Chapitre 21 : Naru, Partie 1

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Jonas se colla au mur alors qu’une patrouille de sorcières survolait la ruelle où il s’était caché. Depuis plusieurs heures déjà, la princesse et la lamia avaient été capturées, mais les sorcières le recherchaient toujours avec autant d’acharnement. Son signalement avait été donné par certains témoins de la bataille sur l’estrade, et beaucoup étaient à ses trousses : apparemment, le marchand d’esclave avait des associés qui n’étaient pas très contents d’avoir perdu une marchandise onéreuse… Fort heureusement pour lui cependant, la foule était encore plus dense le soir : les rues étaient littéralement bondées de monde. Avec son vieux manteau, il passait inaperçu sous sa capuche.

«Au moins, tout n’est pas perdu… » songea-t-il en levant les yeux vers l’ombre de la tour ocre au loin, où il se doutait que la princesse et la lamia étaient détenues. Mais le devin savait aussi qu’il n’avait aucune chance de les sauver… du moins tout seul.

Il allait avoir besoin d’un allié.

Quand ils avaient été séparés, le devin s’était joint au groupe d’esclaves en fuite. Ils avaient réussi à atteindre les égouts et de là, le naga les avait guidés par les galeries souterraines jusqu’à la sortie de la ville, à bonne distance de Qaltra. Jonas s’était fait un devoir de mémoriser l’itinéraire, au cas où. Quand ils étaient enfin ressortis à l’air libre enfin hors de danger, Jonas leur avait indiqué le nord.

  • Allez par-là, leur avait-il recommandé. La route la plus proche est dans cette direction. Vous atteindrez en quelques heures une autre cité et vous serez en sécurité. L’esclavage est interdit dans le reste des Enfers.
  • Vous ne quittez pas la ville ? lui avait demandé le naga avec étonnement. Ce ne sont pas mes affaires, mais ils vont sûrement essayer de vous faire payer pour ce que vous avez fait…

Il avait entièrement raison. Remettre les pieds à Qaltra avant au moins un siècle ou deux était suicidaire. Et puis après tout, la princesse s’était elle-même fourrée dans cette situation. Il n’avait donc plus à honorer son accord avec elle. Mieux, il pouvait même retourner au vaisseau pour dérober le reste de l’or caché dans la valise et s’enfuir avec une petite fortune qu’il n’aurait jamais osé espérer, outre un aéronef en état de marche… C’était tentant !

Jonas savait que la morale et la justice n’attiraient que des ennuis. D’ailleurs c’était précisément parce qu’il avait décidé de sauver une gamine à Lutécia qu’il s’était retrouvé en prison. Aussi était-il incontestablement préférable de se mêler uniquement de ses propres affaires…

Alors pourquoi ne parvenait-il pas à suivre ses propres règles ?

« Si personne ne commence à se révolter, ce n’est pas près de s’arrêter ! » lui avait rétorqué Triss.

Le devin esquissa un sourire. Rien à faire, il était incorrigible.

  • Eh bien, j’ai deux demoiselles à secourir, répondit-il au naga avec une certaine ironie.

Il s’était donc séparé du groupe de fugitifs pour se plonger dans un état de profonde méditation afin d’utiliser ses pouvoirs. Jonas espérait trouver dans l’avenir un moyen de secourir la princesse et la lamia. Malheureusement, les futurs se succédaient avec la même issue fatale ; l’échec complet de ses tentatives de sauvetage, quelle que fût sa stratégie. Néanmoins, Jonas avait persisté : jusqu’alors, il avait toujours trouvé un moyen de s’en sortir, peu importe la situation…

Et il avait fini par entrevoir une issue possible.

