Chapitre 11 : La lettre, Partie 3

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Pendant cinq jours, Triss perdit chaque fois qu’elle affrontait Sheamon. Aucune de ses attaques n’atteignit le renégat.

Ce dernier sentait cependant les capacités de la jeune fille s’aiguiser à chaque affrontement. L’entraînement de Sheamon commençait à porter ses fruits, car Triss devenait de plus en plus forte, dans le combat comme dans la manipulation de sa magie. Il devait se concentrer davantage pour ne pas se laisser surprendre. Sheamon songea qu’en quelques années, cette gamine surdouée deviendrait incontestablement une guerrière redoutable.

Mais ce qui l’étonnait le plus, c’était que malgré les défaites successives, la jeune fille conservait un sourire assuré à la fin de chacun de ses combats. Le renégat ne parvenait pas à comprendre d’où lui venait une telle confiance. Elle aurait normalement dû serrer les poings de frustration, alors que le jour fatidique approchait inexorablement…

Le matin, elle sortait tôt de sa chambre pour s’entraîner avec Dast. Sheamon aurait voulu jeter un coup d’œil, mais la jeune fille lui avait formellement interdit l’entrée de la salle secrète pendant ces mystérieux exercices. Il s’était alors contenté de hausser les épaules, toujours persuadé de sa victoire.

Le sixième jour arriva très vite. Sheamon avait passé son temps à préparer son équipement pour l’opération, son regard passant régulièrement sur l’Horologium à son poignet. La grande aiguille indiquait la direction de la chambre de la jeune fille, tandis que l’autre était figée sur la lune, symbole des pensées, de la réflexion et de la méditation. Elle devait probablement peaufiner sa stratégie. Demain soir, ils lanceraient leur opération avec Amalia et Dast. Restait à savoir si Triss ferait ou non partie de l’équipe. Il lui avait dit de l’attendre à seize heures pour le duel décisif et la jeune fille s’était contentée d’acquiescer. Le renégat avait hâte de voir ce que produiraient les efforts de cette gamine.

A l’heure prévue, il se rendit à la salle secrète et enleva son déguisement magique tout en descendant les marches. En entrant, l’exorciste constata que Triss l’attendait déjà, son épée à la main. Amalia avait dû lui donner sa clé.

  • Déjà prête ? s’étonna l’exorciste.

Triss hocha la tête. Elle dégageait une aura de concentration, teintée d’une légère tension. La jeune fille était parée pour le combat.

  • Finissons-en, déclara-t-elle avec simplicité.

Sheamon haussa les épaules et s’avança dans l’arène, à trois mètres de Triss. Il n’y avait pas lieu de parler davantage. Chacun connaissait les règles et l’enjeu de ce duel. Le renégat l’avait à chaque fois prévenue qu’elle était libre d’utiliser la magie quand elle le voudrait, mais Triss avait toujours refusé jusqu’alors par pure fierté. Allait-elle se servir finalement de ses pouvoirs en désespoir de cause ? Dans ce cas, il serait prêt.

Il leva trois doigts, indiquant à Triss le moment où le combat commencerait. Cette dernière se mit calmement en position d’assaut.

Le premier doigt s’abaissa. Triss n’avait pas bougé d’un pouce, ses yeux fixés dans ceux de Sheamon.

Ce dernier abaissa son second doigt. Toute trace de tension avait quitté le corps de la jeune fille… Elle était parfaitement maîtresse de sa respiration. Sheamon se souvint de leur premier affrontement. Triss attaquait avec ardeur, déterminée à écraser son adversaire le plus rapidement possible. Mais, ce faisant, la jeune fille gaspillait beaucoup d’énergie en gestes inutiles. Ces quelques jours l’avaient réellement changée.

Sheamon abaissa le dernier doigt.

