Chapitre 2 : Le renégat, Partie 1

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Triss rêvait. Plus exactement, elle repensait à cette journée maudite où son enfance s’était arrêtée, car elle avait brutalement compris à quel point elle était différente des autres. Le jour de sa première rentrée des classes, elle s’était pourtant sentie si excitée à l’idée de découvrir le monde extérieur et de se faire des amis…

Hélas…

« Tu n’es qu’un monstre ! »

Triss se réveilla en sursaut, la respiration haletante et la gorge sèche. Elle mit plusieurs secondes à reprendre son souffle, tandis que cette phrase assassine retentissait encore et encore dans sa tête. Triss se rendit alors compte qu’elle n’était pas dans son lit. Ni dans sa chambre non plus, à première vue. La pièce était trop petite pour cela, meublée avec le strict minimum. L’endroit lui parut effrayant, bien qu’elle y vît parfaitement dans l’obscurité. L’inconnu était toujours inquiétant, surtout quand on avait comme elle un lourd secret à cacher. Et puis sa tête lui faisait mal, comme si quelqu’un lui frappait dessus avec un marteau… Pourquoi diable se sentait-elle aussi nauséeuse ?

  • Tu es réveillée, constata une voix d’homme calme et posée.

La jeune fille tourna vivement la tête, ses yeux se fixant aussitôt sur l’individu tranquillement assis dans l’unique fauteuil de la pièce ; l’inconnu la regardait d’un air qui se voulait indifférent et alluma sans se presser la petite lampe à sa gauche. Mais c’était un masque, Triss le sentait. En vérité, il était tendu. Près de lui, un chat tigré était roulé en boule, endormi.

  • Qui êtes-vous ? demanda-t-elle, revêche, en quittant son lit d’un bond.

Mais à peine après avoir posé les pieds au sol, elle se sentit prise de vertiges incroyables qui la forcèrent à se retenir au matelas pour ne pas risquer de s’affaler par terre.

  • Si j’étais toi, je ne me surmènerais pas trop, déclara l’homme en noir. Les effets de la drogue ne sont pas encore totalement dissipés, et elle était puissante. Tu risques de…
  • Vous m’avez droguée ?! l’interrompit Triss avec indignation, faisant ce qu’elle pouvait pour paraître menaçante, mais sa voix ne ressemblait qu’à un croassement de corbeau.

L’homme se leva de son fauteuil, puis saisit un verre transparent rempli d’un liquide rouge sombre sur une petite table basse. Triss remarqua l’arbalète en argent posée juste à côté.

Son esprit comprit immédiatement. Ce type était un chasseur de primes. Ses sens étaient encore trop tourmentés pour le confirmer, mais elle était certaine qu’il ne s’agissait pas d’un humain. Il l’avait capturée, et s’apprêtait à lui faire avaler un sérum de vérité pour qu’elle lui révélât l’emplacement du quartier d’Umbrella.

Elle n’avait pas le choix. Son oncle lui avait recommandé de ne pas utiliser ses pouvoirs en public, mais c’était un cas de force majeure. Alors que l’homme était à un mètre d’elle, Triss recula prestement et levant sa main droite, paume tournée vers le visage de son ravisseur. elle dégagea aussitôt une lumière dorée éclatante qui augmenta progressivement, comme une batterie se chargeant à bloc. La jeune fille vit le visage impassible de son ravisseur se muer en étonnement, puis en résignation.

  • N’approchez pas ! le menaça Triss avec hargne. Sinon je n’hésiterai pas à…
  • Me faire du mal ? ironisa l’homme en noir. Eh bien, tu ferais presque peur, gamine ! Mais avant de me tuer pose-toi quelques questions : si j’avais vraiment voulu me servir de toi, j’en avais la possibilité quand tu étais inconsciente, non ? Et si j’avais eu pour objectif de t’interroger, je ne crois pas que tu serais encore libre de tes mouvements…

La détermination de Triss fut ébranlée. Il y avait trop de vérité dans ces propos pour qu’elle n’y prêtât pas attention. L’inconnu en profita pour lui tendre à nouveau le verre :

  • Mais je n’ai aucune intention de te forcer à me croire, aussi je respecterai ta méfiance. Prends-ça, tu te sentiras beaucoup mieux. Ensuite, on parlera.

Avec méfiance, tout en pointant sa paume vers son interlocuteur, Triss saisit le verre avant de faire un pas en arrière comme si elle craignait que l’inconnu n’en profitât pour l’attraper. Elle examina attentivement le liquide, avant de se rendre compte que c’était du sang. Une odeur que tout vampire connaissait par cœur. C’est à ce moment précis que Triss prit conscience de la faim infernale qui lui brûlait le ventre. Elle porta le verre à ses lèvres, et sentit aussitôt le liquide diffuser une chaleur apaisante dans tout son corps. Elle ferma les yeux un instant. Sa gorge fut hydratée, son mal de tête disparut et la torpeur qui avait saisi son corps ne fut bientôt plus qu’un mauvais souvenir…

L’homme avait détourné le regard, et Triss lui en fut reconnaissante. Elle n’aimait pas que les autres la regardent se nourrir. Un vampire avait besoin de sang, c’était une question de survie. Mais cela restait tout de même écœurant, contre nature. Triss détestait cela.

