XXVI

4 minutes de lecture

Elle semblait danser. Dans la pièce baignée de couleurs saintes, elle irradiait une lumière qu’elle ne voyait pas. Elle s’élevait dans son innocence, les courbes de sa silhouette magnifiées dans leur fragilité, et l’encre sublimée qui coulait sur son corps valsait avec l’ambre liquéfié de ses yeux. Ses pas erraient sans but, elle dansait un ballet incompréhensible. Il regarda son profil qui se découpait sur les carreaux, embrassa le voile qui recouvrait ses yeux, épousa les arabesques de ses doigts, l’incertitude qui tremblait dans ses gestes. Il effleura la finesse de ses ailes, l’iridescente pâleur de son teint. Les ombres bleues caressaient sa peau, la clarté avec laquelle elle se détachait sur le tableau obscur de la vie était éblouissante.


Jakab Kátai se réveilla assez tard le lendemain matin.

— J’ai quelque chose à te donner, entendit-il murmurer tout près de lui.

Il se redressa sur un coude juste à temps pour voir Nocturnal attraper un objet au fond du tiroir de la table de nuit. Elle revint avec un sachet blanc dans le creux de sa paume. Il la regarda un instant sans bien comprendre. Elle avança la main vers lui.

— C’est pour toi, dit-elle timidement.

Jakab prit le sachet sans la quitter des yeux et défit la ficelle blanche qui en fermait l’ouverture. Il découvrit une petite pierre violacée aux évanescents reflets orange, ainsi que de discrètes incrustations en son centre. Elle tâtonna derrière elle et ramena une gemme identique.

— Notre Alliance, dit-elle d’un ton grave.

Il hocha la tête et elle lui prit doucement la main qui renfermait la pierre.

— Merci, Cassandre. Merci.

Elle plongea les yeux dans les siens et s’autorisa à sourire. Son regard paraissait émerveillé.

— C’est une amétrine, indiqua-t-elle.

Jakab caressa des doigts le symbole de leur singulière union. C’était parfait. Il posa son regard sur elle, et sourit également.


*


Son hôte parti dans la salle de bains, Cassandre en profita pour enfiler un pantalon et un pull par-dessus un T-shirt de Blaze of Perdition. Elle était rassurée d’avoir pu lui donner la pierre. Elle avait pensé la lui envoyer directement en Hongrie, jointe à une lettre, mais avait voulu être sûre que l’objet emblématique arrivât à bon port. À présent, Jakab possédait la seconde gemme, et en tout point du globe, ils seraient toujours liés.


*


Elle ouvrit un placard et en sortit une housse, d’où elle extirpa une fine guitare électrique noire mat. La marque « Jackson » était inscrite près des mécaniques et de petits bouts de cordes coupées dépassaient de la tête.

Jakab était surpris. Cassandre ne lui avait jamais dit qu’elle jouait d’un instrument de musique. Il s’assit, la regardant poser un ampli cube au pied du canapé. Après s’être accordée, elle brancha la guitare. Elle sortit ensuite un médiator de sa poche et joua quelques notes, sans le regarder. Elle déchaussa enfin maladroitement ses bottes et se renfonça dans le canapé.

— Cela fait longtemps que je n’ai pas joué, s’excusa-t-elle.

Jakab lui glissa un mot d’encouragement.

Un son clair s’éleva de l’ampli et Jakab reconnut avec émerveillement les accords d’un des premiers morceaux qu’ils avaient évoqué ensemble. Il regarda ses doigts fins alterner entre des mi majeurs et des do. Des mèches de cheveux lui tombaient devant les yeux alors que les notes calmes s’élevaient dans la pièce. D’abord hésitant, son jeu gagna en assurance. Arriva enfin le silence qui marquait une jolie transition dans le morceau. Cassandre lui jeta un coup d’œil avant de se pencher pour modifier les réglages de l’ampli. Le battement de son pied marqua l’arrivée de la distorsion et le solo commença. Il n’était pas parfait, mais Cassandre réussissait à coller à peu près à l’original, rajoutant parfois quelques petites touches de son goût. Avec une seule guitare, elle parvint à rendre l’intensité de la fin du morceau. Lorsqu’elle posa la dernière note, son visage semblait plus détendu. Jakab était subjugué et ravi.

— C’était incroyable, fit-il.

— Ça gagnerait à être plus fluide, mais j’espère qu’on reconnaît un peu.

Elle posa le médiator sur l’accoudoir du canapé.

— Je ne savais pas que tu jouais, confessa-t-il. Je suis heureux que tu m’aies fait écouter.

— Mon niveau est loin d’être bon et j’ai arrêté pendant plusieurs mois.

— J’aimerais déjà savoir jouer comme toi, rétorqua-t-il. Je possède une guitare acoustique et j’ai essayé une fois, mais je n’ai pas continué.

Il fit une pause.

— Tu pourrais écrire des paroles de chanson. Imagines-tu la puissance qu’elles auraient ?

— Je me sens plus à l’aise avec les mots, avoua-t-elle.

Jakab effleura les cordes du doigt.

— Les gens ont souvent peur de ce genre de musique.

— Je ne pense pas que ça convienne à tout le monde.

Ils prononcèrent leur haine pour la cacophonie malsaine dans laquelle les masses et la jeunesse étaient plongées, prenant la popularité dont elle jouissait pour gage de qualité. Ce n’était pas parce qu’une chanson était en vogue et acceptée par la société qu’elle en résultait moins vulgaire ou immorale. Les gens ne réalisaient pas que sous un déguisement attirant pouvait se glisser une violence autrement plus choquante et pernicieuse que des morceaux obscurs, incompris et rejetés par le grand public. Jakab pensait franchement que les stars américaines élevées au rang d’idoles étaient plus sataniques que n’importe quel groupe qu’il écoutait.

— Je ne vois pas l’intérêt, asséna Cassandre en abondant dans son sens. Il n’y a aucun travail derrière, c’est simplement commercial.

— Ça me rend fou. Surtout le fait que cette musique ne transmet aucun message. Je préfère écouter une chanson qui parle juste de haine et de massacre d’innocents, plutôt qu’une chanson qui… caquette « I’m an albatros » ? Qui diable a pu composer ça ? Et pour quelle raison ? Quelle était l’inspiration derrière ? Je ne la vois pas. Écouter une chanson uniquement du fait de sa popularité devrait être punissable de mort.

— Exactement. Il n’y a plus de message. C’est un problème général.

Ses yeux partirent loin, se couvrant d’un voile sublime.

— Avec la musique classique, le metal est le seul style capable d’exprimer toute la complexité et la noirceur de l’âme humaine. C’est une musique d’émotions, une musique du grandiose. C’est pourquoi elles sont comparables.

Jakab médita ses paroles et la dévisagea, happé par son sourire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Parallel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0