Jonas avait alors rebroussé chemin pour retourner à Qaltra par les galeries, alors que la nuit était déjà tombée. Ensuite, en s’aidant de ses visions, il avait cherché où se trouvait son futur allié. Jonas savait qu’il était dans cette ville, parce qu’il l’avait vu dans l’un des fragments de l’avenir de Triss. Mais il avait omis de le mentionner sciemment, soucieux d’éviter la colère de Sheamon. En fait, c’était l’une des raisons qui l’avait poussé à vouloir fuir le vaisseau de Sheamon au plus vite avant que la princesse ne le convainc de rester. Son altercation avec ce type ne lui avait pas vraiment laissé de bon souvenir… Faute de temps pour affûter sa vision, il ne savait pas encore à ce moment-là comment ce futur allié allait se rendre indispensable, néanmoins Jonas savait maintenant que son intervention allait être nécessaire si leur mission de sauvetage devait réussir.

C’était la raison pour laquelle il avait tant tenu à ce que Syana les accompagnât ; car sans elle, jamais l’autre ne les aurait retrouvés. A l’heure actuelle, son maitre avait déjà suivi sa trace jusqu’à Qaltra. Jonas n’avait plus qu’à le chercher à l’endroit où ils étaient destinés à se croiser. Mais aurait-il vraiment besoin de se mettre à sa recherche ? En réalité, son futur allié percevrait sa présence bien avant de le voir, et reconnaîtrait l’aura du démon qu’il avait bien faillit éventrer sur la Place de la Discorde. Ce serait donc lui qui viendrait le trouver.

Le devin entendit soudain derrière lui des bruits de pas qui le rejoignaient dans cette ruelle déserte. Jonas savait parfaitement de qui il s’agissait. Il se retourna avec un sourire légèrement forcé. C’était là que son plan se corsait...

  • Quelle extraordinaire coïncidence, déclara le devin en guise de salut. Le destin nous réunit de nouveau.

La pointe d’Excalibur Mars lui piqua la gorge, le forçant à lever les mains en l’air dans un geste d’apaisement.

  • Evite les paroles inutiles, démon, répliqua Liam d’un ton menaçant. Dis-moi où se trouve Syana, ou tu peux dire adieu à ce monde.

Jonas déglutit. Maintenant, il allait devoir jouer finement ses cartes.

  • J’ai un marché à te proposer mon ami, répliqua-t-il avec une assurance qu’il était bien loin d’éprouver.

***

Triss ouvrit les yeux avec un mal de crâne épouvantable. Elle était adossée à un mur de pierres froides et quand elle tenta de se relever, elle faillit s’écrouler derechef. Il ne lui fallut pas longtemps pour constater que ses fers avaient été attachés à un anneau d’acier fixé au mur. Triss tenta de l’arracher, mais elle abandonna bien vite. Sa migraine empirait et gaspiller ses forces en vain serait stupide. Elle préféra observer l’endroit où elle était retenue.

Sa cellule était une étroite grotte de granite. Il n’y avait pas de mur à sa droite. Seule une barrière d’énergie bleue fermait la chambre. Triss vit au travers qu’elle se trouvait dans une immense prison souterraine ressemblant à un grand puits, qu’un grand escalier en colimaçon remontait en desservant au passage une centaine de cellules comme la sienne. Manifestement, ils étaient presque au fond du gouffre. Matériellement et métaphoriquement…

Au centre, un imposant cristal d’eyra bleu large d’une quarantaine de mètres flottait dans les airs, diffusant dans toute la prison une douce lueur étrangement apaisante. La jeune fille remarqua également que les murs de la cavernes étaient recouverts de toiles d’araignées d’une taille dérangeante… Triss espérait que leur présence soit uniquement due à un personnel de ménage incompétent, et non l’œuvre d’un quelconque monstre répugnant...

Un gémissement l’arracha à sa contemplation. Face à elle, les poignets enchainés au mur comme les siens, gisait Syana, inconsciente. Un filet de sang coulait du coin de sa bouche, et un hématome était apparu sur sa joue droite. Même après avoir été capturée, la lamia avait continué de résister…

  • Hé, l’appela Triss en tendant le pied pour pousser la queue de la lamia. Réveille-toi !

Syana grommela et se tortilla dans son sommeil.

  • Voyons, Maître… susurra-t-elle en esquissant un sourire inconscient. Nous ne pouvons pas… C’est indécent, Maître !