Une fois le verre vide, elle le posa sur la commode avant de s’asseoir sur le lit, puis baissa la paume en s’apercevant que l’homme n’avait pas bougé. Les questions pleuvaient dans son esprit mais elle était décidée à progresser étape par étape. Ses derniers souvenirs étaient encore flous. Peut-être cet inconnu pourrait-il l’éclairer… s’il ne se révélait pas être un ennemi ! Car quoi qu’il eût dit, Triss restait méfiante. Son oncle lui avait appris à ne pas accorder sa confiance aussi facilement.

  • De qui venait le sang ? demanda-t-elle.

-C’était le mien. Je n’allais pas en prendre à un humain tout de même.

  • Où sommes-nous ?
  • Dans un hôtel près de Gênes. Cela fait une journée que nous avons quitté Florence, si tu veux tout savoir. Tu es restée inconsciente depuis hier soir. La nuit est déjà tombée… Je préfère voyager de jour, mais nous ne pouvons pas prendre le risque de rester trop longtemps au même endroit. Alors nous devrons bientôt reprendre la route. J’imagine que tu as beaucoup de questions, et j’en ai également quelques-unes. Mais pour gagner du temps, je pense qu’il est nécessaire de se présenter. Mon nom est Sheamon Wave, je suis un exorciste, enfin… un ange déchu.

Triss tressaillit en entendant ce dernier mot. Un exorciste… Oncle Sirius lui en avait parlé plusieurs fois, et elle avait pu en apercevoir quelques-uns depuis les fenêtres de l’Hôtel de Ville. Des anges déchus, dotés comme les anges et les démons de puissants pouvoirs, et spécialisés dans l’extermination des monstres. Mais il était rare que les exorcistes viennent au quartier Umbrella, car ses habitants étaient très méfiants à leur sujet. Nombreux étaient les vampires qui avaient péri de leurs mains. A chaque fois, la même recommandation de son oncle résonnait dans son esprit :

« Ils nous tolèrent ici, parce que nous sommes pacifiques et que nous leur vendons des marchandises à très bon prix. Mais ils sont dangereux pour nous, Triss. Je veux que tu me promettes de ne jamais en approcher un seul. Ce sont des chasseurs de monstres, et certains n’hésiteraient pas une seconde à t’éliminer juste parce que tu es un vampire. Aux yeux de certains d’entre eux, tous les nôtres se ressemble. Pour ces gens-là, un bon vampire est un vampire mort. »

Or à présent il y avait un exorciste juste devant elle. Triss sut alors qu’elle devait lui échapper. Mais pour le moment, il fallait jouer son jeu… Elle décida d’improviser pour tromper la vigilance de son ravisseur.

  • Je m’appelle Victoria Firenze, déclara-t-elle. Je suis une vampire itinérante qui…
  • Tu mens, la coupa Sheamon du même ton calme qu’il avait pris lorsqu’elle s’était réveillée, une voix dénuée de colère ou d’agacement. Tu t’appelles Triss Aleyran, nièce de Sirius Aleyran… et tu es la fille de Némésis Nocturii.

Triss en fut tellement estomaquée qu’elle perdit l’usage de sa voix pendant quelques instants. Seul Oncle Sirius connaissaient sa véritable identité !

  • Comment…
  • Je le tiens de ton oncle, gamine, déclara Sheamon en sortant d’une poche intérieure de son manteau une lettre avec un sceau de cire brisé en deux parties. Mais Triss aurait reconnu entre mille le sceau d’Oncle Sirius. Il m’a indiqué là-dedans tout ce que je devais savoir te concernant pour mener ma mission à bien.
  • Que… quelle mission ? Que vous a-t-il dit ?
  • De t’escorter en sécurité jusqu’à une autre colonie de vampires en Enfer. Un refuge plus sûr, apparemment.
  • Je ne vous crois pas !

Sheamon plongea son regard acéré et dur dans celui de Triss, qui eut un mouvement de recul.

  • Quel sont tes derniers souvenirs, gamine ?
  • Je ne m’en souviens p…

Ils lui revinrent en un éclair. Il était tard ce soir-là, pour les humains. Même si beaucoup de vampires vivaient la nuit et dormaient le matin jusqu’en fin d’après-midi, Triss avait adopté le mode de vie des humains, en partie pour ne pas avoir à vivre dans l’obscurité. Elle détestait la nuit, si naturelle pourtant aux autres vampires. Ce soir-là, elle était restée en compagnie de son oncle, qui voulait avoir une discussion apparemment très importante avec elle. Ils s’étaient disputés le matin même quand Triss avait annoncé vouloir quitter le quartier d’Umbrella pour de bon, après que son oncle eût prétendu lui interdire de sortir avec ses amis dans la soirée. C’était trop dangereux d’après lui : quelqu’un pouvait s’en prendre à elle, Triss ne devait pas s’exposer ainsi au danger... bref, les excuses habituelles qu’il invoquait régulièrement pour lui interdire de s’amuser quand il estimait qu’il y avait un risque. Pour se réconcilier, Oncle Sirius était venu dans sa chambre avec deux tasses de chocolat chaud. Elle se rappelait avoir bu le sien, et…

Le trou noir. Triss n’arrivait pas à se souvenir d’autre chose avant son réveil dans cette chambre. Il n’y avait aucun doute cependant…

Son oncle l’avait volontairement droguée.

