auraient déjà dû revenir il y a longtemps, Alex. Ils ne reviendront pas, je le crains.

 Je repensai aux signaux qui zébraient parfois le ciel, des tubes remplis d'une poudre violette dont une mèche dépassait. Quand on la tirait, la friction enflammait la poudre et propulsait l'engin dans les airs, laissant une trainée de poudre. Même en plein jour, de tels signaux étaient impossibles à manquer.

 Quand ma mère me vit, toute l'angoisse sembla se dissiper de son visage. Elle me prit dans ses bras. C'était chaud et réconfortant. Puis soudain, son étreinte devint brûlante et douloureuse. Elle me serrait trop fort. Je me débattais pour m'éloigner d'elle. Sa peau devint charbonneuse, ses cheveux s'enflammèrent alors que la maison partait en fumée. Puis elle se mit à hurler de douleur.

 Je me réveillais en sursaut, échappant de nouveau à ce jour funeste -qui, je le savais, n'en avait pas finit de me hanter-.

 J'entendis des bruits de pas feutrés qui se rapprochaient. Instinctivement, je me tendis, ma respiration se bloquant dans ma poitrine. Je tournais la tête pour observer Ezeroth qui s'approchait, ses yeux rivés sur le sol. Son visage était calme malgré les cernes qui le soulignaient.

 Ne sachant que faire, je me mis debout maladroitement. Ses yeux se posèrent sur moi, m'examinant de haut en bas. Un silence gênant s'installa puis il soupira avant de prendre place sous le chêne, déposant un lourd volume à ses côtés.

 — Viens ici, lança-t-il sur un ton las.

 Sans attendre, j'allais m'asseoir face à lui, gardant une distance convenable. Nous nous observâmes en silence pendant un instant qui me parut durer une éternité.

 — Qu'as-tu vu hier soir ? demanda-t-il finalement.

 Mon cœur s'accéléra. Il savait. Comment avais-je pu penser qu'il ne m'avait pas remarqué ? Je tentais de trouver une excuse valable à lui fournir mais aucune ne semblait plausible.

 — Rien, mentis-je faiblement.

 Il rit jaune en secouant la tête.

 — Tu es un piètre menteur, grinça-t-il entre ses dents. Je sais que tu étais là, dis-moi ce que tu as vu.

 — Je... Je vous ai vu pleurer, avouai-je dans un murmure.

 Il se tendit, ses traits se durcissant. Craignant sa réaction, je gardai le silence, triturant nerveusement mes doigts.

 — Alors ? Qu'attends-tu pour t'en servir contre moi ? Pour m'humilier comme tous les autres ? s'énerva-t-il.

 Surpris, je levais les yeux vers lui.

 — Je ne ferais jamais une telle chose, répondis-je sincèrement.

 Son regard perçant ne me quittait pas, cherchant sûrement une once de mensonge dans mes propos.

 — Pourquoi ?

 J'étais incapable de trouver une réponse claire. La vérité est que je ne voulais blesser ou humilier personne, pas même le roi, en dépit de ce qu'il avait fait. Ce n'est pas que je lui avais pardonné ses actions. C'est juste que la colère et la haine étaient des émotions que j'avais du mal à ressentir durant mon enfance.

 — Parce que je ne suis pas comme ça, finis-je par dire.

 Il ne dit rien, me regardant juste. Puis son expression s'adoucit et il ouvrit le volume qu'il avait apporté.

 — Tiens, dit-il en me le tendant. Lis-le, c'est un livre qui parle de nos divinités et de leurs histoires. Tu pourra apprendre à mieux les connaître.

 Surpris, je pris le livre, l'ouvrant pour observer son contenu. Je plissais les yeux tentant d'en décrypter les lignes, en vain.

 — Merci mais... Je ne sais pas lire, avouai-je embarrassé.

 Il haussa un sourcil et soupira. Puis il reprit le livre et le feuilleta un instant avant de le rouvrir à une page au hasard.

 — Dans ce cas, je vais te faire la lecture. Assieds-toi plus près, je n'ai pas l'intention de hurler, ordonna-t-il.