Aussitôt, Triss lança son épée en l’air. Sheamon haussa les sourcils et suivit du regard la courbe gracieuse décrite par l’arme dans les airs. La jeune fille avait-elle décidé d’abandonner celle-ci ? Difficile à croire… Son sixième sens l’alerta soudain d’un danger imminent et il s’écarta in extremis pour éviter le coup de pied de Triss. Cette dernière récupéra son épée au vol et effectua aussitôt une pirouette sur elle-même, décrivant un arc de cercle horizontal avec sa lame qui força Sheamon à reculer pour éviter d’être touché.

Tout en esquivant les attaques de la jeune fille, l’exorciste esquissa un sourire impressionné. Triss avait lancé son épée en l’air dans l’espoir de le surprendre et avait profité de cette distraction pour lui porter un coup qui aurait pu clore ce duel en quelques secondes. Il devrait bientôt commencer à se défendre s’il ne voulait pas mordre la poussière…

Triss se déplaçait rapidement autour de lui, enchaînant des attaques sur les côtés que Sheamon esquiva sans problème. Quelque chose le gênait cependant. L’épée de Triss frappait dans toutes les directions… sauf sur lui. Comme si la jeune fille visait résolument à côté de lui. Elle continuait également de le faire reculer petit à petit vers le mur. L’exorciste comprit soudain sa tactique.

Comme le toucher était impossible puisqu’il pressentait ses actions, Triss avait adapté sa stratégie. Elle attaquait volontairement ses côtés pour l’empêcher de s’esquiver par la droite ou par la gauche, tout en le forçant à reculer lentement mais sûrement. Son escrime académique semblait également s’être affinée et adaptée aux exigences d’un vrai combat, probablement grâce au mentorat de Dast. L’exorciste remarqua tout de même quelques failles dans la garde de son adversaire, mais il était certain qu’elle les avait déjà repérer. Cependant comme elle savait qu’il ne contre-attaquerait pas, la jeune fille négligeait sa défense au profit d’une offensive totale. Et quand Sheamon toucherait le mur, il n’aurait plus aucun moyen de s’échapper. Elle utilisait les règles à son avantage.

Le sourire de l’exorciste s’agrandit de fierté devant les progrès de son élève.

« Bonne technique ! » la complimenta-t-il intérieurement. « Mais cela ne sera pas suffisant. Voyons maintenant comment tu te débrouilleras avec ça… »

Lorsque l’épée de Triss frappa à sa gauche, Sheamon d’un geste fluide de la main dévia la course de l’arme en repoussant le plat de la lame. Il vit l’étonnement se peindre brièvement sur le visage de Triss, avant que la jeune fille ne recouvrât son masque de détermination. Elle pivota sur elle-même pour envoyer un rapide et puissant coup de pied en direction de sa poitrine, mais l’exorciste n’eut qu’à se baisser en effectuant une roulade sur le côté pour se dégager du piège ainsi tendu. Il se rétablit habilement sur ses jambes et sauta en arrière pour esquiver la lame de Triss. Les deux adversaires s’observèrent alors quelques instants calmement en se tournant autour.

  • Bien joué gamine, déclara Sheamon en ne quittant pas son adversaire des yeux. Tu deviens de plus en plus redoutable.
  • Tu peux te rendre, si tu veux, rétorqua Triss en esquissant un sourire provocateur.

Sheamon eut un rire amusé.

  • Ce n’est pas suffisant pour m’atteindre ! répliqua-t-il en jouant le jeu. Tu es encore trop prévisible, gamine. J’espère que tu as d’autres tours dans ton sac, parce que ce n’est pas avec ce que tu viens de me montrer que tu remporteras ce duel !
  • Qui te dit que j’ai tout montré ? s’enflamma la jeune fille.

Elle s’élança dans sa direction, plongeant son épée vers sa cible. Sheamon esquiva d’un pas rapide sur le côté… et se retrouva nez à nez avec le poing de Triss qu’elle avait aussitôt enchaîné alors qu’il esquivait son attaque. Elle avait mis ses enseignements à profit et se servait des coups de corps à corps qu’il lui avait appris. Une bonne initiative… pour une débutante !

