IX

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Lorsque Cassandre se réveilla, il faisait déjà jour. Du bruit lui parvenait de l’étage inférieur, elle se souvint qu’on était samedi et que ses parents ne travaillaient pas. Elle se leva et s’assit sur la chaise face au bureau gris, contempla le petit carré jaune. Sa mère y avait noté de son écriture ronde le nom et l’adresse de Laurine. Cassandre s’empara de l’intégrale des œuvres de Lovecraft à portée de main et retrouva sans mal la page où demeurait la note qu’elle avait récupérée dans la poche de son pantalon plusieurs jours auparavant. Évitant de s’y attarder, elle décolla le post-it, le plia soigneusement et le glissa à côté du papier malmené. Elle ne l’oublierait pas.

Après un moment de réflexion, elle composa un SMS à l’intention d’Audrey, une amie d’enfance. Elle enfila des bottes, un pantalon et une chemise noirs en attendant l’éventuelle réponse, et se força à descendre prendre un petit déjeuner dans la cuisine. Elle y trouva sa mère en train de vider le lave-vaisselle.

— Comment vas-tu ? s’enquit-elle.

— Je vais bien.

Cassandre coupa une pomme en quartiers et s’assit sur la banquette. Le son qu’émit son portable la fit sursauter. Elle ne s’était pas attendue à une réponse aussi rapide. Ou même à une réponse tout court. Sa mère lui jeta un coup d’œil intéressé.

— Je vais aller prendre un café avec Audrey, cet après-midi.

Le visage de sa mère s’éclaira subitement.

— C’est une bonne idée, s’exclama-t-elle. Où comptez-vous aller ?

— Sans doute dans le quartier latin, près de chez elle.

Sa mère hocha la tête.

— C’est une bonne idée de vous revoir, répéta-t-elle. Tu lui diras bonjour de ma part.

— D’accord.


La nuit n’allait pas tarder à tomber lorsque Cassandre sortit de la station de RER. Aucun visage familier n’était en vue, aussi décida-t-elle de longer le jardin du Luxembourg. Audrey venait de la rue d’Assas. Elles se croiseraient sûrement à mi-chemin.

Cassandre appréhendait quelque peu. Cela faisait plus de deux ans qu’elles ne s’étaient pas recontactées. Audrey était une vieille amie avec qui elle avait partagé des moments très forts pendant sa jeunesse. Comme tous les enfants candides en partagent. Puis leurs chemins s’étaient séparés, sans raison apparente, et elles ne s’étaient plus reparlé depuis le début de l’université. Cassandre ne savait pas pourquoi elle avait voulu renouer si longtemps après. Elle en avait simplement soudain eu envie.

Elle frémit lorsqu’elle crut apercevoir les cheveux châtains d’Audrey parmi les passants en sens inverse. Quand son visage se précisa, elle lui fit un signe de la main. Audrey haussa les sourcils en lui répondant.

— Salut Cassandre ! s’écria-t-elle en lui faisant la bise.

— Hello.

— Comment ça va, depuis le temps ? lança Audrey.

— Ça va, et toi ?

— Moi aussi, écoute. Il faut qu’on se raconte plein de choses !

Cassandre sourit.

— Quel est le plan ? questionna-t-elle.

— On peut aller prendre un café vers Montparnasse, si ça te dit ?

Elle acquiesça et lui emboîta le pas. Audrey tourna la tête et la dévisagea.

— Dis donc, tu as changé ! commenta son amie, trop enthousiaste. Tes cheveux sont originaux.

Difficile de considérer cela comme un compliment.

— Peut-être, concéda-t-elle. En tout cas je t’ai parfaitement reconnue.

Elles arrivèrent au niveau d’un café trop bondé pour Cassandre, mais elle suivit son amie déjà à l’intérieur. Elles commandèrent deux expressos et Audrey insista pour l’inviter.

— Je ne vais pas pouvoir rester trop longtemps, dit-elle. Je dois préparer des affaires pour rentrer chez mes parents demain.

Cassandre fut un brin décontenancée par ses propos, ayant imaginé qu’elles auraient peut-être passé la soirée ensemble.

— Bien sûr, aucun souci.

Les deux cafés arrivèrent.

— Alors raconte-moi un peu, commença Audrey. Tu voulais me parler, c’est ça ?

L’endroit était trop bruyant pour que Cassandre se sentît à l’aise, car cela la forçait à élever la voix de façon inconfortable.

— Je voulais juste savoir comment tu allais, corrigea-t-elle.

