Chapitre 5 : Lié par contrat, Partie 2

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Sheamon reprit sa taille normale en atterrissant. lI n’eut pas besoin de jeter un coup d’œil derrière lui pour vérifier l’état de son adversaire. A présent, son profil devait ressembler à celui d’un hérisson. Pas très beau à voir…

L’exorciste se tourna vers le commandant Ace, qui paraissait étonné de ce dénouement, mais peu inquiet. Il n’avait toujours pas bougé de son fauteuil.

  • Aïe, il va y avoir du dégât, déclara-t-il en secouant la tête.
  • Je crains que vous ne soyez obligé de venir chercher ma tête vous-même, commandant, répliqua Sheamon. Si vous voulez ma prime, il va falloir la mériter.

Il laissa partir un carreau d’arbalète qu’Ace dévia sans effort avec une carte apparue entre ses doigts.

  • Ma philosophie, Monsieur Wave, c’est que la victoire appartient à celui qui sait la saisir, déclara-t-il. Je ne gaspille jamais mes efforts pour rien. Vous êtes un adversaire redoutable, mais je n’ai pas besoin de me battre contre vous. Je préfère attendre que vous vous épuisiez un peu avant de vous porter le coup fatal.
  • Vous n’avez pas trop le choix. Votre chien de garde est mort, et vous allez le suivre.
  • Au risque de vous décevoir, Bhakkar ne mourra pas aussi facilement.

Sheamon haussa les sourcils, perplexe. Il avait senti l’aura du lieutenant avant de l’affronter. Le renégat avait été surpris de constater que Bhakkar n’était autre qu’un humain qui possédait un fond de magie en lui, probablement lié à des enchantements utilisés pour le rendre plus fort. Mais il n’en demeurait pas moins un mortel sans pouvoir spécial. Pourquoi donc Ace était-il aussi confiant? 

Une multitude de bruit de bottes foulant le sol d’un pas rapide résonna soudain dans la grande salle.

  • Intrus détecté dans la salle de contrôle ! lança une voix qui semblait provenir de haut-parleurs invisibles. Etat d’alerte de niveau trois enclenché ! Protégez le commandant à tout prix !

Sheamon pesta intérieurement. Si le reste des soldats du Harakaï venaient en renfort, la situation pourrait devenir difficile à tenir pour lui. Il devait en finir au plus vite avec le commandant. Le sourire de ce dernier s’étira justement. Cela l’amusait de le voir se débattre ainsi...

Sheamon sentit soudain le danger, alors qu’un bruit mat lui parvint derrière lui. Il se jeta sur le côté juste avant que la massue du lieutenant ne l’écrasât. L’exorciste se rétablit d’une roulade et se retrouva sur un genou à deux pas du point d’impact, qui avait creusé un nouveau cratère dans le sol. Soudain, tout fut clair dans sa tête, et il comprit le secret de la puissance de Bhakkar.

Le lieutenant, toujours transpercé par des dizaines de cartes dans tout le corps, relevait son arme avec un violent regard haineux.

  • Toi… rugit-il en projetant à nouveau son terrible gourdin vers l’exorciste, qui esquiva encore une fois. Tu as osé détruire mon hôte… Cela fait vingt ans que je possède ce corps ! Je vais T’ECRASER !

Celui-ci semblait muer à la vitesse de l’éclair. Ses vêtements se déchirèrent tandis que son physique gagnait en muscles, chose qui semblait impossible pour lui. Sa peau prit une couleur grise et se transforma en pierre. Des pics sortirent de sa colonne vertébrale. Il devint de plus en plus grand, jusqu’à atteindre plus de huit mètres de haut…

Sheamon pesta intérieurement lorsqu’il se retrouva face à la véritable forme de Bhakkar… Il comprenait à présent pourquoi un humain apparemment sans pouvoir avait pu grimper jusqu’au poste de lieutenant. Désormais, son adversaire ressemblait à une immense créature de pierre vaguement humanoïde, avec un visage qui tenait désormais plus du monstre que de l’homme. Le renégat savait à quoi il était confronté. C’était un élémental... Un élément de pierre, à en juger par son allure.