« Prévisible » songea Sheamon avec une sombre satisfaction.

Sa main droite repoussa le poignet de Triss et celui-ci rata sa cible de quelques centimètres. Pourtant, Sheamon ressentit l’appel d’air provoqué par le mouvement de son adversaire et il calcula la puissance de ce coup. Il serait dangereux de se prendre une attaque pareille…

Triss n’avait pas fini. Elle plia son bras gauche et enchaîna avec un coup de coude, puis un arc de cercle horizontal de sa lame que Sheamon esquiva sans difficulté. Le renégat, obligé de rester continuellement en mouvement, parut un moment en déséquilibre. Triss sauta sur l’occasion et le chargea à la manière d’un taureau. Mais de nouveau, Sheamon esquiva. La jeune fille l’attaqua de tous les côtés simultanément, le forçant à s’échapper encore. Triss semblait loin d’être épuisée. Une preuve supplémentaire de ses immenses efforts. Son dur entrainement avec l’absordium lui avait permis d’accroitre son endurance.

Mais le combat durait depuis douze minutes. La fin était proche et malgré ses prouesses indéniables, Triss n’était pas parvenue à le mettre réellement en difficultés.

Il éprouva soudain de la culpabilité à l’idée de la défaite qui attendait sa protégée. Amalia avait raison, il ne lui avait lancé ce défi que dans le but de la contraindre à rester en sécurité au Primera. Et dans un pareil combat, Triss n’avait absolument aucune chance. Mais les risques étaient trop grands et il ne pouvait absolument pas perdre Triss. Sa vengeance en dépendait.

Il se dégouta d’être aussi égoïste.

Quatorze minutes s’étaient écoulées. Le combat approchait de son terme.

  • Il ne te reste plus qu’une minute, gamine ! annonça-t-il en évitant un coup d’épée asséné avec vigueur.

Curieusement, la concentration de la jeune fille semblait s’être affermie contrairement au désespoir auquel il s’attendait. Ses attaques se multiplièrent et Sheamon dut se concentrer à son tour pour éviter d’être touché.

Dix secondes. Triss parut faiblir, son épée devint légèrement plus lente tandis que ses coups semblaient moins puissants. Elle commençait sans doute à s’épuiser.

Cela faisait quinze minutes. L’exorciste esquiva une nouvelle fois la lame de Triss et lui attrapa le poignet en lui balayant les jambes d’un geste rapide. Il ne lui fallut que quelques instants pour mettre la jeune fille à terre.

  • C’est terminé, déclara Sheamon, presque à regret.

Il croisa brusquement le regard de Triss dont les yeux étincelaient… De triomphe.

  • Ce n’est pas fini ! rugit soudain la jeune fille avec défi.

Ce qui se passa ensuite, Sheamon n’aurait jamais pu le prévoir. Son sixième sens, pourtant si aiguisé, s’avéra incapable de réagir.

Les yeux écarlates de Triss brillèrent d’un éclat surnaturel, puis son corps explosa littéralement avant de se transformer en une véritable nuée de chauves-souris. Sheamon eut le réflexe de reculer, mais l’essaim de créatures volantes l’entourait déjà, obstruant son champ de vision. Des dizaines de pensées se bousculaient dans sa tête. L’exorciste savait ce qui venait d’arriver, mais il ne parvenait pas à y croire. C’était impossible. Une novice complète ne pouvait pas avoir appris à voler comme les nosferatus, pas en si peu de temps !

Il réalisa alors qu’il parlait de Triss Nocturii, fille de la Reine de la Nuit, l’une des personnes les plus puissantes de ce monde.

Brusquement, l’essaim de chauve-souris fusa derrière lui. Son sixième sens l’avertit soudain d’un danger imminent et il se retourna.