Triss haussa les sourcils, avant de secouer la tête et de bousculer la lamia plus fort. Cette dernière sursauta, ouvrant enfin les yeux pour lui lancer un regard assassin.

  • Pourquoi as-tu fait ça ?! gronda la lamia. J’étais en train de…
  • Rêver de ton maître, je sais, acheva Triss avec agacement.

Syana parut stupéfaite.

  • Comment…
  • Tu parles en dormant.

La créature rougit et voulut se cacher le visage avec ses mains… mais ses bras étant attachés, elle dut se résoudre à affronter le regard de Triss.

  • Où sommes-nous ? éluda-t-elle, préférant sans doute détourner la conversation.
  • Au fond du gouffre… littéralement, marmonna Triss en examinant l’endroit d’un air sombre. Probablement dans la tour des sorcières. Au moins, nous avons réussi à y entrer... Reste à savoir si on pourra en sortir.
  • On doit pouvoir se libérer…
  • J’ai déjà essayé. Ces sorcières sont les reines de l’enchantement. A mon avis on arrivera à rien en forçant le passage. Je pense qu’il vaut mieux attendre de savoir ce qu’elles veulent et de profiter d’une occasion pour tenter de s’enfuir.
  • Es-tu certaine de vouloir attendre aussi docilement ? l’interrogea la lamia en plissant les yeux. Le devin n’a-t-il pas précisé que l’état de Sheamon Wave est critique et que le temps lui est compté ? Lorsque que nous sommes arrivées en ville, plusieurs heures s’étaient déjà écoulées depuis son évanouissement. Et maintenant, depuis quand sommes-nous emprisonnées ? Quatre, cinq heures ? Peut-être plus… Sheamon Wave n’en a sans doute plus pour longtemps.

Triss serra les dents comme un fauve en cage. Elle savait pertinemment que Syana avait raison. Il était peut-être déjà trop tard pour sauver Sheamon.

  • C'est vrai, grommela-t-elle. Mais on n’en sait rien, d’accord ? Tant que Sheamon n’est pas mort, j’ai bien l’intention de tout faire pour le sauver. Et si on rate notre évasion, il n’y aura surement pas de deuxième chance. Donc pour l’instant on ne peut rien tenter. Il faut attendre et prier qu’une occasion se présente.

Syana esquissa un sourire assuré.

  • Bah ! Quoi qu’il en soit, mon Maître viendra bientôt à mon secours, déclara-t-elle, confiante. Il va nous sortir de là en un rien de temps, crois-moi ! Et je n’aimerais pas être à la place de ces sorcières…
  • Il lui faudra forcer l’entrée de la tour et affronter toutes les sorcières à lui tout seul, lui rappela Triss dubitative.
  • Tsss… siffla Syana avec mépris. Elles ne pourront rien contre lui ! Il va les écraser, tu verras bien !

Triss n’y croyait pas vraiment, mais il était inutile de briser les espoirs de sa compagne. Et puis, réfléchit-elle après un instant de réflexion, c’était l’occasion d’en apprendre davantage sur Liam Jeagan, mais aussi par extension sur le renégat…

  • Quand tu as attaqué Sheamon sur le vaisseau… commença-t-elle en choisissant soigneusement ses mots. Tu as bien dit qu’il avait tué le père de ton maître, n’est-ce-pas ?

Le sourire de Syana disparut aussitôt. Quelques secondes de silence passèrent et Triss se raidit sous la tension qui grimpait en flèche.

  • C’est vrai… lâcha la lamia, sur ses gardes. C’est le crime pour lequel il a été banni, l’un des pires qui soient. J’espère que tu comprends à quel point l’homme que tu veux sauver est néfaste, Triss Nocturii. Tu ferais mieux de le laisser mourir. C’est un monstre sans cœur qui t’utilisera jusqu’à obtenir ce qu’il veut, après quoi il te jettera.
  • Sheamon n’est pas comme ça, gronda Triss. C’est quelqu’un de bien…
  • Ah bon ? Et que connais-tu de lui ? rétorqua Syana en la dévisageant d’un air méprisant.
  • Je le sais, c’est tout, répliqua la jeune fille. Sans lui, je ne serais pas là aujourd’hui. Et qui me dit que ton maître n’est pas un sale type, lui ?