Sheamon ne demanda pas d’explication, car l’expression de stupéfaction sur le visage de Triss venait de confirmer ses doutes.

  • C’est bien ce que je pensais, tu n’étais absolument pas au courant…

Il lui lança la lettre, que Triss attrapa fébrilement et se mit à déchiffrer comme si sa vie en dépendait, ce qui d’ailleurs était peut-être le cas…

Au fur et à mesure qu’elle lisait, son incompréhension grandissait. Oncle Sirius aurait engagé Sheamon Wave pour l’emmener à Varenn, parce que le quartier d’Umbrella était menacé ? Comme la plupart des autres habitants, elle avait entendu parler de Varenn, l’autre colonie de vampires en Enfer avec laquelle le Quartier Umbrella entretenait des liens étroits. Mais personne, à part Sirius, ne savait où elle se trouvait. Elle était entourée d’un voile de mystère.

Toutefois, imaginer un endroit plus sûr que le Quartier Umbrella… C’était impossible. Les défenses étaient impénétrables, et tous ses habitants étaient des réfugiés… aucun d’entre eux n’aurait jamais pensé à trahir ses compatriotes car chacun savait que sa survie dépendait des autres.

  • Vous avez accepté un contrat alors que vous ne saviez même pas ce que contenait cette valise ? lança soudain Triss en levant la tête, incrédule.

Sheamon se renfrogna.

  • J’ai mes raisons. Evitons le sujet, si tu le veux bien…

Triss se recentra sur la lettre. Plus elle en examinait le contenu, plus son assurance se renforçait. Sirius n’aurait pas pris le risque de révéler d’informations importantes à son sujet. Il était prudent et lui avait martelé, à chaque fois qu’elle sortait du quartier, de ne pas utiliser ses pouvoirs en plein jour. Il insistait toujours pour qu’elle fût surveillée à chacun de ses déplacements.

Et pourtant, il dévoilait sans fard à cet inconnu la vérité déjà révélée à Triss lorsque celle-ci était toute petite ! Était-il devenu fou ? Ce n’était pourtant pas la première fois ce mois-ci qu’Oncle Sirius lui paraissait étrange. Il avait les traits tirés, comme si son corps avait vieilli de plusieurs années. Ce qui était impensable, car les vampires ne pouvaient pas vieillir ! Un vampire né comme Triss pouvait continuer de grandir jusqu’à ce qu’il eût mordu quelqu’un, (et à cet instant seulement il achevait sa transformation). Mais une fois arrivé à maturité, un vampire cessait complètement de vieillir et gardait son âge éternellement, ou bien jusqu’à ce qu’ils soient tué…

Son oncle avait passé beaucoup de temps seul et renfermé, même à l’égard de sa propre secrétaire Philippa, à qui il avait pourtant toujours accordé pleine confiance. La raison de cet éloignement était-elle ce plan visant à lui faire quitter Umbrella en secret ? Sirius l’avait-il jugée trop dangereuse pour la sécurité du quartier ? Lui seul connaissait ses pouvoirs, sa nature et son secret…

Mais elle ne pouvait l’imaginer se résoudre à une telle séparation, sauf si cela allait dans l’intérêt de Triss… Depuis son enfance, son oncle avait toujours tout mis en œuvre pour qu’elle fût heureuse. Il avait même accepté à contrecœur sa demande de rejoindre l’école primaire chez les humains. Et lorsque la situation avait dégénéré… il était immédiatement intervenu pour la protéger. Quand elle avait voulu apprendre à se battre deux ans plus tôt, il lui avait fait fabriquer une épée sur mesure et lui avait trouvé un véritable maitre d’armes pour lui apprendre l’escrime. Triss était certaine que son oncle aurait préféré détruire le quartier d’Umbrella, l’œuvre de sa vie, plutôt que de mettre sa nièce en danger. A ses yeux, sa sécurité passait avant tout.

Triss serra les dents d’impuissance. Ruminer ne servait à rien ; de plus, elle avait l’impression que sa tête allait exploser ! Une seule solution… elle devait confronter son oncle elle-même.

  • Je dois y retourner, déclara la jeune vampire.

Sheamon secoua la tête, ce qui l’agaça profondément ; elle se leva :

-Si je suis devenue un danger pour le quartier Umbrella, je partirai s’il le faut ! Mais je veux l’entendre de la bouche de mon oncle ! Et peut-être me mentez-vous depuis le début ! Qui me dit que vous n’avez pas imité son écriture et manigancé tout ça pour que je vous suive sans broncher ?

Ses accusations ne tenaient pas debout, elle le savait. Elle s’en fichait aussi.

  • Je comprends ta colère, gamine, tempéra l’ange déchu. Dis-toi que nous sommes maintenant dans le même bateau tous les deux. Mais tu ne peux plus te rendre au quartier d’Umbrella à présent... Quelques heures après mon départ, il a été rayé de la carte. Toutes les chaines de télévision en parlent en ce moment.