Triss avait surgit de la nuée de chauve-souris qui s’était évaporée, pointant son épée vers la poitrine de Sheamon. Ce dernier comprit que cette fois, Triss allait toucher sa cible. Il réagissait trop lentement, son corps n’aurait pas le temps de bouger assez vite pour esquiver le coup.

C’est alors que le renégat eut l’impression de se retrouver sur un véritable champ de bataille. Et pour la première fois, il ne vit plus Triss comme une gamine surdouée qu’il entrainait, mais comme une redoutable Nocturii prête à lui embrocher le cœur. Alors, face à la menace imminente que représentait celle-ci, l’instructeur céda sa place au guerrier. Le cerveau de Sheamon cessa de réfléchir et passa en défense automatique.

Il libéra la puissance de son Souffle, écrasant mentalement son ennemi. Le sourire triomphant de Triss se transforma aussitôt en une grimace de douleur, tandis que son corps se paralysait brutalement. Son épée lui échappa des mains.

Vive comme l’éclair, la main de Sheamon attrapa sa gorge et faucha ses jambes d’un simple balayage. Triss vola en l’air avant de s’écraser sur le sol, toujours maintenue par la poigne d’acier du renégat. Mécaniquement, ce dernier leva sa main droite, qui s’illumina d’une inquiétante lueur blanche.

« Division Absolue ! » ordonna-t-il avant d’abattre sa main telle une lame mortelle en direction du visage de la jeune fille, terrifiée.

C’est alors qu’il croisa le regard de la jeune fille… Qui se superposa aussitôt à celui d’Elly.

Sheamon utilisa toute sa volonté pour arrêter sa main à trois centimètres seulement du visage de Triss. Les symboles de l’enchantement protecteur autour de l’arène se mirent aussitôt à rougeoyer avant de s’éteindre brusquement. Un effroyablement craquement retentit, tandis que des fissures noires s’étiraient de part et d’autre de la jeune fille telles de sombres toiles d’araignée. La structure entière du Primera se mit à trembler violemment. La lumière éclairant la salle vacilla.

Le souffle court, Sheamon s’écarta comme si ce simple contact l’avait brûlé. Il mit un moment à reprendre le contrôle de sa respiration. L’exorciste relâcha alors la pression sur l’esprit de Triss, qui prit une profonde inspiration en tremblant de tout son corps, cherchant son souffle. Son visage était couvert de sueur et elle fixait le plafond avec incrédulité, comme si elle était étonnée d’être encore en vie.

Une minute entière passa dans ce silence quasi irréel. Sheamon le rompit en premier.

  • Je… Je suis désolé, gamine, murmura-t-il avec sincérité. J’ai…

Il ne put terminer sa phrase. Que pouvait-il lui dire ? Qu’il avait ressenti une aura formidablement puissante émanant de la jeune fille ? Qu’il s’était cru en danger de mort, et qu’il avait réagi dans l’intention d’écraser son adversaire ? Elle penserait probablement qu’il se moquait d’elle ou pire, qu’il l’avait prise en pitié. Mais Sheamon ne pouvait se mentir ; pendant un instant, il avait oublié que leur duel n’était pas réel. Pendant un instant, Triss avait été une véritable menace pour lui. Et il avait perdu le contrôle. Son instinct de survie avait pris le pas sur le reste.

  • C’était… J’ai cru que j’allais mourir… articula finalement Triss, l’esprit ailleurs. Je n’ai jamais rien senti d’aussi…

Elle se redressa, encore sous le choc, mais semble-t-il plus impressionnée que terrifiée. Sheamon sortit une fiole de sang qu’il lui tendit. Il avait prévu qu’elle serait à bout de forces après leur duel. Mais il ignorait que leur affrontement se terminerait ainsi. La jeune fille l’accepta sans un mot, toujours secouée. Elle la vida d’un trait. Nouveau silence…