L’élémental était un esprit errant qui avait fusionné avec un élément. Les résultats de ces fusions étaient aussi surprenants que dangereux. Sheamon avait déjà eu affaire à un élémental qui avait fusionné avec un nuage… Il avait mis des jours à le capturer.

  • Je crois que Bhakkar meurt d’envie de faire de vous son nouvel hôte, Sheamon, remarqua Ace, sarcastique.
  • Je ne suis pas intéressé, répliqua le renégat.

L’élémental rugit et leva la massue qui avait désormais la taille d’un petit gourdin dans son poing de pierre. Il voulut l’abattre sur Sheamon, mais ce dernier esquiva en déployant ses ailes. Il chercha tout de suite à atteindre le bras de Bhakkar pour aspirer sa force vitale.

Ses sens l’alertèrent juste à temps, et il battit des ailes pour se mettre hors de portée des cinq cartes tranchantes passant en trombe devant lui… trois filèrent sans dommages. Une autre déchira sa manche droite et la dernière lui érafla légèrement l’épaule gauche.

  • Je me suis assez diverti comme ça à vous observer tous les deux ! déclara alors Ace en déployant des ailes de démon pour s’envoler à son tour. Il est hors de question que je vous laisse saccager plus longtemps mon vaisseau… Il m’appartient, après tout.

Sheamon s’empara alors d’une bombe d’eau bénite à sa ceinture et la lança vers son adversaire, tout en effectuant un tonneau dans les airs pour éviter la main rageuse de Bhakkar qui cherchait à l’attraper.

Alors que le projectile arrivait à toute vitesse dans sa direction, Ace leva le bras et un mur de cartes apparut devant lui. La bombe éclata contre cet obstacle magique, éclaboussant les alentours. Quand le bouclier de cartes se scinda en deux, Ace écarta les bras avec son agaçant sourire satisfait.

  • C’était un peu trop prévisible, ricana-t-il. J’attends mieux, beaucoup mieux de la part d’un ancien capitaine des Indomptables.

Sheamon n’eut pas le temps de répliquer car Bhakkar avait lancé une nouvelle attaque qu’il dut promptement esquiver. Il se rendit alors compte qu’il n’était plus qu’à quelques mètres seulement de la baie vitrée derrière lui. Reculer lui était donc désormais interdit…

Mais face à lui, l’immense monstre de pierre se dressait de toute sa taille. Ace se posa à cet instant sur l’épaule de son lieutenant, le visage arborant une sombre satisfaction tel un corbeau de mauvais augure.

  • Je crois bien que le combat est terminé, mon ami, commenta-t-il. Vous vous êtes battu avec ténacité, mais nous avons clairement l’avantage.

Derrière l’élémental, les portes de la salle s’ouvrirent brusquement, laissant passer un flot continu de mercenaires du Harakaï, fusil au poing. En un clin d’œil, et dans une parfaite coordination, les soldats se placèrent de part et d’autre de Bhakkar en pointant leurs armes en direction de Sheamon.

L’exorciste était désormais ceinturé par un demi-cercle entier d’ennemis…

  • Et voilà qui vient sceller l’issue de ce dernier acte, acheva le commandant démon. Rendez-vous, Sheamon. Il n’y a plus aucune échappatoire.

Le renégat devait se rendre à l’évidence : il avait échoué. L’élimination d’Ace et Bhakkar lui aurait permis de mettre hors-jeu la trente-deuxième flotte du Harakaï. Sans officier pour les commander, les mercenaires auraient certainement abandonné la traque de Triss, facilitant grandement leur fuite. De plus, cela aurait privé Forlwey d’un soutien important, le rendant plus vulnérable et facilitant ainsi la tâche de Sheamon. Le renégat avait l’impression de rater une opportunité en or pour réduire le nombre de ses ennemis déjà remarquablement élevé. Mais dans cette situation… Affronter à la fois un élémental, un démon aguerri et une armée de mercenaires dans une salle close de surcroît, serait bien trop risqué pour lui. Il ne lui restait donc qu’une option : la fuite.

