Chapitre 4

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Tili passa la main sur son visage, frotta ses yeux et glissa ses doigts le long de ses joues avant de soupirer. Il avait l’impression d’être prisonnier d’un tableau où tout était perpétuellement figé. Ce n’était pas plus mal en soi, car à chaque fois qu’ils bougeaient, un affrontement avait lieu.

C’était étrange de se dire qu’au vu de leurs changements de formes, il pourrait très bien être incapable de les différencier les uns des autres. Mais pour le moment, il parvenait très bien à identifier deux voire trois ou quatre aliens différents.

Cherchant à s’occuper, il se demanda comment les discerner plus clairement encore. Celui qui faisait semblant d’être un humanoïde agissait toujours assez lentement vers lui et il faisait cette chose étrange pour changer de texture de peau. Sa forme a elle seule permettait de l’identifier, mais il avait une manière de bouger qui était toujours extrêmement fluide. « Rivière ». S’il devait l’appeler, pourquoi ne pas choisir ce vieux mot qui désignait des cours d’eaux autrefois. S’il essayait d’imaginer une rivière, il pouvait penser à la manière de se déplacer, peut-être à tords d’ailleurs… Les rivières existaient à l’extérieur des dômes, ce qui revenait à dire qu’elles existaient loin de son monde. Alors toutes terrienne soient-elles, il n’avait jamais pu en observer.

Ensuite, il y avait ce second alien qui l’avait également piqué et marqué. Il ressemblait davantage à une pelote de fil qu’à une rivière, mais sa caractéristique principale n’était pas là. Il n’y avait rien de doux chez lui. Tout en lui disait son agressivité et sa dangerosité. Ca allait de sa manière de bouger, saccadée et brusque aux angles brutes de son corps. Ce serait « Epine ».

Et puis, à l’extérieur, là où se tenait les aliens qui n’avaient pas eu la possibilité d’approcher, il avait identifié quelques individus supplémentaires. Il y en avait un qui était toujours à raz du sol, étrangement plat. « Flaque ». Et un autre qui se tenait suspendu au bout seul grand fil de son propre corps. « Equilibriste ». Malgré tout, la plupart était assez similaire et pire encore, leurs corps parvenaient à se confondre. Il avait du mal à évaluer combien ils pouvaient être. Aucun n’avait l’air aussi brutal qu’Epine et quelques-uns se déplaçaient avec la même douceur étrange que Rivière.

Rivière se mit d’ailleurs en mouvement pour lui ramener une poignée de fraises qu’il lui tendit avec ce qui semblait être de l’espoir. Tili baissa la tête et soupira.

- Ce n’est pas la saison des fraises… Enfin, ce ne sont pas non plus des fraises, n’est-ce pas ?

Il se détourna, refusant d’amener à de nouveaux combats. Rivière insista étrangement avant de se figer un instant. L’instant d’après Epine s’élançait, quittant sa position et le faisait crier sous la surprise. Il s’abattit sur les plus proches d’eux avec une force et une virulence inattendue qui provoqua de grands mouvements de fuites. Il semblait comme enragé.

- Non ! Non ! Pourquoi tu fais ça ?!

Mais il ne put pas faire un pas que Rivière s’était interposé en lui tendant les fraises à nouveau.

- Si je les mange, il va arrêter ?

Epine se jetait encore et encore sur un autre. A ce rythme-là, ce serait surprenant qu’il survive ! Devant ses yeux écarquillés et son cœur battant la chamade, Epine était en train de tuer quelqu’un ! Alors Tili hurla.

- Arrêtes-le ! S’il-te-plait ! On m’a dit que vous étiez intelligent ! Vous ne pouvez pas… Vous ne pouvez pas faire ça !

Tili paniquait totalement. Il n’avait jamais vu le moindre affrontement et le concept même de violence lui échappait complètement alors une brutalité nue comme celle-ci n’était pas à sa portée. Il ne comprenait pas. Il attrapa une fraise, la goba toute crue et s’arrêta en faisant de grands gestes, implorant, suppliant, pour que ça cesse. Et tout aussi vite que ça avait débuté, Epine s’arrêta. Tili attrapa une nouvelle fraise et la goba, puis encore une autre et une autre. Terminant bientôt la poignée tout entière, il espérait seulement que ça les convaincrait d’arrêter ça, en priant pour qu’il ait un levier quelconque.

Epine revint vers eux avec ses mouvements saccadés qui donnaient l’impression qu’il était perpétuellement irrité. Il s’arrêta un instant près de la feuille bizarre, enroula l’un de ses pics autour d’un nouveau met et le lui tendit directement. En tremblant, Tili avança la main pour s’en saisir en faisant bien attention à ne pas le toucher. C’était du pain fourré. Il croqua dedans, c’était chaud et plein de sauces. C’était aussi l’un des plats qu’il préférait chez lui.