  • Depuis quand maîtrises-tu l’envol ? lui demanda le renégat en tournant vers elle un regard admiratif que la jeune fille ne vit pas. Tu m’as dit que tu n’avais jamais appris à voler comme les vampires.
  • C’était vrai ! rétorqua Triss en retrouvant sa vigueur habituelle. Mais c’est en m’entraînant avec Dast que j’ai compris qu’il était impossible de surpasser ton sixième sens… Il me fallait quelque chose d’imprévu, qui te surprendrait à tous les coups. C’est à ce moment-là que je me suis rappelé ce que tu m’avais expliqué sur la façon dont les nosferatus volent. Dast m’a donné quelques conseils sur la façon dont il déployait ses ailes et j’ai essayé de les adapter sur moi. Je me suis entraînée tout la semaine pour réussir à me transformer ! Mais je ne parviens pas à maintenir cette forme plus de dix secondes. C’est à la fois étrange… et effrayant. Comme si mon âme était séparée en dizaines de morceaux, et que je devais tous les faire bouger en même temps… Au début, je ne réussissais même pas à me diriger.

Le visage de Triss s’assombrit et elle baissa la tête. La déception qui se peignait sur son visage planta un pic de culpabilité dans le cœur du renégat.

  • Mais j’ai quand même perdu, acheva-t-elle.
  • Je ne crois pas non, répliqua Sheamon se relevant.

Il sentit le regard étonné de Triss. Lui non plus ne parvenait pas vraiment à se comprendre, d’ailleurs. Intérieurement, il était divisé. Sa raison lui criait de ne pas lui permettre de participer à l’opération. C’était bien trop dangereux pour elle. Mais une partie de lui plus sentimentale lui soufflait de lui laisser sa chance, et il était d’accord. Triss avait prouvé sa valeur et largement mérité sa place dans cette opération risquée. De plus, cela arrangeait leurs affaires puisqu’ils n’auraient ainsi plus besoin d’extraire le maire de la forteresse et pourraient directement se faire apposer la Marque avant de s’enfuir.

Sheamon sentit un regain d’admiration pour la jeune guerrière qui lui faisait face. Cette gamine était vraiment exceptionnelle.

  • Ce dernier coup à la fin m’a vraiment pris par surprise, avoua-t-il d’un ton bourru en fixant le plafond d’un air embarrassé. Et tu m’as forcé à transgresser les règles de notre duel. Si je n’avais pas utilisé la magie, tu aurais gagné. Pendant un instant, tu… Tu m’as paru menaçante. C’est pour ça que j’ai réagi de manière, hum… peut-être un peu brutale…
  • Un peu ? répéta Triss en lui lançant un regard incrédule. J’ai failli mourir et le bâtiment entier a tremblé ! J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux !
  • J’ai compris, gamine ! Je suis désolé, vraiment ! Amalia va me tuer pour ça…

Sheamon secoua la tête et reprit d’une voix plus ferme.

  • Ce que je veux dire, c’est que pendant un instant, tu m’as inquiété, on va dire. Ça n’a pas duré plus de cinq secondes, bien sûr ! ajouta l’exorciste devant le regard soudain triomphant de Triss. Mais à cause de ça, j'ai enfreint les règles. Tu mérites cette victoire.

Le visage de la jeune fille se teinta d’amertume et Sheamon haussa les sourcils. Il lui avait pourtant accordé ce qu’elle voulait !

  • Quoi encore ? s’enquit-il avec agacement.
  • Je n’ai pas gagné, le temps était écoulé quand j’ai lancé ma dernière attaque… répliqua cette dernière.
  • Je n’ai jamais dit que quinze minute était la limite. J’ai dit que passé quinze minutes, je me défendrai. Et puis, le fait que tu m’aies forcé à utiliser la magie prouve que tu n’es pas sans défenses.
  • Mais je n’aurais pas gagné dans un véritable…
  • Si tu veux gagner un vrai duel contre moi, il te faudra au moins un siècle d’expérience ! La coupa Sheamon avec exaspération. Tu es loin d’être encore une vraie guerrière, c’est sûr. Il te reste beaucoup à apprendre. Mais tu fais des progrès assez spectaculaires, pour une débutante. Je sais maintenant que tu ne seras pas un fardeau lors de l’opération…

Il détourna le regard et acheva sa phrase, légèrement gêné d’avoir à lâcher ces mots.