Sheamon avait compté ses carreaux d’arbalète méticuleusement avant chaque tir. C’était nécessaire pour savoir précisément quand les deux carreaux explosifs qu’il avait toujours dans son chargeur sortiraient de son arme. Bien sûr, il pouvait au besoin tourner lui-même le chargeur pour être sûr de tirer la bonne munition, mais dans le feu de l’action comme maintenant, le faire manuellement était dangereux… C’est pourquoi le renégat préférait s’en remettre à sa mémoire. Il leva à nouveau son arbalète et pressa la détente.

Le carreau qu’il avait chargé peu avant fusa comme un éclair et se ficha dans l’épaisse protection de pierre constituant le corps de Bhakkar.

Ce dernier arracha le projectile :

  • Ridicule ! rugit-il en plaçant ce dernier à hauteur de ses yeux, comme une minuscule brindille entre ses doigts. Ce n’est pas avec des piqures de moustique que tu parviendras à me transpercer, minable…

Soudain, le carreau lui explosa au visage, le forçant à reculer avec un cri de rage et de douleur entremêlées. Un épais nuage de fumée blanche envahit aussitôt la salle. Sheamon s’y était préparé et, en prévision, avait fermé les yeux et retenu sa respiration. Ce carreau d’arbalète contenait de la lacrypic, une solution alchimique hautement irritante fabriquée avec un soupçon de magie. Quiconque en respirait ou y exposait ses yeux se retrouverait aveuglé pendant plusieurs minutes et peinerait à retrouver sa respiration. A en juger par les exclamations paniquées et les lamentations des mercenaires, eux n’avaient pas eu le même réflexe.

Il posa aussitôt sa main droite contre la vitre.

« Division ».

La baie vitrée tout entière trembla, avant d’éclater en morceaux. L’air frais entra aussitôt dans la salle de commande. En se protégeant le visage avec ses bras, Sheamon n’hésita pas plus longtemps et sauta dans le vide au moment où la voix étouffée et rageuse d’Ace retentissait :

  • Tuez-le ! Feu à volonté !

Les multiples détonations résonnant derrière lui apprirent à Sheamon que, malgré la situation critique, la discipline rigoureuse du Harakaï avait fait réagir d’instinct les mercenaires. Mais tirer à l’aveuglette dans un angle aussi ouvert pour toucher une seule cible était presque inutile. La plupart des projectiles sifflèrent donc sans dommage au-dessus de sa tête pour se perdre dans le ciel.

Il sentit tout de même l’une des balles lui érafler le bras droit tandis qu’il tombait en chute libre dans le ciel au-dessus de Nice. L’exorciste compta jusqu’à cinq, puis déploya ses ailes noires d’ange déchu et vira vers le flanc du croiseur.

Quelque chose attira immédiatement son attention dans le centre-ville de Nice, où un dôme d’énergie bleu s’était déployé sur une cinquantaine de mètres. Sheamon était trop loin pour sonder le sol ; cependant, il doutait que le Harakaï fût à l’origine de cet enchantement. Ce qui signifiait qu’un autre groupe de magiciens était présent en ville.

Il jeta alors un coup d’œil à l’Horologium. Comme il le craignait, la grande aiguille indiquait la direction du dôme d’énergie.

Triss était là-bas, et elle était en danger.

La colère gronda dans son cœur, mais il sut la maitriser. Dans une telle situation, il devait agir avec raison. Foncer au secours de Triss alors que le croiseur Harakaï planait toujours au-dessus de Nice était de la folie. Ce vaisseau pouvait raser toute la ville et eux avec.