La lamia siffla avec colère.

  • Il veut te sauver, grommela-t-elle.

Triss éclata de rire, à la surprise de Syana.

  • Me sauver ? ironisa-t-elle. Comme les anges espèrent me « sauver » en m’enfermant dans une prison pour l’éternité ? Ne me fais pas rire ! Ceux qui sont à ma poursuite ne valent pas mieux que ma mère et les Nocturii ! Ils veulent tous s’emparer de mon pouvoir et s’en servir pour leur propre intérêt… Où est ma liberté dans tout ça, hein ? Pourquoi ton maître serait-il différent DES AUTRES ?

Triss se rendit compte qu’elle avait hurlé la dernière phrase. Sans même s’en apercevoir, la rage l’avait submergée. Elle inspira profondément pour se forcer à rester calme, en attendant la riposte de sa compagne de cellule. Elle s’attendait à ce que Syana répliquât pour défendre l’honneur de son maître. Elle s’attendait à des insultes, un regard de haine, un discours sur les valeurs des exorcistes…

Mais elle n’imaginait absolument pas la tristesse et la compassion que lui adressèrent les yeux de la lamia. Triss fut si surprise que sa colère s’évanouit subitement. Elle observa la femme-serpent en silence, ne sachant plus quoi dire.

  • La plupart des lamias vivent en tribu dans les Enfers, ou bien dans des régions à température élevée, déclara Syana d’une voix monotone, comme si elle récitait un texte. Nous adorons la chaleur. Sûrement notre nature reptilienne, j’imagine. Comme il n’y a que des femelles dans notre race, nous sommes obligées de trouver des compagnons mâles pour assurer la survie de notre espèce. A l’âge adulte, les lamias partent donc plusieurs mois dans ce but et ne reviennent dans la tribu que lorsqu’elles attendent un enfant. Notre taux de natalité est très bas, ce qui fait que nous sommes peu nombreuses. Alors lorsque les nouvelles lamias naissent, elles sont étroitement protégées par l’ensemble de la tribu.

Syana fit une pause comme pour se préparer mentalement à continuer, laissant Triss de plus en plus perplexe. Qu’essayait-elle de lui faire comprendre ?

  • Je suis née dans une tribu qui occupait une île située dans l’Océan Pacifique, reprit la créature. Mon enfance c’était… le paradis, je dirais. Ma mère m’a élevée avec amour, et j’ai passé les premières années de ma vie dans le bonheur. Mais cela n’a pas duré. Il y a dix ans, des braconniers ont mené un raid sur notre village alors qu’une partie de la tribu était partie chasser. Nous avons résisté, mais ce n’étaient pas des amateurs. Ils étaient venus en nombre et armés en conséquence. Beaucoup de celles qui étaient restées furent massacrées sans pitié. Ma mère s’est battue comme une tigresse pour me défendre, mais ils ont fini par la tuer sous mes yeux. J’avais sept ans quand c’est arrivé.

Triss ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt, incapable de prononcer un mot.

  • Les marchands d’esclaves ont capturé les survivantes, puis ils nous ont emmenées jusqu’au continent. Pendant la traversée, nous étions entassées dans la cale des vaisseaux, enchainées aux poutres avec juste assez de nourriture et d’eau pour ne pas mourir… Mais ce fut insuffisant pour étancher notre faim et notre soif. Certaines d’entre nous n’ont pas survécu au voyage et ont été jetées par-dessus bord… Ensuite, nous avons été marquées au fer rouge dans le dos et ils nous ont mis un collier magique capable d’envoyer des décharges électriques sur un simple ordre du contremaitre, tout ça pour briser notre volonté. Je ne sais pas combien de jours j’ai passé dans l’obscurité, pleurant ma mère tout en espérant un miracle… Un soir, ils ont fini par nous faire sortir du vaisseau pour nous conduire dans un grand manoir. On nous a vraiment nourries pour la première fois depuis longtemps, avant de nous maquiller et nous coiffer pour nous rendre aussi attrayantes que possible. On nous a même donné de nouveaux vêtements… qui ne couvraient presque rien. Ensuite, nous avons été trainées jusqu’à une grande salle et placées debout sur une estrade face à une foule de personnes.