  • …Mais une précieuse alliée, Triss.

Un silence embarrassant s’installa soudain entre la princesse et l’exorciste. Tous deux ne savaient que dire pour relancer la conversation. Puis Triss esquissa un sourire de triomphe.

  • Tu viens de m’appeler par mon nom, s’enorgueillit la jeune fille.
  • Absolument pas, gamine ! riposta Sheamon avec une parfaite mauvaise foi en la dépassant pour sortir de la salle secrète. Maintenant file, ou reste… Fais ce que tu veux en fait ! Moi je vais annoncer à Amalia la nouvelle. Et probablement me faire tuer pour les dégâts…

Comme il lui tournait le dos, il ne vit pas le sourire reconnaissant de la jeune fille qui le suivait du regard.

Il grimpa l’escalier d’un pas rapide. Décidément, cette gamine avait le don de l’agacer au plus haut point ! En même temps, une pointe de fierté perça son cœur quand il mesura les progrès réalisés par Triss.

C’est alors qu’il se trouva face à Amalia et Dast qui descendaient. Son amie avait l’air alarmé et tenait une enveloppe déchirée dans sa main. Sheamon leva tout de suite les mains en signe de paix.

  • Je suis désolé Amalia, tout est de ma faute, capitula-t-il aussitôt, redoutant une colère comme seule la maitresse du Primera en était capable. Je n’ai pas contrôlé mes pouvoirs, et les choses ont quelques peu dérapé… Je payerai s’il y a le moindre dégât ou que ce…
  • Je me doutais que c’était toi le coupable de toutes ces secousses, le coupa Amalia, ses yeux lançant des éclairs. Mais ce n’est pas le plus important. Regarde ce que nous avons reçu aujourd’hui.

Elle lui tendit la lettre. Sheamon, intrigué, la prit alors que Triss les rejoignait avec inquiétude.

  • Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.

Sheamon ne lui répondit pas. Sur l’enveloppe était écrit à l’encre, dans une belle écriture appliquée : à l’attention de Nikolaï Florenta, à l’hôtel-casino Primera.

Le renégat tressaillit. C’était la fausse identité que lui et Amalia avait utilisée depuis qu’il était arrivé à Lutécia pour couvrir ses traces. Hormis le personnel du Primera, personne ne connaissait ce nom. Celui qui avait envoyé cette lettre devait forcément savoir qui se cachait derrière ce masque… Avec appréhension, Sheamon ouvrit l’enveloppe :

Mon Ami,

Quelle joie de savoir que tu te décides enfin à me rendre visite ! Cela fait si longtemps, je crois bien que tu ne me reconnaitras pas. J’espère que tu ne m’en voudras pas, on est un peu à l’étroit chez moi en ce moment, mais j’espère déménager bientôt dès qu’une Occasion se présentera. Dis-moi, as-tu des nouvelles de notre ami l’amateur de tapisseries ? Je crains qu’il ne m’en veuille encore depuis la dernière fois. Cela m’attriste, mais crois-Moi je ne vais pas en mourir !

Tu sais déjà où j’habite, mais il est possible que je ne t’entende pas lorsque tu frapperas à ma porte, car la famille qui habite au-dessus de chez moi est incroyablement bruyante et figure-toi que demain soir, ils feront la fête ! Je joins donc à ce petit mot la Clé de l’entrée. Sans elle, tu n’arriveras pas à passer !

J’ai hâte de te retrouver, vraiment. Notre duo d’Enfer m’a manqué.