— Bah écoute ça va, je suis en dernière année de master d’histoire de l’art. Le boulot me tombe dessus, mais c’est passionnant. Quoi d’autre… j’ai aussi failli me fiancer cet été.

Cassandre haussa un sourcil en ne sachant pas trop quelle réaction adopter.

— C’est vrai ?

— Oui, mais tout compte fait, je pense qu’on va attendre.

Audrey n’était pas du même style et n’avait pas vraiment la même conception des choses. Elle avait tout d’une vraie Parisienne, son sac et son manteau très chic en témoignaient.

— Tant mieux si tout se passe bien, répondit Cassandre en lui souriant.

— Et toi ? Tu ne m’as encore rien dit, objecta Audrey. Tu fais toujours des études d’informatique ?

Cassandre prit quelques gorgées de café pour gagner du temps.

— Oui.

Ce n’était pas vrai. Avec de la chance, son amie n’exigerait pas de détails. Elle ne le fit pas.

— Si ça te plaît, c’est le principal. Mais tu voulais me parler de quelque chose en particulier ? J’ai cru comprendre sur ton message que tu avais besoin de me voir.

La tasse serait bientôt vide.

— C’est un peu compliqué à expliquer, s’embrouilla-t-elle.

— Vas-y, t’en fais pas, l’encouragea Audrey en finissant son café.

Cassandre choisit ses mots avec précaution.

— J’ai l’impression que tout est étrange, commença-t-elle. C’est difficile à exprimer. J’écris beaucoup, j’ai… J’ai le sentiment d’avoir complètement changé mon rapport à la vie, ces dernières années.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je dis absolument n’importe quoi, désolée…

— Eh, te suicide pas quand même, hein ! lança Audrey en riant.

Cassandre raffermit ses doigts autour de la tasse de café et sa bouche devint subitement trop sèche pour pouvoir émettre un son. Elle sourit et but la dernière gorgée.

— Non, ne t’en fais pas pour ça.

Elle reposa sa tasse et toussota.

— Sinon, l’ambiance est sympa dans le quartier ?

Elle ne savait pas pourquoi elle avait changé de sujet.

— C’est absolument génial, acquiesça Audrey, semblant ravie de s’éloigner des thèmes épineux. Je suis dans une super bonne promo, on fait des tas de sorties. C’est vraiment motivant de faire partie d’un groupe !

À qui le disait-elle.

Audrey regarda soudain sa montre et plissa le front.

— Mince, le temps passe vite. Je suis vraiment désolée, je ne vais pas trop tarder…

Cassandre lui assura qu’il n’y avait pas de problème. Elles se levèrent donc et repartirent en sens inverse. Cassandre raccompagna Audrey jusqu’à sa rue et la remercia pour le café.

— C’était sympa de te revoir, s’exclama Audrey. Encore désolée, on n’a pas eu beaucoup de temps, on essayera de faire mieux la prochaine fois ! Et n’hésite pas à me recontacter.

— J’espère aussi, approuva Cassandre. Merci en tout cas.

Audrey s’éloigna après lui avoir souhaité une bonne soirée. Cassandre la suivit un instant du regard, ayant même du mal à croire qu’elle lui avait parlé. Puis elle tourna les talons pour revenir au RER. En consultant son téléphone, elle constata que leur entrevue n’avait même pas duré une demi-heure.

Le retour à la maison fut comme voguer à travers une nuée d’éther. Cassandre avait l’impression de flotter dans le train bondé et que rien n’était réel. Profondément déçue, elle ressentait comme un choc. Elle avait éprouvé un fort besoin de renouer, de chercher un appui ou de revenir à une enfance insouciante et heureuse. La façon dont leurs retrouvailles s’étaient déroulées l’avait déstabilisée et elle n’avait en fin de compte rien pu lui confier. Et puis elle aurait préféré parler dans un endroit plus confidentiel. Elle aurait espéré qu’Audrey comprendrait. Que quelqu’un comprendrait. Cassandre lui avait envoyé un SMS quelques minutes après pour la remercier, auquel son amie avait répondu de la même façon brève.

Elle dut s’aplatir contre le dossier du strapontin pour laisser une place à une femme qui se tassa contre elle. Son T-shirt arborait fièrement There is always a reason to smile. Find it. Pourquoi les gens ressentaient-ils le besoin d’afficher de tels messages, d’exhiber leur positivisme ? Pour se persuader qu’ils y croyaient ?


Une fois de retour à la maison, Cassandre avait décidé de partager avec Audrey un de ses écrits par mail, un des plus neutres et des moins sensibles.

Elle ne reçut jamais de réponse.

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