Syana inspira longuement.

  • Tu n’imagines pas ce que c’est, d’être placée presque nue face à tous ces gens qui se moquent de ton apparence, qui te regardent comme des jouets, comme si tu leur appartenais déjà… lui expliqua-t-elle avec répulsion. C’est la pire expérience de toute ma vie. Il m’arrive encore d’en avoir des cauchemars et de me réveiller en tremblant…

Triss n’osait imaginer la terreur qu’avait dû éprouver la petite lamia âgée de seulement sept ans, livrée en pâture à de telles atrocités, juste après avoir perdu sa mère. Cela expliquait pourquoi Syana avait paru tellement en colère devant l’étalage des esclaves. Cet odieux spectacle lui rappelait son propre passé...

  • Mais ils n’ont pas eu le temps de nous vendre. Les exorcistes ont soudainement pris d’assaut le manoir, et celui qui menait nos sauveurs était mon maître. Dans la panique qui a saisi les acheteurs tentant de s’enfuir pour éviter d’être apréhendés, l’un des contremaitres s’est emparé de moi comme otage et a voulu s’enfuir par une sortie latérale, mais mon maître lui a barré la route. L’homme me tenait avec un couteau sous la gorge, et moi bien sûr j’étais terrorisée. Il a menacé de m’achever si mon maitre ne s’écartait pas. Mais, au lieu de lui répondre ou de lui obéir, celui-ci s’est adressé à moi… Il m’a demandé de le regarder dans les yeux… et il m’a assurée que je n’avais plus rien à craindre, que j’étais sauve. Pour la première fois depuis la mort de ma mère, je me suis sentie… en sécurité. L’instant d’après, il a claqué des doigts, et mon ravisseur s’est écroulé. Mon maître m’a alors prise dans ses bras et je suis restée agrippée à lui pendant des heures. Après avoir pris le contrôle du bâtiment et capturé les criminels, les exorcistes nous ont soignées et nourries. Comme je refusais de le lâcher, mon maître s’est occupé personnellement de moi. Petit à petit, grâce à lui, j’ai graduellement repris l’envie de vivre. Il m’a redonné une raison d’exister, moi qui avais tout perdu. Toutes les autres lamias ont été rapatriées sur notre île d’origine où les survivantes de la tribu se sont empressés de les élever… Mais comme je n’avais personne d’autre que lui, Maître Liam m’a offert de rester à ses côtés. Il m’a déclaré que comme nous étions tous les deux orphelins, nous pouvions nous entraider, et qu’il comptait sur moi pour le soutenir. Je crois que… c’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse de lui : ce héros si parfait, si gentil et si beau… avait besoin de moi. Et moi… je ne pouvais déjà plus vivre sans lui !

Syana esquissa un sourire nostalgique.

  • A partir de là, je me suis dévouée corps et âme pour le soutenir dans n’importe quelle situation. J’ai appris tout ce que doit connaitre une bonne…
  • Epouse ? suggéra Triss.
  • Non ! protesta vivement Syana en rougissant. Je n’aurais pas cette prétention ! Mais peut-être que simplement aman… Bref, ce que je disais, c’est que j’aspire à être la meilleure partenaire possible pour lui… Et ne te moque pas, hein !
  • Je n’oserai pas, répondit la jeune fille avec un petit sourire.
  • Hum… Ce que je veux dire, c’est que mon maitre est quelqu’un de bien, Triss Nocturii. C’est un vrai héros. Mais ce que lui a fait Sheamon Wave… cela le ronge de l’intérieur. Il était son parrain, or il a tué son père… Sa mère en est morte de chagrin quelques mois plus tard, et il s’est ainsi retrouvé seul au monde. Peux-tu imaginer ce que ressent mon maître, en sachant que l’assassin de son père est toujours libre et en vie ? Mon maitre est quelqu’un de juste qui respecte la loi, mais cette blessure le hantera à jamais. Il ne trouvera pas le repos avant que Sheamon Wave ne meure. Et je ferai tout pour l’aider à être enfin en paix avec lui-même…
  • Ce n’est pas le genre de Sheamon, répondit Triss, même si sa certitude vacillait.
  • Il a plaidé coupable lors de son procès, sans même chercher à obtenir une réduction de peine en échange, lui rétorqua Syana. La vérité, c’est que le malheur change profondément quelqu’un. Sheamon Wave n’est plus celui qu’il était avant le massacre de sa famille…