- Merci. Chuchota-t-il en tremblant.

Epine remonta au-dessus de lui, semblant veiller à ce que personnes n’approchent. Tili parvient, en se décalant un peu, à voir l’alien au sol. C’était celui sur qui Epine s’était abattu avec tant de forces et de violences. Il rampait misérablement, trainant une partie inerte de son corps alors que deux autres l’aidaient visiblement, mais au moins, il était encore vivant.

Tout en mangeant rapidement, espérant que ça les calme enfin, Tili commença à percevoir qu’ils se déplaçaient ou se tenaient effectivement par petits groupes de trois. Et lui-même formait un groupe de trois avec Epine et Rivière. La pensée était étrange. Epine rapporta autre chose, quelque chose qu’il ne connaissait pas mais qu’il accepta de prendre en main et finalement de croquer à titre d’essai. C’était comme de petites billes transparentes et à l’intérieur, c’était de l’eau. Il se désaltéra ainsi, lentement, croquant et machant les billes jusqu’à ne plus avoir soif ce qui arriva étonnamment vite. Le ventre plein, Tili se sentait affreusement fatigué. Il ne savait pas combien de temps s’était écoulé depuis l’annonce, mais il n’avait toujours pas dormi.

Une partie du corps d’Epine revint avec un autre met qui ressemblait à de la brioche alors que l’autre partie se dressait de la manière la plus sinistre qui soit pour menacer les autres aliens. Tili déglutit en voyant le problème arriver et secoua la tête.

- Je n’ai plus faim !

Le pic s’agita vers lui en faisant voler le morceau de brioche dans tout les sens. L’alien semblait pulser de nervosité. Tili leva très lentement les mains en essayant de reculer. On lui avait affirmer qu’il ne risquait rien avec eux, qu’ils étaient intelligents aussi mais… Mais il avait vu Epine se faire violent et il n’avait pas la moindre idée de pourquoi ils n’étaient plus que deux. Une partie de lui ne cessait de penser au moment où cette violence serait dirigée contre lui.

- Calme-toi, s’il-te-plait…

Mais Epine ne se fit que plus vif encore, comme s’il allait simplement fourrer la nourriture dans sa bouche de force. Au moment où la brioche toucha effectivement ses lèvres, il se passa une chose étrange. Il ne vit plus rien. Durant un instant, il crut être aveugle avant de lever les mains et de comprendre. Rivière s’était interposée pour le protéger. Il laissa son visage tomber sur l’alien et se blottit contre lui, étrangement rassuré par sa présence protectrice et bien trop épuisé par ses émotions pour tenir le choc. Il ferma les yeux et sans rien y pouvoir glissa dans un sommeil nerveux.

***

En papillonnant doucement des paupières, il se réveilla et observa un instant autour de lui, perdu. Il n’y avait pas le moindre rayon de lumière et sous lui, le matelas tiède était particulièrement confortable, lui donnant seulement envie de se rallonger totalement pour se rendormir. Il allait le faire quand tout lui revint en mémoire avec force et violence. Il se souvint, soudain, de l’arrivée de l’émissaire, de sa première sortie sur sa planète, du vaisseau et puis… Et puis des Laeïas. Il se souvint des affrontements, de la violence d’Epine. Où était-il à présent ? Il tâtonna autour de lui un moment avant de comprendre et de pousser un cri.

Il n’était pas sur un matelas.
Il n’était même pas dans le noir.

C’était le corps de Rivière qui l’entourait complètement. Il poussa fortement dessus, et très lentement, Rivière accepta de reculer ouvrant une voie vers l’extérieur dans laquelle Tili s’engouffra sans attendre. Il tomba presque aussitôt sur Epine qui avait levé une barrière entre lui et les restes des trios qui s’étaient une nouvelle fois rapprochés. Dans son dos, Rivière avait repris forme humaine. En reculant, il finit contre son torse et sursauta surprit avant de réavancer pour se mettre, quelques parts entre eux deux, peut-être un peu plus proche de Rivière, mais pas au point de le toucher une nouvelle fois.

Là, il s’effondra au sol, incapable de savoir seulement quoi faire. Regardant autour de lui, il pouvait voir tous les trios. Ce fut à ce moment-là qu’il se demanda vraiment : quels étaient leurs problèmes ? En avaient-ils seulement ? Il aurait aimé une porte de sortie, savoir qu’en faisant assez d’efforts il pourrait rentrer chez lui avec ses amis, savoir qu’il pourrait de nouveau marcher le long des grands arbres et enjamber les plantes qui courraient au sol. Il voulait retrouver l’ambiance et l’odeur de son dôme. Il sursauta quand Epine bougea, menaçant un individu qui s’approchait lentement. Ils allaient se battre à nouveau. Était-ce normal chez eux ? Y avait-il autant de conflits habituellement ? L’idée d’être la source de tout ces problèmes le faisaient frémir intérieurement.

