LX

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Jakab Kátai écoutait distraitement le bruit de l’eau de la douche, lorsque son téléphone vibra. Il avait vibré plusieurs fois, ces derniers temps. Ignorant le nœud familier qui menaçait de se former dans sa gorge, il se redressa et tendit le bras pour attraper l’appareil posé sur la table basse.

Les initiales de l’émetteur n’évoquaient en lui qu’un soupçon de dégoût à moitié enterré. Ce n’était pas la première fois que l’Ukrainien tentait de le joindre, les messages s’étaient même multipliés depuis son arrivée à Paris.


[Újra találkozni fogunk, Kátai.]


Il espérait qu’il ne s’agissait pas d’un mauvais présage. Il décida de l’ignorer, comme d’habitude.

L’Ukrainien était quelqu’un à qui Jakab Kátai ne répondait plus.


« Pendant l'insomnie, je me dis, en guise de consolation, que ces heures dont je prends conscience, je les arrache au néant, et que si je les dormais, elles ne m'auraient jamais appartenu, elles n'auraient jamais existé. »

Un matin, Nocturnal lui montra ces lignes d’Emil Cioran, qu’elle avait soigneusement consignées dans le carnet doré. Il posa les yeux sur elle ; elle lui retourna un regard émerveillé. Rarement avait-il vu un sourire si vrai. Comme si tous les soucis s’étaient envolés par la fenêtre ouverte, purifiant l’air de toute peine. Comme si le passé ne demeurait qu’un térébrant souvenir qui avait finalement lâché prise. Comme si c’était simplement le temps qu’il lui avait fallu pour trouver la porte de la vie.


*


La nuit dut porter conseil car une idée matinale germa tout naturellement dans l’esprit de Cassandre. Elle se demanda après tout pourquoi elle ne tenterait pas de postuler dans la librairie qu’elle affectionnait. Elle fit part de cette réflexion à Jakab, qui l’exhorta tout du moins à essayer. Elle n’avait rien à perdre. Cela lui permettrait de renflouer provisoirement son compte en banque tout en lui laissant du temps libre pour produire des lignes de code en attendant d’y voir plus clair. En effectuant un rapide calcul mental, elle se souvint qu’ils n’étaient pas nombreux à tenir la librairie. Cela pourrait fonctionner. Même si elle n’était pas payée des mille et des cents, ses services pourraient toujours aider.


*


Ils se plongèrent un soir dans un documentaire sur les origines de la Planète bleue. Éblouis, ils contemplèrent les terres arides qui s’étendaient à perte de vue, quatre cent soixante millions d’années auparavant.

— Ça devait être bien. Il n’y avait personne.

Puis vint le moment où la météorite s’écrasa sur la Terre.

— Ça m’aurait plu.

Ses yeux pétillants lui jetèrent le plus beau regard de connivence qu’il avait jamais perçu.


Les jours défilèrent en une suprême harmonie jusqu’à ce qu’une bonne nouvelle vînt frapper à la porte. Jakab venait d’obtenir le poste d’ingénieur mécanique au sein de l’entreprise sur laquelle il avait misé, dont le siège se trouvait non loin de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Il commencerait le 10 avril. Étant donné la façon dont l’entretien s’était déroulé, ce n’était pas une surprise, mais cette décision l’avait rendu heureux. Vraiment heureux. Un futur serein prenait forme. Enfin.


— Parfois, je plains le Soleil, dit-elle un soir que l’astre déclinait.

Elle fit une pause avant de continuer.

— Il nous éclaire, mais quel triste théâtre éclaire-t-il.

Ces paroles n’apportèrent jamais la consternation attendue. Elles ne furent qu’acclamées par un silence bizarre.

Les perles pessimistes qu’elle avait appelées vinrent, en tout logique, mais dansèrent cette fois une valse étonnante, à l’orée du soir. Elles vinrent, s’annoncèrent, et se drapèrent non pas de noir, mais de lumière. De cette vision Jakab serait toujours marqué. Il ne sut jamais comment elle avait fait. Pour changer leur nature. Pour ramener l’Optimisme. Pour la première fois, il était bien là, tangible. Pour la première fois, il était devant leurs yeux.

Ces paroles avaient peint un tableau. Le monde était toujours en flammes, mais une poudre d’or tombait sur cette scène de destruction qu’ils avaient jadis contemplée. Ils ne ressentaient pas de jouissance, pas de férocité ; au lieu de cela, ils se voyaient habités d’une tranquillité sagace, évidente. D’un calme si déroutant que Jakab aurait pu en être effrayé. Ils planaient, inconscients, ou peut-être devenus trop conscients des drames qui embellissaient le monde. Si présents qu’ils voulurent les aimer. Si parfaits qu’ils voulurent remercier. Tout était simple lorsqu’on apprenait à accepter. À s’élever au-dessus de la trivialité du monde, à enlacer son défaut, à trouver les merveilles dans les failles, dans le malheur ; la beauté.

Ce soir-là, Jakab eut la certitude que tout basculait.

Il n’eut plus peur de sourire.

Il voulait sourire de tout son être.


Et leurs Lignes se suivaient, s’entremêlaient, s’évadaient en une danse folle, pour s’échapper dans la nuit vers la lumineuse farandole des âmes perdues.

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