Triss ne savait quoi répondre. La destruction d’Umbrella, la mort de ses amis et la trahison de Philippa l’avaient marquée encore plus cruellement qu’un fer chauffé à blanc. Incontestablement, elle-même n’était déjà plus cette jeune fille dont les seuls soucis étaient de sortir en douce pour assister à un feu d’artifice avec ses amis. Sheamon avait probablement également perdu une part de lui-même lorsqu’il avait été confronté à la mort atroce des siens. Et s’il avait sombré dans la haine et la rancœur… Tuer l’un de ses frères d’armes n’était pas si incohérent que ça.

  • Je suis désolée…murmura Triss, préférant changer de sujet de conversation. Je n’avais aucune idée de ce que tu as traversé…
  • Pourtant j’ai eu de la chance, par rapport à d’autres, répondit Syana en haussant les épaules. Ce que tu as vu à Qaltra… Il y a des centaines d’endroits identiques partout dans le monde… Certains humains très riches achètent parfois des semi-humains comme les nirgaëns ou les nagas pour être gardes du corps, ou bien pour jouer avec… D’ailleurs, tu le sais, le Royaume Submergé est rempli d’esclaves à la merci des Nocturii et des nosferatus.

Syana tendit le menton vers l’extérieur de la cellule, désignant les innombrables geôles du gouffre infernal.

  • La plupart de ceux qui sont ici ne sont probablement pas des criminels, poursuivit-elle. En général, les sorcières tuent ceux qui s’opposent à elles. Ici, ne restent probablement plus que des cobayes pour leur sorcellerie. Des esclaves, comme tous les autres. J’ai envie de vomir…
  • Alors détruisons cette fichue tour, proposa Triss, spontanément.
  • Quoi ?
  • Je n’ai pas l’intention d’attendre un hypothétique sauveur, poursuivit la jeune fille. Sheamon risque de mourir ; quant à nous… notre sort s’avère incertain. Mais une occasion se présentera tôt ou tard. Alors saisissons-là et échappons-nous d’ici en libérant tout le monde. Agissons de sorte que Qaltra et ses satanées sorcières se souviennent à jamais de notre passage.
  • Loin de moi l’envie de vouloir calmer tes ardeurs, mais as-tu la moindre idée pour nous sortir de là ? objecta Syana en haussant les sourcils.
  • Absolument aucune. Mais si nous travaillons ensemble au lieu de nous surveiller mutuellement, nous avons une chance. Nous avons bien réussi à libérer les esclaves du marché !
  • Et nous avons été capturées juste après…
  • Oui mais… le principal, c’est que nous les ayons sauvés, non ? Ce que je veux dire, c’est que nous ne sommes pas si différentes toutes les deux. Et si nous mettons nos différends de côté… du moins temporairement… je suis persuadée que nous pouvons réussir. Qu’en dis-tu ?

Syana parut surprise, mais un sourire étirait ses lèvres.

  • Ça me plait, Triss Nocturii, approuva-t-elle en hochant la tête. Détruisons-tout. Quitte à s’arracher les bras pour s’échapper.
  • Oui, quitte à s’arracher les… Euh, si on pouvait l’éviter… je suis partante… Syana. Alors, partenaires ?
  • Partenaires… confirma la lamia, avant d’ajouter après une brève hésitation : Triss.

A suivre...

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