Rivière s’approcha de lui et tendit sa main, la face vers le haut et à l’œil nu, Tili pu voir sa texture changer légèrement au creux de sa paume. Après une longue hésitation, doucement il posa le doigt dessus. C’était encore comme du liquide. Incertain quant à la marche à suivre dans cette tentative d’interaction, il traça quelques lettres du bout des doigts pour former le mot « bonjour ». Il retira son doigt et attendit une forme de réponse quelconque. Les précédents aliens avaient réussi à apprendre sa langue en seulement quelques jours et ils estimaient les Laeïas profondément intelligents, alors ce n’était peut-être pas totalement idiot de penser que Rivière arriverait à lire. Mais l’alien ne bougea pas, gardant cette surface étrange, alors au bout d’un long mot, Tili inscrivit : « Une réponse ? » et presque aussitôt, Rivière fit quelque chose qui le stupéfia, il hocha de la tête.

Sans pouvoir sans empêcher, Tili cria de joie et de stupeur. Il s’en voulut aussitôt car l’inconnu fit un geste vers lui et Epine se déchaîna du haut de toute sa violence. Il fut si fou furieux que plusieurs autres intervinrent pour protéger l’inconscient et le tirer loin de lui encore une fois. Tili s’était reculé tout contre Rivière, hautement mal à l’aise et triste d’être lié à un être aussi cruel.

Rivière, visiblement insensible à son angoisse, tendit de nouveau sa main et Tili écrivit rapidement : « Paix ? », mais il ne reçut pas la moindre réponse. Il avait peut-être sauté trop tôt sur une conclusion erronée. Hésitant, il prit le temps de tracer quelques nouvelles lettres. « Tu me comprends ? » Un nouveau hochement de tête le rassura. Il arrivait à obtenir des « oui », mais pour être sûr de son résultat, il aurait également besoin de répétition et puis de négation. Il aurait aimé avoir une tablette pour inscrire une suite logique d’idées, mais il n’y avait rien ici, alors il devrait s’en passer. Durant de nombreuses minutes, il posa des questions différentes, cherchant à établir ce que l’alien comprenait avec une seule et unique forme de réponses puis il changea d’angle pour obtenir son premier non. Au vu de la violence d’Epine, il voulait quelque chose de très neutre, quelque chose de factuel. « Accroché à l’autre vaisseau ? ». Rivière recula, rompant la communication et se gonflant légèrement. Tili se poussa presque aussitôt et après une forme de bouillonnement interne des plus inquiétants, Rivière redevient normal. Il fallut un long moment avant qu’il ne fasse « non » du visage, mais déjà, Tili n’avait plus le courage de répéter l’expérience. Ce contact avec Rivière c’était le seul et unique contact rassurant qu’il avait depuis qu’il était ici. Il préférait encore ne pas communiquer que prendre le risque de le perdre.

Rivière eut beau retendre la main, reproproser la discussion, Tili n’osa pas, trop inquiet. Au bout d’un long moment néanmoins, il se passa quelque chose d’étranges. Rivière tendit la main avec cette surface toute douce et faussement liquide vers Epine et ce dernier traça des lettres à son tour. Que faisaient-ils ? Rivière ré-avança la main vers lui, pour qu’il puisse mieux voir et Epine avec une délicatesse et une maladresse qu’il ne lui connaissait pas recommença, traçant chaque lettre une à une jusqu’à ce que cela forme le mot « communiquer ». Le cœur de Tili se mit à battre plus fort dans sa poitrine.

- Oui… Oui. Il faut qu’on communique, qu’on communique vraiment… mais… Il faudrait que vous restiez calme. Tout les deux.

Il observa Rivière dont le corps était encore tordu dans une forme qu’un humain n’aurait pas pu prendre. A force, il n’y prêtait même plus attention. En faites, le simple fait qu’il essaie de ressembler à un humain était prévenant. Quant à Epine, malgré cette communication douce, il ne semblait être fait que de haine et de violence. Son corps avait l’air de le crier. Rivière saisit l’une des épines acérées de leur compagnon et la lui tendit comme une évidence. Tili recula sans comprendre puis remarqua après un instant que la texture de sa peau qui ressemblait à du métal poli était en train de changer pour prendre une forme plus douce qu’il reconnut aussitôt. C’était le faux-liquide. Cette surface qui semblait permettre le contact entre eux. C’était aussi de cette manière que Rivière l’invitait à poser ses doigts sur son corps et à le toucher. Il secoua la tête en reculant. Provoquer la colère chez Rivière était horriblement effrayant, mais toucher Epine réellement et risquer ses réactions, non. Il ne pouvait pas.

Sans attendre, Epine s’arracha à la prise de Rivière et s’éloigna rapidement, reprenant son poste de garde comme si de rien n’était, même si le jeune humain aurait pu jurer que la pointe de ses épines s’étaient faites plus aigues encore.

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