J.P

  • Qu’est-ce que cela veut dire ? marmonna Triss qui avait lu par-dessus le bras de Sheamon. Je n’y comprends rien.
  • Tu n’es pas la seule, rassure-toi ! maugréa Amalia. Cela ne peut pas être une coïncidence, pourtant ! Je veux bien croire qu’il existe beaucoup de Nikolaï Florenta, mais tu es le seul qui loge ici !
  • Connaissez-vous ce fameux J.P, Monsieur Wave ? demanda Dast. Car lui semble vous connaitre.
  • Je suis certain de ne jamais l’avoir rencontré, répondit l’exorciste en plissant les yeux, relisant le texte une nouvelle fois. Mais vous avez raison. Lui sait qui je suis.
  • Il y a quelque chose d’étrange… remarqua alors Triss en se penchant un peu plus. Certains mots ont une majuscule alors qu’ils sont au milieu d’une phrase.

Amalia arracha la lettre des mains de Sheamon et la relut à son tour.

  • Ami, Occasion, Moi, Clé, Enfer, résuma-t-elle rapidement en se tournant vers Sheamon. C’est trop bien imbriqué pour être une coïncidence… Si je résume le sens de la lettre, c’est quelqu’un qui se prétend ton ami.
  • Et qui semble attendre une Occasion, ajouta Dast. Il a besoin d’aide.
  • Et il est certain que je l’aiderai, parce qu’il possède la Clé des Enfers, résuma Sheamon en se tournant vers Amalia. Ce type sait ce que je veux.
  • Attendez, intervint Triss en fronçant les sourcils. La Clé de l’Enfer ? On parle bien des portes immenses à l’autre bout de la ville ? Il y a une clé qui les ouvre ?
  • Elles sont commandée par magie, lui expliqua Amalia en secouant la tête. Il n’y a pas de « clé » au sens physique du terme. Peut-être parle-t-il du sceau que détient Thénardier, mais dans ce cas je ne vois pas pourquoi il aurait utilisé le mot « clé ». Sans doute parce que c’est moins suspect dans une lettre ?
  • Je crois que nous faisons fausse route, intervint Dast en secouant la tête avant de répéter les trois derniers mots. Moi, Clé, Enfer. A mon avis, il ne dit pas qu’il possède la clé de l’Enfer. Je pense plutôt que cela signifie que c’est lui la « Clé ».

Sheamon hocha la tête.

  • Ça correspond. Et c’est cohérent avec la suite du message ; sans elle, tu n’arriveras pas à passer… Ce qui veut dire que sans lui, je ne pourrai pas accéder à l’Enfer.
  • Mais cela ne nous dit pas qui il est ! s’impatienta Triss.

Sheamon relut à nouveau la lettre à la lumière du message décrypté. Les initiales J.P résonnaient dans sa mémoire, mais il ne parvenait pas à trouver le lien. Un passage lui sauta soudainement aux yeux : Dis-moi, as-tu des nouvelles de notre ami l’amateur de tapisseries ? Je crains qu’il ne m’en veuille encore depuis la dernière fois.

Le déclic se fit aussitôt dans son esprit. L’amateur de tapisseries. Le Tisserand. Le message parlait de Dorkos ! Quant au J.P…

  • Jonas Perceval, déclara Sheamon en levant les yeux. C’est lui qui a écrit cette lettre !
  • Qui ?! réagirent Triss et Amalia en chœur.
  • Jonas Perceval, répéta le renégat. C’est le prisonnier que Dorkos m’a demandé d’éliminer. Il sait que le Tisserand m’a chargé de le tuer ; c’est à lui qu’il fait référence quand il parle de l’amateur de tapisseries. Je ne sais pas comment il a pu m’écrire alors qu’il est censé croupir dans les geôles municipales, mais j’imagine qu’il doit avoir quelques contacts…
  • Attend, l’arrêta Amalia, soucieuse. Le prisonnier que Dorkos t’a chargé de tuer, c’est Jonas Perceval ?
  • Tu le connais ? s’enquit Sheamon, surpris.

Amalia secoua négativement la tête.

