Enveloppe n°9
Jacksonville, Floride.
Le 13 mars 2 018
Harlem,
J'ai mis un temps fou à te répondre, pardonne-moi. Je t'avoue que je me suis détesté de ne pas réussir à le faire plus tôt. J'ai relu ton courrier un tas de fois, une bonne centaine pour être honnête, au point où je suis desormais capable de le réciter les yeux fermés. Tu sais, comme ces poésies que l'on apprenait lorsque nous étions enfants ? Je connais chacun de tes mots, chaque courbe de tes lettres, jusqu'aux ponctuations dispersées dans ton monologue.
Excuse-moi, j'aurais vraiment dû te répondre plus tôt. J'ai essayé, j'ai raturé et chiffonné, puis j'ai recommencé encore et encore jusqu'à avoir des ampoules sur les doigts. J'en ai été incapable, vraiment, je me suis exaspéré tout seul. Je me suis maudit, j'ai voulu t'envoyer des banalités, ou des stupidités pour ne plus te faire patienter mais je me suis encore trouvé plus bête en écrivant n'importe quoi. Aucun de mes mots n'étaient à la hauteur des tiens et j'ai eu peur. Je sais, c'est insensé.
INSENSÉ.
Ces sept petites lettres me hantent.
J'en ai vu et entendu des choses insensées, mais ce que tu qualifies ainsi me terrifie autant que ça m'apaise et me glorifie. Je n'ai rien de magnifique, rien d'immanquable, je ne suis qu'une pâle monotonie que tu exécrerais sûrement. Je ne suis pas aussi inoubliable et remarquable que tu le laisses sous-entendre dans ton dernier courrier. Ou alors, je me suis mépris en comprenant tout de travers. Je ne sais plus.
En toute franchise, je suis perdu. Sous un ciel parfois blanc, parfois embrumé d'un épais nuage d'obscurité. En effet, tes mots m'ont troublé. Ils m'ont apporté tout une ribambelle de questions auxquelles je n'ai aucune réponse. Te crois-tu capable de me les donner ? Je suis dans le flou. Dis-moi, Harlem, qui crois-tu que je suis ? Comment peux-tu le savoir finalement ? Moi-même, j'ignore qui je suis en réalité. Je suis triste et fatigué, sûrement autant que toi et cela me peine. Où sont tes rayons de soleil ? J'aimerais t'aider à les retrouver. Ton optimisme s'est envolé. À travers tes mots, es-tu désemparé ou simplement celui qui se mure dans le silence depuis trop longtemps ? Je peux t'aider, enfin, je peux essayer ?
Harlem, dis-moi, à travers tes dessins, qui je suis ? Ai-je le sourire ou les larmes aux coins des yeux ? Suis-je joyeux ou mortifié de cette vie et de cette cage dans laquelle je me suis enfermé ? J'ai du mal à réaliser, pourquoi tes crayons ébauchent-ils une personne telle que moi ? Je n'ai rien à apporter, rien à donner si ce n'est une pluie diluvienne sur un ciel chargé d'électricité. J'ai le cœur qui bat trop fort. Mon pouls s'emballe, je ne sais plus le calmer. Parfois, je ne sais même plus respirer. Allez, Harlem, dis-moi, combien il y en a, de ces œuvres inachevées griffonnées dans tes carnets ? Je n'ai rien d'irremplaçable, crois-moi.
J'aimerais avoir ton talent, pouvoir t'imaginer sans barrière ni frontière, mais je n'y arrive pas. Je n'ai jamais été doué pour ça. Ni avec les mots, ni pour les relations humaines ou tout ce qui s'en approche. Je ne sais même plus ce que je ressens, je sais simplement que mon cœur s'enrage à chacune de tes paroles que je lis avec impatience et toujours ce même désespoir qui me tiraille. J'ai parfois mal au ventre en pensant à toi et en me demandant ce que tu fais en dehors de nos longues conversations entrecoupées de quelques semaines, parfois. J'ai la gorge qui se serre en songeant à ce que donneraient nos discussions si nous étions réellement sur ce banc que j'ai déjà évoqué. J'ai la tête qui tourne en espérant plus que des mots sur un papier, plus qu'une encre qui bave sur des lignes qui, avec le temps, s'effaceront.
C'est insensé.
Tu l'as dit aussi.
Je crois que c'est vrai.
Je ne comprends pas ce qu'il m'arrive.
Jason continue de me malmener, mes parents de m'ignorer, la vie est toujours ce qu'elle était mais je ne pense qu'à toi et à ta prochaine enveloppe. Parfois même avant que la mienne ne disparaisse dans la fente de cette boîte aux lettres. Comme aujourd'hui.
Dans ta prochaine lettre, dis-moi ce qui embelli ton ciel. S'il te plaît.
Le mien vacille entre gris et noir. Il s'éclaircit quand je t'écris ou que je te lis.
À bientôt,
Skylar (ton ciel).
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