Chapitre 15

6 minutes de lecture

Par Rowani



Lucas resta immobile pendant de longues secondes, complètement déboussolé. Il ne comprenait pas ce qu’il avait fait de mal, il avait peut-être été trop direct dans son approche, mais ce n’était pas une raison pour que l’autre se barre en courant. Il avait une petite boule dans la gorge, un peu déçu de ce nouvel échec. Il commençait à être habitué, à force.


Ça sentait le coup fourré de la part de Paul, tout ça.


Il le chercha alors du regard, et il le trouva dans le salon, son sac sur les épaules, en train de se diriger vers la sortie. Il courut alors pour l’intercepter avant qu’il ne parte, et l’attrapa par le bras.
— Eh ! Qu’est-ce qui s’est passé avec Baptiste ?
Paul fronça les sourcils, semblant ne pas comprendre sa question.


— Bah rien, il m’a dit qu’il était gay, et j’me suis dit que c’était une bonne opportunité pour mon meilleur pote, qui se cherche désespérément un amoureux.
— Il t’a pas dit que c’était un secret et que ça devait rester entre vous deux ? Tu sais, y a des gens qui peuvent pas se permettre de s’afficher publiquement. Exemple : moi.
— Je sais, mais t’inquiète pas, je l’ai dit qu’à toi, je le jure. Et puis j’me disais que ça pourrait bien marcher entre vous, parce que lui aussi a des problèmes et se sent pas bien dans sa peau.


Puis il se retourna et pointa du doigt un garçon brun aux cheveux mi-courts, qui discutait avec une fille dans un coin du salon.
— Et c’est Nathan, poursuivit-il, qui s’est foutu de sa gueule. Fais gaffe à lui, c’est un homophobe.
Lucas fixa Nathan, serrant les dents et les poings. Il avait l’air si innocent, si bienveillant, c’était difficile à croire que ce gars pouvait faire souffrir quelqu’un. Il ne savait pas s’il devait gober ce que Paul venait de lui dire, peut-être que c’était encore une de ses histoires bizarres.
— J’dois vraiment y aller, lâcha Paul. À plus !


Il lui fit un signe de la main et sortit de la maison, marchant tranquillement. Lucas détestait ce côté de son ami, il ne pouvait pas s’empêcher de tendre des pièges sans arrêt pour parvenir à ses fins. Mais il savait pourquoi il était comme ça, et il était sans doute le seul à le savoir…

*Deux ans plus tôt*

C’était le grand jour. Son plan était prêt, son calvaire prendrait fin dans quelques minutes seulement. Il avait imaginé tous les scénarios possibles, il connaissait son adversaire par cœur, il savait comment gérer chaque situation.

Paul se tenait devant la trappe du grenier, qui n'était en fait que la porte de sa chambre. Il tenait fermement sous son bras une planche en bois. Il tira la poignée pour soulever la trappe, déploya une échelle jusqu'à l'étage d'en dessous, puis descendit.

La connaissant, elle avait déjà prévu qu’il ferait ça un jour, elle avait probablement une contre-attaque prête depuis des semaines. Elle était totalement tordue, il se devait d’être plus tordu qu’elle pour la battre. Il avait réfléchi pendant des jours et des nuits à toutes les éventualités, il sentait que ces moments l’avaient forgé, qu’il était devenu différent.

Il avait perdu son innocence.

La tête pleine de souvenirs, de doutes et de scénarios, il se dirigea vers la salle de bain et posa la planche à côté de la porte.


Il tourna à gauche, prit le couloir, puis arriva dans la cuisine, et tomba juste devant elle…

Sa belle-mère était à table avec son père, en train de se faire un alléchant poulet-rôti. Ça faisait si longtemps qu’il n’avait pas mangé de viande fraîche…
— Qu’est-ce que tu fous là ? lança-t-elle d’un ton méprisant. C’est ma maison ici, j’te rappelle que t’es juste un étranger que j’accepte gracieusement.