Triss resta interdite, trop choquée pour prononcer un seul mot. Elle retomba d’elle-même sur le lit. Le quartier entier, disparu ? Non, c’était…

  • Impossible… murmura-t-elle.
  • Ce n’est pas si difficile à imaginer. Si on en croit sa lettre, ton oncle se savait surveillé. Et cet espion connaissait son affaire. Les protections qui entouraient le quartier et la présence d’une ville humaine autour rendaient difficile toute tentative d’assaut frontal. C’était du solide, de ce que j’en ai vu. Un siège n’était pas envisageable non plus avec le soutien dont bénéficiait ton oncle de la part des trois factions. L’unique façon de l’envahir était de désactiver les défenses de l’intérieur, et n’importe quel habitant n’aurait pas pu faire ça. Quelqu’un dans l’entourage de ton oncle, suffisamment haut-placé pour connaitre les enchantements entourant la ville et savoir comment les annuler, s’est fait passer pour un réfugié, t’a identifiée et, après avoir confirmé ta présence, a aidé ses complices à rentrer. Une attaque éclair, simple, puissante, efficace. De plus, Némésis n’aurait pas confié ta capture à n’importe qui. Celui qui les dirigeait devait être au moins un nosferatu. Ensuite, ils n’ont eu…
  • Arrêtez s’il vous plait, supplia Triss, la voix tremblante.

Sheamon se tut et la fixa quelques secondes. Son visage exprimait de la gêne.

  • Désolé gamine, dit-il en secouant la tête. J’oubliais que tu… enfin, je ne voulais pas te faire souffrir. Ce que je veux dire, c’est que tu as eu de la chance.

La tristesse se changea en colère.

  • De la chance ? répéta-t-elle d’une voix forte. L’endroit dans lequel j’ai grandi, mes amis, mon oncle et tous ceux que je connaissais sont morts par ma faute et j’ai eu de la chance !

Sous le coup de l’émotion, elle attrapa son verre et le jeta en direction de Sheamon, qui le saisit au vol avant que celui-ci ne lui fracassât le nez. Cela mit Triss encore plus en colère. Cette dernière lui permettait de ne plus penser à sa tristesse, et c’était un soulagement. Elle ne voulait pas pleurer devant lui.

Sheamon resta impassible sous le regard furieux de la jeune fille. Elle voulait qu’il s’énerve, dise quelque chose, n’importe quoi pour lui donner une raison de s’en prendre à lui. Mais l’exorciste se contenta d’attendre tranquillement. Quand elle se calma, Sheamon parla enfin :

  • Ce n’est probablement pas ce que tu aurais voulu entendre, mais c’est un fait. Si Sirius avait retardé son plan ne serait-ce que d’une seule journée, tu serais en ce moment même aux mains des serviteurs de Némésis. Et une fois dans le Royaume Submergé, il est pratiquement impossible de s’en échapper.
  • -Mon oncle et mon père l’ont…
  • -Fait, j’en conviens. Mais ils ont profité d’une révolte pour s’évader, et même ainsi, les survivants doivent se compter sur les doigts de la main. Et quand ton père t’a emmenée chez ton oncle, il était devenu un nosferatu, ce qui lui a sans doute permis de regagner la Surface sans difficulté avant que la reine ne lance ses serviteurs à ses trousses. La plupart des servilis qui arrivent à s’enfuir ont rejoint la Surface en accompagnant leur maitre nosferatu quand ils voyagent hors du Royaume Submergé, et même ainsi beaucoup meurent en tentant l’expérience. Les Nocturii sont les maitres d’un gigantesque empire du crime qu’ils dirigent d’une main de fer. Personne ne les défie impunément. Même les Seigneurs Primordiaux préfèrent éviter l’affrontement avec Némésis. Aucun d’entre eux n’en ressortirait indemne.

Triss le savait déjà. Son oncle lui avait enseigné l’histoire du monde magique et la répartition du pouvoir entre les quatre Seigneurs Primordiaux qui constituaient ce qu’on appelait aujourd’hui communément la Tétrarchie : Dieu, Satan, Azaël et Dracula. Mille ans auparavant, Némésis sa mère avait bien failli s’imposer comme le quatrième Seigneur Primordial alors qu’ils n’étaient que trois, mais une rébellion et l’ascension fulgurante de Dracula lui avaient coupé l’herbe sous le pied. Les Nocturii avaient dû faire face à un schisme dans la noblesse vampire, entre ceux qui préféraient rejoindre Dracula et ceux restés fidèles à la reine. Cela avait considérablement affaibli la position de celle-ci, déjà en guerre ouverte avec les trois autres souverains primordiaux qui formaient alors la Triarchie des trois factions. Sans alliés puissants et attaquée de toutes parts, elle avait dû quitter la Surface pour se retirer dans le Royaume Submergé en laissant Dracula accéder au titre qui lui était dû. Au fond de l’océan, elle avait patiemment restauré son pouvoir en attendant l’occasion de se venger. Or Triss espérait de tout son être que sa mère resterait à jamais sous la Surface…

Si Sirius avait été le seul parent à l’avoir élevée, elle se rappelait quelques bribes de souvenirs de son père, son visage souriant quand il la prenait dans ses bras, quand il jouait avec elle… Mais les seules images de sa fuite du Royaume Submergé étaient sa tête plaquée contre la poitrine de son père, qui lui répétait continuellement que tout irait bien… De Némésis, elle n’avait aucun souvenir. Son nom ne lui inspirait qu’un frisson de frayeur.