  • Je ne l’ai jamais rencontré. Mais j’en ai entendu parlé. Ce démon est arrivé en ville il y a quelques mois. Il s’est rendu célèbre en remportant des dizaines de paris et en amassant des sommes folles aux jeux de cartes chez deux de mes concurrents. On prétendait qu’il était imbattable. La haute société démone s’arrachait ses services. Mais il y a un mois, il a été arrêté par la milice pour escroquerie, à la suite de quoi il aurait été banni de Lutécia pendant trente ans et reconduit hors de la ville.
  • Mais si ce que dit la lettre est vrai, cela signifie que les autorités ont menti et que Jonas Perceval est bien emprisonné dans la forteresse, intervient Dast.
  • C’est surement un coup de Thénardier, grommela Amalia. Il n’a pas dû laisser passer une occasion pareille, lui qui cherche toujours à conserver son poste.
  • Je ne comprend pas, demanda Triss, intriguée. Pourquoi tout le monde s’arrachait-il ses services, et surtout pourquoi le maire voudrait le garder prisonnier ? C’est un grand mercenaire ?
  • Non. C’est un devin.

Triss et Sheamon échangèrent un regard. Un devin… Cette information expliquait beaucoup de choses, notamment comment son mystérieux correspondant savait où était Sheamon et sous quel nom il se cachait. Rares étaient en effet ceux qui possédaient le pouvoir de divination, la magie permettant de révéler le futur. Pour cette raison, les devins étaient très recherchés par les riches et les nobles qui désiraient lever le voile sur leur avenir pour mieux le contrôler. Leurs services valaient généralement une fortune. Pas étonnant que l’ambitieux maire de Lutécia désire garder le pouvoir de Jonas Perceval pour lui.

  • Le message est clair maintenant. Il sait que nous allons nous infiltrer dans la forteresse pour dérober le sceau du maire, déclara Amalia. Et il veut que tu viennes le libérer car, sans son aide, vous ne pourrez pas passer les portes.
  • Comment peut-on être certains qu’il dit la vérité ? intervint Triss. Il est en prison depuis un mois, c’est évident qu’il doit vouloir sortir à tout prix. Peut-on être sûrs qu’il ne ment pas exprès pour qu’on aille le délivrer ?
  • C’est sûr que le fait qu’il connaisse l’avenir ne garantit en rien qu’il nous dira la vérité, acquiesça Amalia. Toutefois il vient de nous prouver qu’il connait notre plan, et il nous avertit que ce sera un échec. Perceval doit connaitre des choses cruciales dont nous ne savons encore rien. A mon avis, on ne peut pas se permettre d’ignorer son message, même s’il est possible qu’il mente. Mais personnellement, le fait que Dorkos veuille le tuer et que Thénardier le retienne prisonnier me fait penser qu’il dit la vérité. Ce n’est clairement pas leur ami. Ça pourrait être le nôtre, en revanche.

Triss, Amalia et Dast tournèrent leurs yeux vers Sheamon, attendant sa décision. Ce dernier baissa les yeux sur la lettre. Au début, il n’avait pas eu l’intention d’accomplir la mission que Dorkos lui avait confié, car cela lui aurait fait perdre un temps précieux. De plus, l’idée de damner le pion au gobelin n’était pas pour lui déplaire. Il ne voulait pas s’impliquer dans le sort du prisonnier. Cependant Amalia avait raison. Il était possible que Jonas Perceval mentît pour sauver sa peau, mais s’il avait bien raison, alors leur plan était voué à l’échec et il était leur seule solution. Or retarder l’opération n’était pas une option viable. Une chance pareille ne se représenterait pas avant des mois et leur temps était compté. Sheamon et Triss devaient quitter au plus vite Lutécia et accéder aux Enfers avant que Forlwey ne les retrouve.

  • Je crois que nous n’avons pas le choix, annonça-t-il en soupirant. Nous allons devoir aller rendre visite à Jonas Perceval.

A suivre...

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