Sheamon devait à tout prix empêcher ce dernier de les poursuivre. Pour cela, il n’entrevoyait qu’une seule solution : endommager suffisamment le croiseur pour forcer le Harakaï à battre en retraite.

L’exorciste battit vigoureusement des ailes pour se retrouver à la hauteur du flanc gauche du navire de combat. A cette distance, canons et autre artillerie lourde seraient inefficaces contre lui.

  • Le voilà ! déclara une voix au-dessus de lui.

Sur le pont supérieur du navire, un mercenaire l’avait repéré et pointait son fusil dans sa direction. Il tira vers l’ange déchu, qui grâce à son sixième sens, avait déjà anticipé la balle et l’esquiva avant de lever son arbalète. Le carreau se planta dans la gorge de son adversaire qui bascula dans le vide. Mais des cris d’alertes et l’apparition soudaine de nouveaux mercenaires le visant avec leurs fusils lui signifia qu’il était déjà repéré.

Des sirènes d’alarme provenant de l’immense ouverture située dans le flanc du croiseur attirèrent son attention. Il remarqua qu’un vaisseau de combat s’engageait prudemment dans l’étroite ouverture pour quitter le croiseur. Les mercenaires avaient sans doute décidé de déployer leurs navires de patrouille pour le neutraliser plus rapidement. A son bord, seulement six mercenaires, dont un tenant la barre.

Cet aéronef était un modèle basique de classe Iota, un chasseur léger plutôt taillé pour un rôle d’éclaireur que destiné à l’offensive. De ce fait, il n’y avait qu’un seul canon à l’avant du navire volant.

C’était exactement ce qu’il lui fallait.

Sheamon dégaina son épée courte, changea sa trajectoire et se dirigea vers le bâtiment qui s’était dégagé du hangar. Le mercenaire au gouvernail l’aperçut et hurla des ordres à ses camarades tout en tournant la roue prestement.

Le renégat remarqua alors que deux autres vaisseaux sortaient du hangar, séparés de quelques mètres seulement. Il pointa son arbalète et prit à peine le temps de viser avant de tirer, trop occupé à ne pas rester statique pour éviter les tirs hasardeux des mercenaires. Heureusement, atteindre sa cible dans les pires conditions était un domaine dans lequel il excellait. Le carreau explosif fendit les airs et passa sous la voile du vaisseau le plus à gauche avant d’atterrir aux pieds du gouvernail…

L’explosion éclata l’arrière du navire, son souffle faisant basculer les mercenaires à bord. La voile s’embrasa en un clin d’œil. Le vaisseau, désormais incontrôlable, piqua du nez et percuta le second navire, le faisant dangereusement pencher vers la gauche jusqu’à s’écraser complètement, bouchant la moitié inférieure de l’entrée du hangar. Les flammes du premier bateau se propagèrent rapidement au second. Sheamon entendit les cris et les ordres des mercenaires qui devaient essayer à tout prix d’éteindre le feu avant que ce dernier n’atteignît les cales des vaisseaux. Mais quelques instants plus tard, une double explosion retentit, bien plus puissante que la première. Cette fois, c’étaient le moteur interne et le cristal d’énergie alimentant le vaisseau qui avaient explosé. La réaction en chaine fut inévitable…

L’entrée du hangar était désormais masquée par l’incendie grandissant et la fumée noire ne tarderait pas à transformer l’endroit en piège mortel. Le Harakaï mettrait du temps avant de pouvoir relancer ses vaisseaux au combat.

Son sixième sens l’avertit soudain d’un nouveau danger imminent, et il dévia in extremis une balle vicieuse s’apprêtant à lui perforer le crâne. Sheamon se retourna pour s’apercevoir que le seul chasseur Iota ayant réussi à quitter le croiseur Oméga avait entretemps viré dans sa direction. Quand il fut en face de Sheamon, celui-ci se retrouva dans la ligne de mire du canon…

« C’est mauvais » songea subitement le renégat en levant vivement sa paume devant lui.



A suivre...

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