Pourtant, Triss refusait d’y croire. Le Quartier Umbrella ne pouvait pas avoir disparu ! Elle devait le voir de ses propres yeux.

  • N’y pense même pas, l’avertit Sheamon.

Triss sursauta, perdue dans ses pensées. Elle jeta un regard agacé à l’exorciste :

  • Je n’ai rien dit !
  • Non gamine, mais je sais à quoi tu penses. Tu vas devoir l’admettre : tu ne peux pas retourner au quartier Umbrella. Il n’y a plus rien qui t’attende là-bas.
  • Il y a sûrement des survivants ! répliqua Triss. Certains ont dû s’échapper à temps… Mon oncle est peut-être encore en vie !
  • Dans le cas où il y aurait des survivants, ils ne seront pas la cible principale des Nocturii. C’est toi qu’ils veulent. Le plus sage pour eux est de s’éloigner de Florence le plus vite possible pour faire profil bas en attendant que la tempête se calme. Ton oncle fera probablement la même chose s’il est vivant. Si tu entres en contact avec eux, tu les mettras en danger, gamine. Crois-moi, la meilleure chose à faire est de respecter sa volonté. Tôt ou tard, les survivants mettront le cap pour Varenn. Tu les retrouveras là-bas.
  • Comment pouvez-vous en être sûr ?
  • Parce que c’est logique, répondit Sheamon. Ils ne voudront pas rester sans protection, et il n’y a pas beaucoup de refuges vampires à la Surface. Varenn sera probablement la seule option pour tous, y compris ton oncle. S’il est en vie, il conduira les survivants là-bas.
  • Et s’il a été capturé ? Demanda Triss, la voix pratiquement éteinte.

Sheamon la regarda droit dans ses yeux.

  • Dans ce cas, il est déjà mort.

Triss connaissait sa réponse avant même qu’il ne prît la parole… Tous les vampires le savaient : les nosferatus n’avaient aucune pitié pour les traîtres. Elle avait toujours redouté comme un cauchemar lointain le jour où le quartier serait découvert. Mais désormais, c’était bien réel, et Triss était seule, avec un mercenaire qui ne lui inspirait pas la moindre confiance. Une seule question tournait en boucle dans son esprit :

Que devait-elle faire ?

Triss ferma les yeux et décida d’avoir foi dans le choix de son oncle. Il avait jugé Sheamon Wave digne de confiance pour assurer sa sécurité. Or elle-même n’avait eu besoin que d’un coup d’œil pour savoir que l’exorciste n’en était pas à son premier combat. Il serait un allié de poids si elle voulait atteindre Varenn sans se faire rattraper par les serviteurs de la reine. Sheamon disait vrai, la priorité était de trouver ce refuge. Ensuite… elle aviserait le moment venu.

Elle prit une nouvelle inspiration et ouvrit les yeux.

  • Vous avez raison, admit-elle. Dans l’état actuel, retourner à Florence ne serait ni plus ni moins qu’un suicide. Suivre les indications de mon oncle est le meilleur choix possible.
  • Bien, je savais que tu compren…
  • Mais je ne vais pas vous obéir aveuglément, le coupa Triss. Je refuse d’être un outil servant vos intérêts. Puisque mon oncle n’est pas présent, c’est moi qui reprend le contrat. Vous êtes donc à mon service.

Sheamon éclata de rire.

  • Crois-tu vraiment que je vais t’obéir, gamine ? ironisa-t-il.
  • L’Aurora, déclara simplement Triss, ce qui eut pour effet de faire frissonner Sheamon.

Triss sut alors qu’elle avait vu juste. Il était très intéressé par cette chose… Elle ne savait absolument pas de quoi il s’agissait, mais il était évident que Sheamon la voulait.

  • Mon oncle vous a promis cet objet, en précisant qu’il vous attendrait à Varenn. S’il était secondaire, vous m’auriez probablement abandonnée sur place en empochant la récompense. Pourtant, vous êtes résolu à affronter la colère des Nocturii en continuant votre mission plutôt que de vous cacher. Si vous m’emmenez à Varenn, les rebelles vous donneront probablement l’Aurora. A moins que je ne m’y oppose. Je pourrais dire par exemple que vous êtes à la solde des Nocturii, ou bien que vous n’êtes pas le vrai Sheamon Wave mais que vous l’avez tué pour prendre l’Aurora à sa place. Ils me croiront sans doute plus que vous.
  • Où veux-tu en venir, gamine ? l’interrompit Sheamon soudain crispé.

