Chapitre 3 - Carnet Jaune

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Le mardi est le jour où je vais voir maman. Pas parce que la campagne me manque particulièrement, mais plutôt parce que les mardis, je n’ai pas de cours à dispenser. Je n’en ai d’ailleurs plus avant le jeudi. Alors, autant que ce petit temps libre me serve à quelque-chose.

Mère habite à près de cent trois kilomètres de la ville. Donc, j’ai encore quelques heures avant de me lancer sur ma vieille Mitsubishi. Quand je pense que cette bagnole est le plus grand cadeau matériel que père m’a laissé. Naturellement, la maison est restée à sa femme. Pour ma part, j’ai hérité de sa voiture, ses vieux costumes et… insolite, tenez-vous bien... de ses produits capillaires. Oui, mon père n’aimait pas ses cheveux d’origine. Ils étaient crépus et d’un noir rougeâtre. D’ailleurs, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’était même pas devenu chauve. Oui ! Même après trente-huit ans d’applications de produits capillaires. Un vrai phénomène ! Et, avec un peu de chance, il se pourrait bien que je ne le devienne pas non-plus, moi qui suis purement naturel.

Quoi ? J’ai oublié de préciser que je suis un métis ?

Oups ! Bah ! Ce n’est pas grave.


Mon père était d’origine antillaise et ma mère est entièrement, biologiquement et tout ce que vous voulez, française. Moi, je n’ai pas besoin de lotion pour cheveux ou de crèmes défrisantes parce que mes cheveux sont tout bruns et tout soigneux.

La seule chose dont je puisse réellement me vanter avec cet ignoble physique.

Bon, ne nous éloignons pas trop du sujet avec des détails...


Comme biens immatériels, pour ne pas dire financiers, maman et moi avions divisés la somme qui restait dans le compte en banque de feu mon père. Cent cinquante mille Francs dont 50%, chacun.

Pff ! Le seul bien que j’apprécie actuellement c’est sa Mitsubishi - Et, ne me jugez pas pour ce choix - Tant que je n’ai pas vingt-un ans, je ne peux pas jouir de mes soixante-dix Francs d’héritage. Les cinq mille Francs censés me revenir sont pour mère.

Il se trouve qu’à un moment j’ai fait une bêtise.

Bon et puis, je vous en reparlerais plus tard.



- Bonjour Malik, dis-je au boutiquier qui tient un modeste box en face de l’immeuble où je suis en colocation avec une pseudo-stripteaseuse et sa petite sœur.

Malik est un trentenaire peul assez sympathique de caractère. Déjà père de quatre enfants du haut de ses trente-et-un an, il cumule un boulot de simple vendeur de provision quotidienne et un business de stupéfiants à l’arrière-boutique. Je suis l’un de ses rares clients à en être au courant et à chaque fois que je lui achète un article, il arrondit toujours mon reste à défaut de mon refus pour sa marchandise illégale. Tout ça, évidemment, en achat de mon silence.

J’ai su qu’il avait ce business parce qu’il a essayé de me vendre ses produits un jour. Je suppose qu’avec mon physique très maigre, on peut facilement me confondre à un consommateur de drogue forte.

A qui vais-je m’en plaindre ?


J’avoue que je n’apprécie pas particulièrement le fait de lui prendre plus de sous qu’il n’en faut. Mais, je préfère ça que d’être retrouvé un matin, par les flics, allongé dans un bain de sang au coin de la rue, les jambes distordus ; un œil crevé - Il faut vraiment être un vrai trouillard en situation de crises pour faire des faveurs à un gars comme moi - Je suis sûr que si Malik n’avait pas d’enfants et une famille à nourrir, il aurait préféré m’intimider que d’augmenter ma monnaie.

Dépourvu physiquement que je suis, il ne faut vraiment pas grand-chose pour me faire flipper et déguerpir à toute vitesse.


- Salut gars, répond le boutiquier amusé. Sans doute que le match de lutte sénégalaise qu’il suit sur son téléviseur de 24 pouces tourne en faveur de son lutteur.

- J’aurais besoin de…

- Passe-moi trois baguettes de pains et une boîte de Nutella, Malik, intervint un nouvel arrivant.

Je me fais interrompre par une personne qui en a déjà pris l’habitude. Une belle femme algérienne, mère de deux filles, vingt-deux ans, un tempérament de feu et des hanches endiablées. En concubinage depuis sept mois maintenant, Yasmine Marteau - si l'on utilise le nom de l’homme - ne rate jamais une seule occasion de voler des commandes à tous les clients qui sont prioritaires devant elle chez Malik.

Pour les plus courageux qui tentent de réaffirmer leur position post-interruptive, elle ne manque pas de menacer le boutiquier en raison d’un secret qu’elle prétend détenir à son sujet. Certains pensent même que les deux entretiennent une relation amoureuse, mais moi, je sais qu’elle connait pour le business illicite du peul. Je sais surtout que ce n’est certainement pas de l’amour. Yasmine passe ses journées à le chiffonner contrairement à la manière dont elle se comporte avec le père de ses enfants.

Elle n’est pas amoureuse de Malik, cette peste !


- Voilà pour toi, avance apeuré le boutiquier en remettant les sachets de provisions à Yasmine.

Les yeux fixés sur moi, l'air triste, il me supplie clairement de ne pas m’irriter en m’invitant implicitement à l’art subtil et frustrant qu’est la compassion.

- Bien ! Mets ça dans mon cahier, rétorque bruyamment l’algérienne avant de se retourner et de sortir de la boutique en m’écrasant « maladroitement » le bout du gros orteil.

Une femme vraiment très provoquante.

Ce, dans tous les sens du terme.


- Ok ! Je suis avec toi maintenant, me détache Malik après avoir émis des grimaces dans le dos de l'algérienne.

Moi, je ne le suis déjà plus. Je reste là à admirer le déhanché presque bancal de Yasmine qui est soit involontairement ébranlé par son derrière aux mouvements sismiques brutaux, soit bénévolement agité par son pagne se laissant, impuissant, distendre les fibres textiles par la masse robuste du lot de graisse au terme de son dos.

- Ça, pas femme, mon ami, me balance hâtivement Malik ayant enfin trouvé l’image qui accapare mon regard. Ça, beaucoup de problème, gars.

Oui, il a des raisons de le dire, il n’a plus de crédibilité dans le quartier par la faute de cette concubine.

- Vivre sans problème sur le dos équivaut à ne pas vivre du tout, dis-je d’un ton calme.

Mon interlocuteur en est bouche bée. Il n’a pas l’habitude de me voir jouer les pervers - et à vrai dire, moi non-plus - il se tait décontenancé par mes récents propos tout en attendant docilement ma commande.

Pour une fois que j’affirme libéralement mon opinion.

Ça fait du bien.


Je me sens très fier d’avoir défendu mon point de vue. Même si ce n’est qu’avec un petit dicton de ma chambre jaune (Un vieux carnet de notes à la couverture dorée et aux pages jaunes dans lequel j’écris des petites citations que m’inspire la vie). D’ailleurs, je ne regrette absolument pas d'avoir reluqué le bas du dos de ma voisine même si cette dernière m’a arraché la parole et écrasé le pied, avant.

Je sais que c'est « un peu » sadomasochiste, mais j’adore

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