Sa voix l’avait toujours terrorisé, et il s’était toujours retrouvé impuissant quand elle parlait, comme si chaque mot qu’elle prononçait l’assommait. Mais ce jour-là, il était différent, il était plus fort que jamais, et il s’était juré de ne pas trembler devant elle.
— Euh… y a un problème avec le lavabo, j’crois que y a une fuite.
Il avait prononcé sa phrase presque sans bégayer, devant elle. Il considéra ça comme un exploit jamais réalisé.


Elle fronça les sourcils et le dévisagea.

— Et tu pouvais pas le réparer toi-même ? Tu sais vraiment rien faire ?

— Si, j'ai essayé... Mais j'crois que le problème est vraiment grave, il faut que tu viennes voir...

— J'te préviens, si je viens et que j'vois que y a rien, tu vas m'entendre !

Il baissa la tête pour éviter de croiser son regard. Même avec tout le courage du monde, il lui était très difficile de continuer à lui parler, elle l’avait trop traumatisé.
— Putain, quel bon à rien ! J’vais devoir m’en charger, j’suis vraiment la seule à foutre quelque chose dans cette maison. Viens avec moi, Richard.

Elle se leva, et son mari la suivit immédiatement, comme un bon toutou. Ils se rendirent tous les trois dans la salle de bain, Paul resta en retrait tandis qu’elle entrait pour inspecter les lieux. Elle remarqua la planche qu'il avait posée plus tôt, et se mit à grimacer

  • Paul ! Dégage-moi ça de là !
  • Tout de suite, répondit-il docilement.

Il ramassa la planche, et dès qu’elle entra, il prit son père par le bras, le tira hors de la salle de bain, et ferma la porte, qu’il bloqua avec la planche.

Elle ne tarda pas à venir tambouriner à la porte en gueulant « Putain ! P'tit enculé ! » tout en essayant d’ouvrir, en vain.
Paul se retourna alors vers son père, tout souriant, et lui annonça avec fierté :
— Papa, on est libre maintenant ! Tu peux faire c’que tu veux, c’est toi qui a le pouvoir cette fois ! T'auras plus à suivre cette vienne chienne comme si t'étais son esclave ! Il faut qu’on parte loin, qu’on aille vivre à deux. On se trouvera un nouvel endroit où habiter, on se battra pour avoir une vie normale, j’te promets qu’on sera heureux !
— Richard, mon amour ! Sauve-moi ! Ton fils a complètement perdu les pédales, il est devenu dangereux !
— Écoute pas cette pute, Papa. Allez, viens.

Il lui prit la main et commença à partir, mais celui-ci la lâcha immédiatement. Paul se retourna, interloqué.
— Tu fais quoi ?
Son père baissa la tête, serrant le poing. Il sembla réfléchir quelques secondes, puis il se tourna vers lui et le regarda fermement, avec dans les yeux de la… colère ?


— Qu’est-ce qui t’as pris, Paul ?! hurla-t-il. Elle t’accepte chez elle, et toi tu veux la séquestrer ? Elle pleure tous les soirs à cause de tes conneries, elle voudrait qu’on soit une famille unie, elle se bat pour qu’on soit heureux !
— C’est du cinéma, tout ce qu’elle fait ! Tu te rends pas compte, elle est en train de te manipuler ! S’il te plaît, viens. J’ai tellement de trucs à te raconter…
— Elle a pris soin de toi !
— Qu’est-ce que t’en sais ? Elle t’a interdit de venir me voir ! Elle me donne les restes de vos repas, hier j’ai eu des os à ronger !
— N’importe quoi, je l’ai vue faire la cuisine exprès pour toi et te monter tout ça ! Je veux plus t’entendre parler, t’es qu’un sale gosse menteur !

Et en disant cela, il donna un violent coup de pied dans la planche de bois, puis ouvrit la porte de la cave. Sa belle-mère surgit et se précipita dans ses bras.
— Oh mon Dieu ! Merci Richard !

Et pendant qu’ils s’étreignaient, profitant du fait que son père était tourné vers l'autre côté, elle adressa un sourire diabolique à Paul, qui restait debout au milieu du couloir, impuissant.

Il était détruit.

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