Triss remarqua alors un changement dans son attitude. Auparavant, il la regardait avec condescendance, comme si elle n’était qu’une simple adolescente en pleine crise futile. Désormais, son regard exprimait de l’agacement, mais également un certain respect. Sheamon la prenait enfin au sérieux. Pour donner plus de poids à ses propos, elle se leva et se planta face à lui.

  • Je ne veux que deux choses : que vous m’escortiez jusqu’à Varenn… et que vous m’aidiez ensuite à retrouver mon oncle. En contrepartie, je vous promets de ne pas chercher à vous fausser compagnie et de respecter vos consignes… si elles sont raisonnables.
  • Ton oncle est peut-être déjà…
  • J’aviserai à ce moment-là, le coupa la jeune fille d’un ton vif. Tout ce que je vous demande pour l’instant et de me promettre de m’aider à découvrir ce qui lui est arrivé.

Sheamon resta silencieux pendant quelques minutes, si longtemps que Triss commença à avoir peur ; et si elle s’était trompée, et qu’il se moquait de l’Aurora ? Elle n’avait même pas la certitude que les vampires de Varenn l’écouteraient elle plutôt que lui. Mais puisque son oncle pensait qu’elle serait en sécurité là-bas… Triss ne pouvait plus reculer. C’était sa seule opportunité pour l’instant.

Enfin, il releva la tête, un sourire résigné sur les lèvres.

  • Tu ne me laisses pas le choix, n’est-ce pas ? reprit-il, avec cynisme.
  • Non.

Sheamon soupira avant de se lever à son tour. Il tendit sa main en direction de Triss :

  • Eh bien, ce n’est pas comme si je ne te comprenais pas… Marché conclu, gamine.

Triss hésita un instant, avant de serrer la main qu’il lui tendait.

  • D’accord… Sheamon.

S’il n’aimait pas sa façon de l’appeler, il n’en dit rien. Triss sentit que quelque chose venait de changer, que sa vie prenait un tournant radical. Il lui était impossible de revenir en arrière désormais…

  • Quel est votre plan ? lui demanda-t-elle.
  • Atteindre Paris. J’ai une amie là-bas qui nous aidera à descendre en Enfer clandestinement. Elle aura probablement aussi des informations sur l’incident. Peu de choses lui échappent et je gage que ce qu’il s’est passé à Florence fera vite le tour du continent. Ensuite, j’aviserai sur comment enquêter sur les survivants potentiels et le sort de ton oncle. Après, direction Varenn. je te remets à tes camarades, ils me donneront l’Aurora avec ta bénédiction, et chacun continuera son chemin. Cela te convient-il ?

Triss hocha la tête. Elle ne voulait pas le montrer, mais Sheamon lui faisait peur… Il n’y avait aucune frayeur sur son visage, et pourtant en l’aidant il devenait l’ennemi des puissants Nocturii, unanimement craints... Sheamon Wave cependant n’envisageait même pas l’échec.

Le chat s’éveilla soudainement. Il posa un regard curieux sur Triss avant de s’étirer paresseusement. L’exorciste consulta sa montre.

  • Nous avons encore une demi-heure devant nous. Je vais aller régler la note, me renseigner sur l’actualité à Florence et préparer la voiture. Il y a des vêtements propres dans la salle de bain, si tu veux prendre une douche. Tu veux quelque chose d’autre ?

En vérité, Triss aurait donné n’importe quoi pour un chocolat chaud. Elle ne supportait pas le café, même si ses amies la raillaient souvent à cause de cela, en disant qu’elle était toujours une enfant. Mais le chocolat chaud l’avait toujours réconfortée dans les moments où elle se sentait déprimée. C’était son remède miracle contre toutes les pensées noires… Hors de question cependant de l’avouer à Sheamon.

  • Inutile, déclara Triss de sa voix la plus autoritaire. Ne trainez pas.

Sheamon haussa les sourcils. Il s’empara de son arbalète puis se dirigea vers la porte de la chambre, sourire au coin des lèvres.

  • Ryku restera avec toi, l’informa-t-il, la main sur la poignée. En cas de problème, il te défendra jusqu’à ce que j’arrive.

-Vous parlez du chat ? s’étonna Triss.

De son point de vue, seule la gemme incrustée dans son front le différenciait des félins ordinaires. Et à le voir nettoyer ses pattes à coups de langue râpeuse, il n’avait pas l’air particulièrement féroce.

  • Oui. Surtout reste près de lui.

Sheamon ouvrit la porte, s’engouffra dans le couloir de l’hôtel et disparut. Enfin seule, Triss se dirigea mécaniquement vers la salle de bain qu’elle ferma à double-tour.

Ce n’est qu’après s’être déshabillée et réfugiée sous le jet d’eau de la douche qu’elle laissa enfin couler ses larmes.

***

Sheamon n’en revenait pas. Pour quelle raison avait-il accepté la requête de la gamine ? Pourquoi ne s’était-t-il pas contenté de l’assommer et de la garder ainsi jusqu’à Varenn ? Une fois sur place, et même si les vampires refusaient de lui donner l’Aurora, il aurait très bien pu la voler et s’enfuir avec ! Après tout, elle lui avait déjà été promise dans le contrat. Il n’aurait fait que récupérer ce qui lui appartenait.