 Je m'exécutai. Il commença à lire d'une voix claire une histoire concernant deux divinités, Teramos et Malkard. Bercé par sa voix, j'écoutais attentivement les vers qui se succédaient, imaginant les scènes et personnages évoqués. Au fil de sa lecture, je sentis ma méfiance envers lui s'estomper peu à peu.

 Cette matinée à ses côtés, sous l'ombre protectrice du chêne, compta parmi les moments les plus paisibles que j'avais vécu depuis mon arrivée à Kordan.

 Une fois terminé, il referma le livre et se releva. Avant de partir il me prévint qu'il enverrait un certain Art à ma rencontre, il était son conseiller et bras droit.

 — Attendez. Pourquoi vous avez fait ça ?

 — J'ai peut-être été trop dur avec toi ces derniers temps, avoua-t-il difficilement. J'ai mal dirigé ma colère, tu n'y es pour rien. C'est une manière de m'excuser.

 Sur ces paroles, il partit.

 Peu avant le coucher du soleil, Art vint me voir. C'était un homme de grande taille à la peau caramel, habillé de vêtements filés d'or. Celui-ci se pencha vers moi pour me saluer. Les bijoux qu'il portait teintèrent dans son mouvement.

 Art s'était sentit obligé de s'excuser ayant eu des empêchements. Il s’était rendu dans les colonies du roi afin d’y donner des consignes, à cause d’un nouveau mouvement de rébellion qui s'était propagé parmi leurs esclaves.

 — Nous en avons débattu avec le souverain et Ezeroth, confia Art. Nous te dévoilerons lors d'une cérémonie dans quatre jours, juste avant le débuts des combats préliminaires. J'ai déjà donné l'ordre de répandre la nouvelle au peuple. Maintenant, pardonne-moi, mais je dois partir, le temps est compté, passe une agréable journée.

 Après m'avoir salué, il me congédiais. Cette nouvelle m'avait rendu particulièrement anxieux. Depuis, je ne faisais que cauchemarder à propos de mon village et dormir devint plus compliqué encore. Les nuits semblaient s'allonger alors que je me tournais et me retournais sur ma paillasse.

 Le jour J arriva bien plus rapidement que je ne le pensais. Avant que je puisse m’en rendre compte, je me tenais sur une estrade imposante, vêtu d'habits cérémoniaux bien trop grands pour moi, face à une foule compacte. J'avais l'impression de nager dans cette robe blanche et la capuche me cachait en partie la vue. On m'avait ordonné de rester calme et de sourire, sous peine de châtiment. L'anxiété m'envahissait, crispant chaque fibre de mon être sous les regards brûlants. J’étais là pour montrer à toute une cité que j’étais le nouveau servant et futur sacrifice d’un dieu. Cette situation me donnait plus envie de fondre en larmes que de sourire bêtement. Pourtant, il fallait que je le fasse. Je me souvins de ce qui se trouvait sur ma nuque et tenta un sourire. Sûrement était-il l'un des plus crispé que je n'ai jamais fait.

 Les cris de la foule se firent plus forts alors qu'Ezeroth apparaissait sur scène et se dirigeant immédiatement à ma rencontre. En cachant avec sa main, il me chuchota à l’oreille :

 — Ne t’inquiète pas, essaie juste de sourire et tout ira bien.

 Ses paroles parurent être de simples chuchotements perdus parmi le fracas des cris de la foule. Pourtant elles me touchèrent tel des rayons à travers l’obscurité.

 Ezeroth se plaça à l’avant et je lui emboîtais le pas.

 La foule applaudissait et criait à l’unisson. Les bras s’élevaient dans le ciel avec des cris d’admiration. Je ne les regardais pas eux, mais lui.

 Il souriait à pleine dents avec un regard pétillant. Les larmes qui coulaient sur ses joues semblaient si lointaines. Tout son être dégageait le bien-être. Je ne pus m’empêcher de sourire.

 Ils nous applaudirent, nous. Un dieu et son servant. Ezeroth et moi. Ceux qui, un jour, plongeraient tous les territoires dans le chaos.

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