XXXII

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L’armurier était en train de mettre un voile de protection sur une pièce de collection lorsqu’il vit entrer une fille qui n’avait à priori rien à faire là. Il venait d’ouvrir la boutique et était encore fatigué, à une heure où le petit antre était dépeuplé. Il replaça le vieux pistolet de carabinier italien en sécurité dans un coffre en bois dont il fit claquer les fermoirs rouillés, puis remit la longue boîte en place sur une étagère derrière lui. Quand il se retourna, la fille se tenait au fond de la pièce, examinant visiblement des armes blanches. De son bonnet dépassaient des cheveux rouge cuivré négligés. Il la reluqua un instant. Elle ressemblait à une… Il ne trouvait pas le mot. Il regarda ses bottes trop grosses et ses jambes trop fines. « Steampunk ». Voilà le mot. Elle soupesait les couteaux et les inspectait comme s’il n’existait pas. Il se prit à se demander ce qu’elle voulait en faire.

La steampunk se retourna enfin et il s’aperçut qu’elle tenait cinq couteaux dans la main. L’homme au comptoir la regarda à moitié surpris, à moitié amusé.

— Pourquoi es-tu ici ? lui demanda-t-il de but en blanc.

Elle posa sur lui des yeux complètement inexpressifs.

— C’est pour un ami.

Elle posa les couteaux sur le comptoir mais n’en isola qu’un. L’homme dut reconnaître que son choix avait été judicieux. L’arme blanche était travaillée, le manche artistiquement sculpté laissait apparaître des sillons cuivrés qui semblaient se poursuivre sur la lame aux courbes élégantes et aux reflets anthracites. Le collectionneur vérifia le prix et entra la référence dans l’ordinateur.

— Je pourrais avoir une pièce d’identité ?

Elle s’exécuta et lui tendit sa carte. Ces cas-là arrivaient peu, mais il avait l’obligation de demander. Ses papiers étaient parfaitement en règle.

— Tu ne prends pas les autres ? demanda-t-il en plaçant le couteau dans une boîte en bois.

Elle secoua la tête et le remercia avant de s’emparer de la cassette et de quitter la boutique aussi naturellement qu’elle était venue.


*


Cassandre signa la lettre et reposa la feuille sur le lit. Dans la solitude de sa chambre, elle libéra les pensées qu’elle gardait cachées depuis plusieurs mois et se souvint des interrogations qui avaient surgi en elle lorsque DaMihiMortem avait évoqué les armes à feu, dans leurs tout premiers messages. Elle n’avait rien demandé. Cela lui était égal, elle lui faisait confiance. Elle n’avait pas à savoir. Seulement saisir la gentillesse qu’elle avait perçue, de façon si juste. Il était là, il comprenait tout. Le brouillard ouaté qui entourait sa vie n’était rien par rapport à l’attention qu’il lui avait portée, rien par rapport à ce qu’elle ressentait pour lui. Quand une personne vous apporte le bonheur, on oublie tout le reste.

Elle observa un instant la bougie qui brûlait, puis ouvrit le joli coffret. L’arme qu’elle avait choisie était autre, mais nulle autre n’aurait convenu. À la faveur du silence, elle suivit du bout du doigt les cicatrices qui parcouraient ses bras. Dans les jeux de lumière, les plus anciennes réapparaissaient et prenaient des reflets de nacre ; sur sa peau nue, la pâleur de la lune se mêlait au rubis.

Avec mesure, elle reposa le voile de protection sur l’arme et finit par emballer le coffre à l’aide d’un papier violet aux étoiles argentées. Elle plaça le tout dans un carton, posa ses mains à plat dessus et resta longtemps à fixer le cadeau. Elle l’expédierait le lendemain.

C’était bien plus qu’un objet. C’était un fragment d’elle-même.

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