L’idée de revenir sur sa parole vint à son esprit… En un sens, il rendrait service à la gamine. Il n’avait pas osé lui dire la vérité, mais il était quasiment certain que Sirius Aleyran était mort comme tous les autres habitants d’Umbrella. Néanmoins, elle serait tôt ou tard confrontée à cette réalité.

De toute manière, le mal était fait. C’était l’une des rares règles du code qu’il s’était imposé en devenant mercenaire. Une fois accepté, il mènerait le contrat à son terme quoi qu’il lui en coutât. Seule comptait l’Aurora, et il ferait ce qu’il faudrait pour l’obtenir. Sans compter que Triss avait raison ; la jeune fille avait les moyens de lui compliquer la vie en racontant n'importe quoi aux rebelles de Varenn, et récupérer sa récompense risquait alors de se compliquer singulièrement.

Sheamon arriva à la réception, déserte à cette heure-là. Il se dirigea vers la conciergerie, tenue par un gros employé presque chauve qui avait les yeux rivés sur sa télévision, sa main plongeant dans un paquet de chips éventré à ses côtés.

  • Excusez-moi, lança Sheamon. J’aimerais régler ma note…

L’employé le fusilla du regard, et changea de chaine, basculant du catch à une émission météo.

  • Quel numéro ? grommela-t-il.
  • Chambre cinquante-six. La réservation est au nom de Richard Stramble.

Pendant que l’employé consultait son ordinateur, Sheamon jeta un coup d’œil à sa montre. Il était neuf heures du soir.

Ses pensées se recentrèrent sur Triss. Au fond de lui, il savait très bien pourquoi il avait accepté. Cette gamine lui rappelait douloureusement Elly. Aussi téméraire, elle pouvait parfois se montrer sacrément têtue… Layla lui disait souvent que sa fille et lui se ressemblaient comme deux gouttes d’eau.

Sheamon se reprocha d’avoir été brutal, au réveil de Triss. A peine revenue à elle dans un endroit inconnu et en présence d’un étranger, elle avait dû affronter simultanément la destruction du quartier Umbrella, la mort probable de son oncle et de ceux qu’elle connaissait, ainsi que la peur de savoir que sa propre mère avait lancé une armée entière à ses trousses. Il aurait dû agir avec plus de tact… mais ce n’était pas la solution, et il le savait. Prendre des gants pour lui dire la vérité n’aurait fait qu’attiser sa défiance, et cela aurait au mieux retardé sa souffrance.

N’importe qui dans sa situation se serait répandu en lamentations. Ce n’était pas l’envie qui lui avait manqué, mais cette gamine avait retenu ses larmes pour garder une attitude autoritaire devant lui. Sa fierté l’avait empêchée de pleurer en face de Sheamon, et ce dernier devait le reconnaître : elle avait du cran et s’était montrée suffisamment habile pour le plier à ses caprices...

L’employé lui demanda ses papiers d’identité et Sheamon les lui fournit. Il lui arrivait de devoir changer plusieurs fois de noms pour couvrir ses traces, et il en avait des dizaines à disposition. Richard Stramble ne lui avait plus servi depuis son voyage en Russie, pendant la Guerre froide, en tant que journaliste anglais. Il avait en fait dû se débarrasser d’un manticore très dangereux qui sévissait à Saint-Pétersbourg.

La porte d’entrée de l’hôtel tinta, annonçant l’entrée de nouveaux clients. L’employé n’y prêta pas attention. Sheamon se contenta de jeter un coup d’œil aux deux hommes en imperméable noir et chapeau haut de forme enfoncé sur le nez, baraqués comme des gardes du corps. Ses sens magiques ne l’alertant pas sur un potentiel danger, il décida de faire profil bas.

  • Bienvenue… marmonna l’employé avant de s’adresser à Sheamon. Cela fera soixante euros… Même si vous n’êtes pas resté jusqu’à la fin de la location, je vous compte plein tarif.

L’exorciste allait régler la note sans protester, quand soudain son instinct le prévint. Il se pencha sur le côté au moment précis où un couteau fusait en direction de son crâne. L‘arme rasa le sommet chauve de l’employé avant de se figer dans un calendrier accroché au mur.

Sheamon saisit aussitôt son arbalète et se retourna en un éclair, alors que le second vampire dégainait un glaive. Le carreau d’arbalète l’atteignit en plein cœur et il bascula, emporté par son élan, au-dessus du comptoir face à l’employé qui poussa un hurlement de frayeur.

L’exorciste n’eut pas le temps de pointer son arme vers le second agresseur, car celui-ci fit voltiger l’arbalète d’un revers d’épée. Il voulut profiter de son avantage en enfonçant ensuite sa lame dans la gorge de Sheamon, mais ce dernier esquiva l’attaque et saisit l’opportunité. Il attrapa le poignet de son adversaire et tout en tirant d’un coup sec avec son bras gauche, il plaça sa paume droite contre la poitrine du vampire.

-Division, ordonna-t-il.

Un flash de lumière s’échappa de sa paume, projetant son adversaire à l’autre bout de la pièce ; s’écrasant avec fracas contre le mur, celui-ci se releva pourtant en l’espace de deux secondes comme si de rien n’était.

Sheamon lui tourna alors le dos, déversant l’argent qu’il devait à l’employé sur le comptoir. Il entendit derrière lui les pas rapides du vampire, avide de lui planter ses crocs dans la gorge. Mais il ne l’atteindrait jamais.

Soudain, les yeux de son adversaire se révulsèrent, et son cœur cessa tout simplement de fonctionner. Il s’écroula aux pieds de Sheamon. Le renégat avait réduit son énergie vitale à néant et le vampire s’était éteint comme une machine débranchée.

-Que… commença l’employé, toujours sous le choc. Vous êtes… Ils…

Sheamon colla sa paume de force contre la poitrine de ce dernier, divisant son énergie vitale en deux. Ce n’était pas suffisant pour le tuer, mais il serait en revanche inconscient pendant au moins sept bonnes heures. Cela lui ferait gagner un peu de temps. Le concierge s’écroula aussitôt dans son siège. Sheamon se dirigea ensuite vers l’endroit où son arbalète avait atterri, et la ramassa en vérifiant le mécanisme.

C’était son arme la plus précieuse. Elle était le fruit du travail méticuleux d’un armurier très ingénieux. A première vue, rien ne la différenciait d’une arbalète de poing normale, hormis l’acier argenté et un barillet à six carreaux en son centre. La gâchette enclenchait la détente de la corde qui envoyait la flèche. Quand son doigt relâchait la pression, le mécanisme de l’arme relevait de lui-même la corde et faisait tourner le barillet en deux secondes, lui permettant de tirer six carreaux en moins de quinze. Une arme unique en son genre…

Parfaite pour assassiner un seigneur démon.

Sheamon scruta scrupuleusement le mécanisme, mais il ne semblait pas avoir été touché. Cette arme valait bien le prix astronomique qu’il avait dépensé pour l’obtenir !

Il jeta ensuite un coup d’œil furieux aux deux vampires morts. Le concierge venait de le voir assassiner ses agresseurs, et même si la Poussière divine l’avait empêché de distinguer ce qu’il s’était réellement passé, il en avait vu assez pour signaler son crime à la police humaine. Inutile donc d’essayer de cacher les cadavres. Sheamon n’avait, du reste, pas de temps à perdre.

Quelque chose toutefois le gênait, et il inspectait brièvement ses victimes. Pourquoi n’avait-il pas tout de suite ressenti leurs auras quand les vampires s’étaient approchés ? Peut-être avaient-ils sur eux un artefact magique capable de les dissimuler…

Mais le sixième sens de Sheamon, qui lui permettait de ressentir toute forme de vie et de percevoir chaque changement dans l’espace autour de lui, était relativement aiguisé. Cette aptitude nécessitait une grande concentration pour fonctionner, et n’était pas à la portée de tout le monde. Le mercenaire, cependant, excellait dans sa maitrise. Pour parvenir à l’approcher d’aussi près sans être découverts, ces deux-là devaient sûrement avoir sur eux un artefact magique de très bonne facture et, par conséquent, très cher... Ce n’était pas toutefois le pire.

Le problème, c’est qu’il avait sous-estimé les capacités de ses poursuivants. En s’arrêtant dans un hôtel miteux et en voyageant de jour, il avait cru pouvoir passer entre les mailles du filet. Il n’avait pas prévu que ses poursuivants seraient suffisamment nombreux pour fouiller chaque hôtel de la région dans l’espoir de le débusquer. Ces deux-là avait peut-être eu la chance (ou bien la malchance) de tomber sur lui par hasard, mais lorsque leur absence sera remarquée par leurs camarades, il ne faudra pas longtemps à ces dernier pour retrouver leurs trace jusqu’ici et comprendre que Sheamon les avaient éliminés. Suivre sa piste serait alors un jeu d’enfant.

Ce qui voulait dire que les espions de Némésis les avaient donc déjà retrouvés…

En pestant contre sa propre idiotie, Sheamon se dirigea vers l’ascenseur pour rejoindre Triss. Il croyait être suffisamment loin de Florence quand il avait fait halte dans cet endroit isolé. Il avait eu tort.

Au bout de quelques minutes, il arriva enfin dans la chambre, et trouva Triss les cheveux encore humides avec ses vêtements de la veille sur le dos. Elle était assise en tailleur sur le lit, caressant Ryku allongé sur ses genoux pour le plus grand plaisir de ce dernier.

Triss sursauta comme si elle avait été prise en flagrant délit de vol. Ryku lui-même se redressa sous le regard réprobateur de Sheamon.

  • Que se passe-t-il ? demanda la jeune fille, sur la défensive.
  • Il y a du nouveau, gamine. On doit mettre les voiles, maintenant.

Triss ouvrit à nouveau la bouche, mais Sheamon l’interrompit :

  • Tu m’as promis de m’obéir dans les situations d’urgence. Eh bien c’en est une. Ils nous ont retrouvés. Nous devons absolument reprendre la route avant qu’ils ne retrouvent de nouveau notre trace.

Le visage de Triss pâlit, mais elle se leva sans aucune hésitation.

  • D’accord, déclara-t-elle.

A suivre...

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